Article écrit pour Classiquenews.com
Concert d’ouverture du Festival Toulouse les Orgues. Toulouse : Cathédrale Saint-Etienne, le 7 octobre 2015
Heinrich Franz Ignaz Von Bieber (1644-1704) : Sonate Sancti Polycarpi, à 9 (1673) ; Sonata : Battaglia, à 10 (1673) ; Missa Salisburgensis, à 53 (1682)
Les Passions, Direction : Jean-Marc Andrieu ; Les Sacqueboutiers, Direction Jean-Pierre Canihac ; Ensemble Scandicus ;
Le chœur des jeunes du conservatoire du Tarn, Direction Cathy Tardieu ; Les Eclats ; Direction musicale : François Terrieux .
Von Bieber : voici un nom sorti d’un anonymat aussi injuste qu’incompréhensible grâce à l’enregistrement de plusieurs versions de ses Sonates du Rosaire pour violon avec scordatura. Le mélange de science incroyable de l‘écriture, d’un sens de l’émotion, de la rhétorique hors pairs … ont fait le succès de cette musique fascinante. L’ouverture du Festival international Toulouse les Orgues en choisissant ce compositeur aiguisait donc l’intérêt de quelques amoureux de la musique baroque. Mais le pari n’était pas moins impressionnant : sur la scène internationale, le Festival osait confier à des musiciens du territoire Midi-Pyrénées, la responsabilité de ce projet ambitieux, mêlant professionnels et amateurs. Le concert a débuté avec une proposition de Michel Bouvard. Sur l’orgue de la Cathédrale Saint-Etienne nouvellement restauré, dans un son plein et splendide avec une registration pleine de noblesse, la pièce de Froberger en variations a été un grand moment de plénitude. La virtuosité soutenant le propos avec art. Un son ample mais sans violence ou agressivité s’est déployé dans les vastes nefs de cette cathédrale hors normes, car elle comprend deux nefs.
L’oreille a ainsi pu mesurer la particularité de cette acoustique. Puis les Sacqueboutiers de Toulouse, grande formation internationalement reconnue, a régalé le public, sous la direction souple et inspirée de Jean-Pierre Canihac, en sonorités riches, vibrantes et nuancées, celle des cuivres anciens. Notons aussi leur grande justesse; faisant mentir ceux qui pensent que jouer baroque et jouer faux vont de paire.
La mise en place d’un orchestre de cordes annonçait l’arrivée d’une partie de l’orchestre des Passions de Montauban. Les sonorités suaves des violons et la souplesse des phrasés ont apporté beaucoup de douceur obligeant l’oreille à affiner ses perceptions dans le vaste espace de la Nef Raymondine. Comme à son habitude, Jean-Marc Andrieux à la direction, a laissé beaucoup de liberté aux instrumentistes. La virtuosité du premier violon a ainsi pu se déployer avec plénitude. Et la partie centrale ostensiblement fausse, les moments de frappe sur les instruments avec l’archet ou la main ont fait leur effet de malaise rompant l’harmonie comme le fait la guerre. Une bataille parfaitement rendue dans sa complétude, entre effroi, maladresse, enthousiasme, et toujours engagement.
Biber, Missa Salzburgensis. Le grand moment a été l’arrivée des chœurs et de tout l’orchestre sur le devant de la scène, au moment où Toulouse ressuscitait les fastes de la splendeur salzbourgeoise. Deux orchestres au centre de l’estrade, les choeurs d’enfants et de jeunes, augmentés d‘adultes, placé derrière sur toute la largeur possible, quand, tout au fond, se trouvaient les timbales et les gros cuivres habilement disposés pour ne pas couvrir les voix. Deux choeurs de solistes de l’ensemble Scandicus augmenté de voix féminines ont été placés dans les stalles de part et d‘autre de la nef. Cet imposant ensemble a été dirigé avec rigueur par François Terrieux pour nous enchanter dans sa variété d’écriture. L’équilibre voix-instrument s‘est rapidement trouvé. La délicatesse des voix solistes a permis une grande variété de nuances. Von Bieber (Biber) sait dans cette œuvre autant nous impressionner que nous toucher. L’alternance entre brillants moments soutenus par les cuivres et les timbales, et ceux plus doux avec les petits choeurs, les soli et les passages instrumentaux dans lesquels flûtes ou violons plus aptes, déploient les sonorités suaves, soutient ici une vaste rhétorique qui suit la liturgie avec passion.
Avec 53 voix différentes, associant instrumentistes et chanteurs, Von Bieber dépassait tout ce qui avait été composé jusqu’alors. Cette orgie de couleurs et de nuances, cette vaste interpellation de toute la stéréophonie dont les oreilles sont capables, provoque des moments d‘ivresse chez l’auditeur. L’acoustique fantasque de la cathédrale a été domptée par ces forces musicales si soudées. Ce concert a été un éclatant succès. Toulouse est bien terre de musiciens et Toulouse les orgues a ouvert avec faste sa vingtième édition. Plus une place n’était disponible pour ce concert. Le public avait bien deviné l’événement ; ses attentes ont été comblées