Steven Wilson au casino-théâtre Barrière le 18 septembre : un concert et une expérience pour connaisseurs exigeants mais que les autres regretteront d’avoir boudés, même s’ils sont accros aux derniers disques explosifs de Dr Dre ou Iron Maiden.
Couronné roi aux derniers Progressive Music Awards de Londres (prix de l’album, un ‘tour de force », du design pour le coffret et du succès commercial – une 13ème place dans les charts anglais), Steven Wilson fait de la musique comme il respire. Il est chanteur, multi-instrumentiste, auteur et compositeur, possède ses outils et un label. On peut entrer dans son monde par le morceau d’ouverture de l’album The Raven That Refused To Sing, paru en 2013.
Une basse attaquée au médiator prend dès les premières secondes le contrôle des opérations de ce Luminol. Elle est féroce et véloce, plongée dans des contretemps sans fin, à réveiller un mort ; puis c’est un signal de guitare modulé à fond, une série d’accords plaqués comme dans un vieux disque de Police, doublés à l’orgue, des échos, de la fuzz, et voici une flûte traversière délicate mais qui ne se laissera pas engloutir et aura souvent son mot à dire, un solo de Mellotron, d’autres effets et efforts de guitare électrique flamboyants relancés par d’efficaces roulements de tambour et les cymbales bien maîtrisées, un chœur d’hommes qui fait penser aux vautours du Livre de la Jungle de Disney… les interventions et les prouesses se suivent puis un moment d’apaisement quand Steven Wilson chante calmement à propos de chansons incompréhensibles qu’on apprend de disques rayés, et de retourner à la poussière après le combat. Il est soutenu dans cette exposition un peu mélancolique par le chœur qui, décidément, fait penser à la chanson Suicide Is Painless, dans le film Mash… une nappe de claviers vintage, un grand piano un peu jazz, quelque chose monte et menace, « da da daaa daaaa », le flûte nous avertit quand ça repart, mélodramatique comme dans les vieux morceaux de Genesis, on se croirait dans un film de chevaliers raidis par le code et l’attente du duel ou de la décision royale, mais les soucoupes volantes atterrissent, le piano leur parle de nous les hommes de la Terre, leur raconte nos tribulations mais ça ne plaît pas aux ET et six-cordes s’énerve, suivie par les orgues, les saxophones, les caisses claires, et c’est bientôt fini : la basse a retrouvé de la rondeur sous la pulpe des doigts et la composition se dénoue au bout de douze minutes et dix secondes, comme si de rien n’était, avant que le deuxième titre de l’album ne reprenne l’affaire, gentiment.
Wilson est un nom commun, particulièrement dans la musique : Jackie, Jonathan, Kim (Fabulous Thunderbirds) et, bien entendu, Brian des Beach Boys. Comme s’il y avait plein de Bruel dans la variété française : des Joe, des Patrick, des Claude, des Johnny, des Eddy, des Kenji… Hum…
Steven est un bientôt quinqua à l’allure juvénile, né dans la région de Londres, élevé par des parents affamés de musique, surtout de rock progressif, ce monstre né dans les années 70 avec King Crimson, Yes, ELP, Pink Floyd… Steven en a dans le cornet ; sa culture musicale est immense et bien orientée ; il commence sa quête personnelle, à bricoler des sons avec des guitares incongrues et des magnétos à K7, dès l’âge de 12 ans.
Tout entier à sa dévotion pour la musique, travailleur acharné, il a multiplié les projets et les collaborations, enregistré de l’ambient et du krautrock, connu le succès avec le groupe (ou sa créature) Porcupine Tree, dont les albums sont des merveilles mais peuvent plonger dans le désespoir si on traverse des moments difficiles.
Producteur d’albums apprécié (Anja Garbareck ou Fish), rat de studio, il a été chargé de la rénovation en stéréo et 5.1, à partir des bandes originales et en allant chercher les perles au fond des mixages d’époque, forcément limités quoi qu’on en pense, de quelques véritables chefs d’œuvre du rock progressif signés Gentle Giant, Yes, Jethro Tull et surtout, ses idoles, King Crimson.
Dans la pochette de In The Court Of The Crimson King (à la cour du roi Cramoisi) version 2009, Steven Wilson avoue que cet album vieux de quarante ans a bercé son adolescence (n’importe quelle mélopée de Wilson a ses gènes dans I Talk To The Wind), qu’il l’a révéré, et que travailler avec le fondateur du groupe Robert Fripp sur la matière brute, plongeant aussi loin, grâce aux moyens modernes, que les premières générations de bandes magnétiques et de prises pures, a été une grande expérience, un grand étonnement aussi, quand il s’est aperçu qu’un « brûlot historique » comme 21st Century Schizoid Man fut taillé live en studio, une chevauchée fantastique. « Nous avons pu pénétrer au cœur de la musique comme personne ne l’a fait auparavant », dit-il.
Depuis 2008, Steven Wilson met en pratique dans des albums à son nom les préceptes de ses maîtres ; sa carrière solo a rapidement conquis les faveurs du public spécialisé, et même un peu au-delà. Ses morceaux et ses suites sont à la fois effrayants comme un afflux de réfugiés à la frontière de Hongrie ou une attaque de vampires au-dessus de Berlin ; et tendres comme un Kinder Bueno à la date limite dépassée ; les ouvertures épiques de symphonies rock dirigées par un jeune Karajan et les chansonnettes presque à la Voulzy d’un serial killer amoureux dont les crises de démence le prendraient à la gorge en plein roucoulement de troubadour ; hallali, harmonies, canons, croche-oreilles, murs du son, arpèges moelleux, boucan. Et parfois, des moines s’avancent et commencent à chanter sous les arches de pierre, sortis tout droit des brumes du Moyen-âge ou d’un enregistrement d’Arvo Pärt.
Pourtant, il y a toujours eu dans les enregistrements de ce Wilson une fadeur douceâtre, parfois une froideur, dont sont dénuées les galettes historiques précédemment citées. Quand la musique de Steven Wilson s’emballe, et nous avons tenté d’en décrire quelques aspects au début de cet article, c’est toujours dans une parfaite maîtrise – musicale, technique, intellectuelle, loin de la folie de King Crimson, bien que les disques de Fripp soient réputés sévèrement contrôlés et odieusement intellos.
Cependant, c’est pinailler et des disques pareils, il n’y en a pas à tous les coins de Deezer, bien qu’on annonce pour septembre des parutions inespérées de David Gilmour, Keith Richards et que, sentant moins le formol (pas du tout le génie, malheureusement) le disque de The Arcs, un dérivé des Black Keys, soit assez agréable.
Nous avons évoqué The Raven… pour lequel Steven Wilson a écrit tout un livret et sorti de sa semi-retraite Alan Parsons (l’ingénieur du son de Pink Floyd et auteur de The Eye In The Sky avec son Project, il y a longtemps, dans les années 80) pour l’aider à en trouver et affiner le son.
Grace For Drowning est aussi un grand moment de musique, un double CD paru en 2011 et sur lequel Wilson joue de la plupart des instruments, au côté d’invités qui ont pour nom Steve Hackett ou Tony Levin. No Part Of Me, curieusement, rappelle David Sylvian jusqu’à l’introduction de puissants riffs et croches jazz-rock, et vous tirera larmes et frissons. On entend des mélodies très tristes et faussement mièvres, des guitares précises mais fiévreuses qui s’enroulent comme des boas, les sons douteux de clavier d’antan, pleins de modulations, et quelques colères et gerbes crèveront vos hauts-parleurs mais, par pitié et respect pour l’ingénieur du son et le travail d’enregistrement, n’écoutons pas ça sur des enceintes de PC, ni de Mac !
Hand. Cannot. Erase. Voilà un titre d’album. En 2014, Wilson a publié Cover Version, recueil de singles dont la face A est une reprise du répertoire pop (Alanis Morissette, The Cure, Prince…) et la face B un original, et dans lequel il a tout fait, puis il a repris la route avec un nouvel opus à concept, dans la veine des précédents mais encore plus ambitieux,« directement et métaphoriquement inspiré » par un fait-divers il est vrai bien troublant : le cadavre de Joyce Vincent, une Londonienne de 38 ans aux nombreux amis et relations diverses, a pourtant été retrouvé chez elle deux ans après sa mort. Elle était entourée de ses cadeaux de Noël.
C’est avec ce matériel (mais aussi des œuvres anciennes) et un groupe adéquat que l’artiste apparaîtra sur la scène du casino de Toulouse, au beau milieu d’une tournée qui le mène de la Russie au Portugal, et en préparation de deux soirées au Royal Albert Hall, à la fin du mois.
Greg Lamazères
Steven Wilson
Tour 2015 / 2016
Vendredi 18 septembre 2015
Casino Théâtre Barrière
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