Ce 9 décembre 2014, à la Halle, dans le cadre du Cycle grands Interprètes, et sous l’égide du Conseil général, le chef hongrois Ivan Fischer dirige son Budapest Festival Orchestra dans ce monument que représente la Turangalîla-Symphonie pour piano solo, ondes Martenot et grand orchestre, l’une des œuvres majeures du XXè siècle, cette « symphonie fantastique » de notre époque avec sa musique au lyrisme torrentiel et aux rythmes impérieux. Aux ondes Martenot, Valérie Hartmann-Claverie, et au piano, Roger Muraro, artiste habitué de cette œuvre d’Olivier Messiaen, dit « ce géant paradoxal ». C’est une soirée-événement à tous points de vue.
Au lendemain de la création à Paris, un poète-musicien “ s’écriait “ : « Cette musique s’étend, coule, rebondit, se rue en rapides ou se précipite en cascades comme les fleuves immenses de là-bas (…). La Turangalîla-Symphonie me prend, me capte, me bouleverse, me soulève. Et pourquoi donc ne le dirais-je pas ? C’est un chef-d’œuvre. » C’est une énorme fresque en dix volets, un inépuisable roman en dix chapitres, constituant un peu le décalogue de son auteur. Les territoires découverts sont immenses et il faudrait un livre de La Pléiade pour en révéler la topographie ! Fourmillante d’idées, de thèmes, de rythmes et de structures, l’œuvre se présente bien comme un résumé de toute la pensée de Messiaen. Mais dans un souci d’authenticité permanente qu’il revendique. Ne dit-il pas : « …l’émotion, la sincérité d’abord, mais transmise à l’auditeur par des moyens sûrs et clairs. », ou encore : « Je crois à l’inspiration (et) ne puis rien écrire que je ne l’aie vécu. »
Né à Avignon le 10 décembre 1908 – il aura 106 ans le lendemain de ce concert – disparu le 28 avril 1992 à l’âge de 83 ans, travaillant seul à six ans, le piano et la composition, doué d’une extraordinaire acuité auditive, Olivier Messiaen, le musicien religieux (dixit lui-même…), rythmicien d’abord, compositeur ensuite, apparaît dans l’histoire de la musique comme un géant du siècle passé, accumulant les paradoxes au cours d’une vie toute simple, studieuse, entre son orgue, son piano, sa classe d’élèves turbulents (Boulez, Xenakis, Stockhausen, Pierre Henry…), sa table de travail, ses voyages, et son « musée imaginaire de chants d’oiseaux ». En effet, il aura consacré une part essentielle de son activité à l’étude des chants d’oiseaux, agissant à la fois en tant qu’ornithologue, poète et compositeur. Le musicien disait retrouver dans la gent ailée un symbole de liberté au-delà des ressources musicales qu’elles lui révélaient.
Féru de gammes et de rythmes hindous, attentif également aux manifestations les plus spontanées de toute musique dite exotique, des gamelans balinais aux bols chantants en passant par les oiseaux de l’Extrême-Orient, Olivier Messiaen nous livre la plus monumentale des symphonies françaises, près de quatre-vingt minutes en dix mouvements, la Turangalîla-Symphonie, dans laquelle on retrouve le piano, instrument qui, avec l’orgue, fut toujours au centre de ses préoccupations. Deux ans de travail pour une création à Boston le 2 décembre 1949 par le jeune chef d’orchestre Leonard Bernstein dirigeant l’Orchestre Symphonique de Boston. Les deux solistes sont alors, au piano, Yvonne Loriod, et aux ondes Martenot, Ginette Martenot. Accueil triomphal. Boston, tout simplement car l’œuvre est une commande de Serge Koussevitski, chef de son orchestre de la ville, et ce, en 1945. Compositeur peu connu encore mais pour lequel le chef semblait avoir ressenti beaucoup d’affinités, lui ayant simplement dit : « Faites-moi l’œuvre que vous voulez, dans le style que vous voulez, de la durée que vous voulez, avec la formation instrumentale que vous voulez, et je ne vous impose aucun délai pour me remettre votre travail… » Décédé auparavant, il ne dirigera pas sa commande à la création.
Création en France au Festival d’Aix-en-Provence le 25 juillet 1950. Les avis seront plus partagés, et certains esprits dits éclairés auront une digestion de l’ouvrage plus délicate comme un Francis Poulenc, Pierre Boulez évidemment, ou des critiques comme Jacques Longchamp. Un autre résumera fort bien l’accueil. Il fut chaleureux de la part du public, immédiat, à peu près inversement proportionnel avec celui des connaisseurs, critiques et compositeurs. Jalousie ? vacuité ? suffisance ?
« Tourângheulî-lâ » vous dira Messiaen, (avec accent et prolongation du son sur les deux dernières syllabes) « Turangalîla » est un mot sanscrit voulant dire tout à la fois, chant d’amour, hymne à la joie, temps, mouvement, rythme, vie et mort. Cette œuvre est donc un chant d’amour, un hymne à la joie, une joie surhumaine, débordante, aveuglante, démesurée. L’amour y est présentée sous le même aspect : c’est l’amour fatal, irrésistible, qui transcende tout, tel qu’il est symbolisé par le philtre de Tristan et Yseult.
Vous l’aurez compris, pour de tels paroxysmes, il faut une instrumentation hénaurme !!, mais des plus variées. A la fête donc, les bois, les cuivres et toutes les percussions métalliques possibles. Le plateau se doit d’être gigantesque. Celui de la Halle sera-t-il suffisant ? Heureusement les ondes Martenot sont là, cet instrument de musique électronique présenté en …1928 !! Autant dire datant de la préhistoire de l’électronique. Pourtant, il est capable par le jeu de ses sept octaves de remplacer bon nombre d’entre eux. Aux commandes, Valérie Hartmann-Claverie.
Au total, l’entreprise est colossale, excitante à souhait. Sans parler de la partie piano solo qui est d’une telle importance, son exécution nécessitant une telle virtuosité que l’on va jusqu’à parler de concerto ou presque pour piano et orchestre. Le piano fut toujours au centre des préoccupations du musicien, et aura droit à des apports essentiels servis alors par une interprète exceptionnelle, son élève devenue sa deuxième femme, Yvonne Loriod.
Effectif orchestral : environ 103 exécutants pour, environ, 75 minutes
Cordes : près de 70 exécutants !
16 premiers violons, 16 seconds violons, 14 altos
12 violoncelles, 10 contrebasses,
Bois
2 flûtes, 1 piccolo, 2 hautbois, 1 cor anglais
2 clarinettes en si bémol, 1 clarinette basse en si bémol
3 bassons
Cuivres
4 cors en fa,
1 trompette en ré (pour donner du brillant à l’orchestration et ajouter un cran de plus au fortissimo),
3 trompettes en ut
1 cornet en si bémol, 3 trombones, 1 tuba
Claviers
1 jeu de timbres, célesta,
Solistes
Piano (partie importante et exigeant une réelle virtuosité, car l’œuvre est presqu’un concerto)
Ondes Martenot dont le rôle est aussi important dans certains passages paroxystiques, ou au contraire dans des passages plus doux)
Percussions – outre les claviers, il faut ici 5 exécutants
triangle, temple-block, wood-block, petite cymbale turque, cymbales, cymbale chinoise, tam-tam, tambour, tambour de basque maracas, tambour provençal, caisse claire, grosse caisse, vibraphone, huit cloches tubulaires.
Titre des dix mouvements
Introduction (modéré, un peu vif)
Chant d’amour I (modéré, lourd)
Turangalîla I (presque lent, rêveur)
Chant d’amour II (bien modéré)
Joie du sang des étoiles (vif, passionné, avec joie)
Jardin du sommeil d’amour (très modéré, très tendre)
Turangalîla II (un peu vif – bien modéré)
Développement de l’amour (bien modéré)
Turangalîla III (bien modéré)
Final (modéré, presque vif, avec une grande joie)
Michel Grialou
Les Grands Interprètes
mardi 09 décembre 2014 à 20h00
Halle aux Grains
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Quelques mots sur les artistes du concert
Ivan Fischer
Iván Fischer est le fondateur et le Directeur Musical du Budapest Festival Orchestra. Leur collaboration s’est révélée l’une des plus belles réussites de ces trente dernières années dans le monde de la musique classique. De nombreuses tournées internationales et une série d’enregistrements acclamés ont contribué à établir la réputation d’Iván Fischer comme étant l’un des plus grands chefs d’orchestre actuels.
ll a aussi mis en place et développé de nouveaux types de concerts : ‘‘Cocoa concerts’’ pour les jeunes enfants, ‘‘Midnight Music’’ pour les étudiants, les concerts ‘‘surprise’’ pour lesquels le programme n’est pas annoncé, les ‘‘one forint concerts’’ durant lesquels Iván Fischer s’adresse directement aux spectateurs, les concerts de plein air à Budapest qui attirent des dizaines de milliers de personnes. Il a créé plusieurs festivals, dont un festival d’été de musique baroque à Budapest et le Budapest Mahlerfest qui est aussi une occasion de commande et de présentation de nouvelles compositions.
Iván Fischer dirige en tant que Chef d’Orchestre Invité les plus prestigieux orchestres symphoniques du monde. Il a été convié à diriger le Berlin Philharmonic plus de dix fois, il travaille chaque année durant deux semaines avec le Royal Concertgebouw Orchestra, et se produit avec le New York Philharmonic et le Cleveland Orchestra. Il a également été Directeur Musical du Kent Opera et de l’Opera de Lyon, ainsi que Chef d’Orchestre Principal du National Symphony Orchestra à Washington DC. Il a gagné plusieurs prix internationaux prestigieux grâce à ses nombreux enregistrements.
Iván Fischer a étudié le piano, le violon, le violoncelle et la composition à Budapest, puis a poursuivi sa formation de chef d’orchestre à Vienne avec le professeur Hans Swarowsky. Depuis peu de temps, il compose aussi activement : ses œuvres ont été jouées aux Etats Unis, en Hollande, Hongrie, Allemagne et Autriche et il a mis en scène des opéras avec succès.
Fischer est un des fondateurs de la Hungarian Mahler Society et le Directeur de la British Kodály Academy. En 2006, il reçoit le Kossuth Prize, le plus prestigieux prix hongrois des arts. Il est aussi Citoyen d’honneur de la ville de Budapest. En 2011, il reçoit le Royal Philharmonic Award et le Dutch Ovatie prize. En 2013, il devient membre honoraire de la Royal Academy of Music de Londres. En août 2011, Iván Fischer est nommé Directeur Musical du Konzerthaus de Berlin et Chef d’Orchestre Principal du Konzerthausorchester de Berlin.
Dernière venue : Saison 2012/2013, 14 décembre 2012 avec le Budapest Festival Orchestra – Dvorák et Bartók.
Budapest Festival Orchestra
Fondé en 1983 par Iván Fischer et Zoltán Kocsis, le Budapest Festival Orchestra s’est imposé comme l’un des dix plus grands orchestres au monde. Il est apprécié par le public et salué par la critique internationale pour ses interprétations intenses et pleines d’émotions. Depuis trente ans, Iván Fischer est son directeur artistique.
Trente ans d’innovation musicale
Le Budapest Festival Orchestra a maintenu son esprit expérimental, modelant et remodelant son œuvre orchestrale au nom d’un renouvellement constant. Son Directeur Musical Iván Fischer, a mis en place un certain nombre d’initiatives nouvelles. Voir ci-dessus. Des musiciens de l’Orchestre sont choisis lors de la “Sandor Végh competition” qui a lieu deux fois par an, pour interpréter les concertos en tant que soliste dans la série des concerts “Haydn-Mozart Plus” sous la baguette du nouveau Chef Principal Invité de l’Orchestre, Gábor Takács-Nagy.
Initiatives intéressantes et coopération, le BFO est partenaire du Palais des Arts de Budapest. Ensemble, ils lancent le Festival “Briding Europe –Europai Hidak” avec sa première édition en Septembre 2013. Ce projet, en mettant l’accent sur la culture tchèque, propose un seul compositeur « marathon » pour onze concerts et une production d’opéra réalisée et dirigée par Iván Fischer. L’opéra Nozze di Figaro de Mozart, fut présenté au Mostly Mozart Festival à New York en août 2013, faisant suite à un Don Giovanni ayant reçu un accueil très enthousiaste en 2011.
Le BFO et les jeunes
Les programmes du BFO destinés à la jeunesse représentent une part importante de ses activités. Chaque année, le BFO offre plus de cinquante manifestations musicales au jeune public, l’impliquant souvent en tant que participant actif dans ses productions. Les “Cocoa Concerts”, qui peuvent désormais être considérés comme traditionnels, sont conçus pour les jeunes enfants. Les “Choose your Instrument performances” sont destinées aux élèves du primaire, tandis qu’un concours de comédie musicale est organisé pour les élèves du secondaire. Les “Midnight concerts” attirent plutôt les adolescents et les étudiants.
Le BFO en Hongrie
Le BFO donne plus de quarante concerts à Budapest et se produit régulièrement dans d’autres villes hongroises. De nombreux artistes de renom tels que Sir Georg Solti (Chef Principal Invité jusqu’à sa mort), Yehudi Menuhin, Pinchas Zuckerman, Gidon Kremer, Radu Lupu, Sandor Véhg, Andras Schiff et Richard Goode ont tous dirigé ou joué avec le BFO au cours des dernières décennies.
Le Budapest Festival Orchestra est une fondation indépendante. Ses activités sont soutenues par le Ministère Hongrois des Ressources Nationales et le Conseil Municipal de Budapest.
Le BFO à l’étranger
Le Budapest Festival Orchestra se produit régulièrement dans les grandes salles comme le Carnegie Hall, le Lincoln Center, Konzerthaus Wien, Concertgebouw d’Amsterdam, la Halle aux Grains de Toulouse en tant qu’ambassadeur de la culture hongroise. Année après année, le Budapest Festival Orchestra et Iván Fischer sont invités par les festivals internationaux les plus renommés. Le BFO se produit régulièrement au Festivals de Lucerne, Edimbourg et San Sebastian, joue aux BBC Proms et au Salzburger Festspiele. Le BFO est aussi un invité régulier au prestigieux festival Mostly Mozart de New York.
Prix et enregistrements
L’Orchestre comptabilise plus de 50 enregistrements dont certains ont remporté des prix internationaux prestigieux. Le premier enregistrement du Budapest Festival Orchestra a été réalisé lors du premier concert de Noël, en 1983. Après les maisons de disques Hungaroton, Quintana et Philips, c’est chez Channel Classics, connu pour sa qualité sonore exceptionnelle et sa qualité artistique sans compromis, que sont sortis les derniers enregistrements de l’Orchestre. Le BFO a remporté 2 Gramophone Awards : un pour Le Mandarin merveilleux de Bartók en 1998 et l’autre pour l’enregistrement de la Symphonie n°2 de Mahler. Les Gramophone Awards sont l’une des récompenses les plus importantes de l’industrie du disque classique souvent désigné comme les Oscars de la musique classique. Le BFO a été nominé aux Grammy Awards en 2013 pour l’enregistrement de la Symphonie n°1 de Mahler.
Le BFO a également reçu le Prix de la musique néerlandaise en 2006 et en 2008 a été classé neuvième meilleur orchestre du monde par les plus grands critiques musicaux.
Roger Muraro
Après avoir tâté du “saxo“, c’est vers le piano que Roger Muraro se fixe, tout d’abord en autodidacte avant de rencontrer à à peine vingt ans le couple mythique de la musique du XXè siècle, Olivier Messiaen et Yvonne Loriod. Très tôt, il va devenir l’un des interprètes majeurs du compositeur, s’identifiant complètement à sa production pianistique. Doté d’une technique éblouissante, il n’a pas fait ses classes chez Yvonne Loriod pour rien. Son jeu respire toujours poésie et sincérité, quelle que soit l’œuvre interprétée, l’ombre du grand maître planant constamment sur ses épaules.
Sa discographie est impressionnante, d’autant plus que le musicien fait montre d’un rare éclectisme, ouvert sur un monde musical sans frontière. Ses qualités humaines font qu’il a à peu près joué partout sur les plus grandes scènes, en récital comme avec orchestre, avec les plus grands chefs. Et bien sûr, il enseigne, voulant faire partager à un plus grand nombre son savoir, avec cœur, sensibilité et modestie.
Valérie Hartmann-Claverie
Membre depuis sa fondation (1974), et jusqu’en 1995, du Sextuor Jeanne Loriod, l’artiste fonde l’année suivante le “Quatuor Ondes de Choc“ tout en poursuivant sa carrière de soliste, et enseignant sa spécialité, c’est le moins qu’on puisse dire !! ondes Martenot et claviers électroniques.
Elle a participé à l’enregistrement de l’oratorio Jeanne d’Arc au bûcher d’Arthur Honegger, œuvre très prochainement à l’affiche de l’ONCT dirigée par l’un de mes jeunes chefs favoris, Kasuki Yamada.