Lors de la sortie de son film Conservation animée avec Noam Chomsky en 2014, j’avais pu rencontrer Michel Gondry (la rencontre est ici), et il évoquait ses futurs travaux « J’écris un film sur deux adolescents, leur amitié, leurs projets ». Ceci est donc devenu un film Microbe et Gasoil, qui sera sur les écrans le 8 juillet. Voici la rencontre que j’ai eue avec le réalisateur Michel Gondry et les deux acteurs principaux, Ange Dargent qui interprète Daniel Guéret, dit Microbe et Théophile Baquet le rôle de Théodore Leloir, dit Gasoil.
Quelle était la toute première idée à l’origine du projet ?
Michel Gondry : Raconter l’amitié entre deux personnes, l’une étant moi, l’autre étant une sorte de synthèse d’amis que j’ai eus dans mon enfance et mon adolescence, qui étaient des gens plutôt extérieurs au groupe, un peu rejetés, mais qui avaient une personnalité plus forte que la moyenne. Par exemple, mes frères avaient des amis plus normaux, des élèves typiques du lycée, alors que mes amis étaient beaucoup plus marginaux. J’ai réfléchi : pourquoi étais-je intéressé et fasciné par ces cas sociaux ? Toute une série de souvenirs sont remontés à la surface et à partir de ça, j’ai fait mon film.
On peut parler de son enfance sans pour autant coller avec autant d’éléments autobiographiques. Si on connait un minimum votre vie, on vous reconnait : l’action se déroule à Versailles, Microbe s’exprime par ses dessins…
Michel Gondry : Je ne sais pas si c’est important de le faire en général quand on réalise un film sur l’enfance, mais en tout cas, c’était un film sur mon enfance et mon adolescence. J’ai donc été assez proche de la réalité, au moins pour la première partie, qui se passe effectivement à Versailles. Quasiment toutes les scènes sont des moments de ma vie, que j’ai réunis dans une autre continuité, car ils ne se sont pas déroulés dans cet ordre.
Qu’est-ce qui vous a plu à la lecture du scénario ?
Ange Dargent : La voiture-cabane, c’est assez génial comme idée : de conduire une voiture pour s’échapper de ses parents, c’est déjà bien ; et si c’est une voiture-cabane, c’est encore mieux ! Ça m’a vraiment beaucoup plu.
Théophile Baquet : Ce n’était pas un scénario commun, ni le genre d’histoire qu’on voit souvent. C’était très original.
Que connaissiez-vous de Michel Gondry avant ce tournage ?
Théophile Baquet : Je ne connaissais vraiment rien de lui avant de travailler avec lui.
Ange Dargent : J’avais vu Soyez sympas, rembobinez, et après, j’en ai vu d’autres.
Aviez-vous une idée de la façon dont allait se passer le tournage ?
Ange Dargent : Le tournage n’était pas commun. Je ne sais plus qui m’a demandé hier si Michel avait crié sur le plateau….
C’était la question suivante : a-t-il crié comme on peut le voir dans le making-of de L’Ecume des jours ?
Ange Dargent : Là, il ne criait pas, mais alors pas du tout. Le tournage était plus calme, il n’y avait pas beaucoup de personnes. Il a vraiment été très sympa, il a assuré durant tout le tournage.
Combien de temps a-t-il duré ?
Ange Dargent : Trois mois, du 4 août au 23 octobre.
Pourquoi a-t-il été si long ?
Ange Dargent : Parce qu’on n’est pas précoces (rires des trois). J’ai moins de 16 ans, je n’avais pas le droit de tourner à certains moments, et je devais suivre des cours. Ça nous a permis aussi de prendre notre temps, et de ne pas se stresser.
Y avait-il une sorte de cahier des charges pour les différentes étapes de l’escapade en voiture, pour la nature des rencontres improbables ?
Michel Gondry : Ils allaient vivre des aventures en effet assez improbables. En gros, tout ce qui était la première partie du film était la réalité de mes souvenirs et la deuxième partie était plus l’aventure où j’ai davantage fait travailler mon imagination. C’était inspiré entre autres de certains de mes rêves. Puis il y a le retour à la maison, où on sent la différence de milieux, entre celui de Théo qui est très dur et celui de Daniel qui est beaucoup plus relax.
Pour l’escapade en voiture, il y avait une histoire à suivre, et on a tourné par ordre chronologique avec un petit plan de leur voyage à travers la France. Au début de leur relation, c’est Théo le meneur et c’est plutôt Daniel à la fin.
Lors de la scène de remise des prix du concours de dessin, les paroles expliquant pourquoi Microbe n’a pas gagné m’ont beaucoup fait rire. Y a-t-il un parallèle avec les films ou la créativité au cinéma ?
Michel Gondry : Non (rires). Cette scène m’est arrivée quand j’étais plus jeune. Le premier prix était une voiture Citroën jaune en état. J’avais naïvement confondu le premier prix avec le sujet du dessin, et j’ai dessiné la voiture. J’avais gagné le deuxième prix qui comme souvent est une surprise. Dans le film aussi et ils gagnent un vol retour pour Versailles.
L’an dernier, je vous avais posé un questionnaire sur vos goûts cinématographiques, et vous m’aviez dit que vous vous identifiiez au film Mes Petites amoureuses de Jean Eustache…
Michel Gondry : J’aime beaucoup ce film. Ce n’est pas vraiment que je m’identifie. Enfin si, il parle de ses problèmes en rencontrant une copine. Il a eu une enfance très dure, un peu abandonné par sa mère, il est élevé par sa tante. Quand sa mère le reprend, il est maltraité. Je l’ai revu récemment. La manière dont il a été tourné, sa sobriété, m’ont beaucoup impressionné. C’est l’un de mes films préférés.
J’ai trouvé qu’il y avait une ressemblance physique entre Daniel des Petites amoureuses et Microbe.
Michel Gondry : Ah c’est possible. C’est vrai quand on y pense mais ce n’est pas volontaire. Je cherchais un garçon qui me ressemblait quand j’avais son âge. Pour revenir aux influences, j’ai aussi pensé à Kes de Ken Loach, qui se passe aussi dans un milieu très difficile, mais qui parle très bien de l’enfance. C’est le genre de films que j’aime beaucoup.
La scène la plus dure à tourner ?
Michel Gondry : Ils ont du mal à répondre à cette question, car sans rien vous cacher, elle a été posée plusieurs fois. Pour moi, c’était la grande scène sur la route, quand ils parlent d’être influençable, de manière assez philosophique. Ils l’ont faite facilement car ils connaissaient bien leur texte, ils pouvaient moduler quand je leur demandais un autre ton. J’étais très angoissé avant de tourner cette scène car elle était très importante dans le film. Et puis, comme elle se déroulait entièrement dans la voiture, c’était compliqué. Il y a la scène où Daniel part chercher le coiffeur, et aussi la scène avec les masseuses et la baston, car ça a pris beaucoup de temps pour les faire. La scène de la voiture qui tombe dans la rivière était une grosse galère quand même, mais eux n’étaient pas là.
Théophile Baquet : En ce qui me concerne, je n’ai pas eu de vrai problème avec une scène. Pour moi, tout s’est très bien passé. Je n’ai pas eu de scène particulièrement plus difficile à jouer qu’une autre.
Ange Dargent : La scène la plus dure… dans le sens la plus dure à jouer, la plus pénible ?
Ou celle que vous appréhendiez le plus ?
Ange Dargent : Dans ce cas-là, c’est celle où je me fais raser les cheveux, juste au milieu. Mais quand on l’a tournée, tout s’est très bien passé. Comme quand j’ai eu à me raser les cheveux, c’était très drôle !
Et la scène la plus facile, ou la plus drôle à jouer ?
Ange Dargent : Franchement, je ne sais pas, tout se valait à peu près, que ce soit la plus facile ou difficile. Mais la plus drôle est celle où à la fin, on fait alléluia, car elle n’était pas du tout prévue. C’était juste une prise pour rigoler, on en avait fait plein de sérieuses avant. C’est surtout quand on a vu que Michel l’avait gardée qu’on l’a adorée.
Dans le film la maladie est très présente : les deux mères sont malades, Microbe a des angoisses au moment de s’endormir, et développe des troubles.
Michel Gondry : C’était conscient car basé sur la réalité. C’est un peu extrême de parler de maladie. Il y a la dépression de la mère, l’enfant a des angoisses. C’est vrai qu’il fait des trucs bizarres pour s’endormir. Tout cela n’est pas vraiment expliqué. La mère de Gasoil est malade de manière plus physique. Tout cela existait, je ne me suis pas posé de question. La dépression de la mère fait que la famille de Daniel, qui a l’air très chaleureuse et confortable, se décrépit lentement. Ça part en vrille, et cela lui donne envie de partir. Ils ont chacun des raisons différentes, par rapport à leur famille, de vouloir passer leurs vacances en dehors d’elle.
Quand j’ai vu Microbe et Gasoil, certaines scènes m’ont rappelé vos précédents films. Quand Microbe dit « ma tante est institutrice », je pense forcément à L’Epine dans le cœur, la voiture-cabane m’a fait penser à la voiture-lit de Jim Carrey dans votre court-métrage.
Michel Gondry : Pour l’institutrice, c’est effectivement vrai.
J’aime bien faire construire des voitures complètement improbables, le côté hybride entre voiture et lit ou voiture et cabane. Dans l’Ecume des jours, il y avait des voitures qui étaient le mélange de voitures de deux marques différentes : le devant d’une et l’arrière d’une autre ou deux fois le devant.
Pour les ROMs, c’est vrai que c’est très copié.
Le fait de reprendre la phrase que Noam Chomsky prononce au sujet de la condition des ROMs dans le documentaire que vous aviez animé et de la faire prononcer par un adolescent, est rare.
Michel Gondry : Je lui ai effectivement fait dire une phrase de Noam Chomsky, sur laquelle je suis d’accord. Elle arrive à un moment où il y a une petite lutte intellectuelle entre les deux amis, qui va mener à une sorte de rupture. Ils partent chacun de leur côté, avec la destruction de la voiture. Je trouvais que c’était intéressant de faire dire cette phrase par Daniel, car c’est plutôt Gasoil qui a des théories sur la politique et l’histoire et la géographie. Ça changeait. C’est probablement Théo qui lui a appris car Daniel est complètement admiratif. J’ai pensé que ce moment du film permettait d’aborder un problème plus grave.
Le dernier plan du film est sur le visage de l’amoureuse, Laura. L’idée était-elle présente dès le premier scénario ?
Michel Gondry : En réalité, de nombreuses versions de scénarios se terminaient sur Laura qui regarde Microbe et on sent qu’elle le voit comme un homme, qu’il a grandi et qu’elle ne le considère plus comme un copain mais comme quelqu’un pour lequel elle a un sentiment amoureux. Ensuite j’ai eu une autre idée, un flash-back sur le moment où ils discutent après la fête et sont déguisés en vieux. Finalement, il y a eu une sorte de mini-coalition des filles du tournage comme Audrey Tautou ou Florence Fontaine, ma costumière, qui ont toutes préféré la première fin et elles m’ont convaincu de choisir celle-ci où on voit justement Laura qui voudrait que Microbe se retourne. Ça se termine sur la prophétie de Théo qui se réalise, c’est-à-dire qu’au bout d’un moment, Daniel ne fera plus attention à elle, alors qu’elle est amoureuse de lui.
Avec le retour à la maison, au collège où Microbe se bat, on bascule dans un conte ou une fable triste.
Michel Gondry : Je voyais aussi le moment du coup de poing comme assez triste mais les gens de la projection ont ri. C’est bizarre mais c’est comme ça.
Il y a la séparation des deux amis et puis finalement sa copine est amoureuse de lui et il s’en fiche. On sent plus le regret d’être séparé de son meilleur ami que la joie que cette fille s’intéresse à lui.
La part du film qui se décide au montage ?
Michel Gondry : Il y a certaines scènes qui sautent, on a toujours un problème de temps au montage, et puis on essaye de centrer plus les éléments d’action sur le sujet principal du film qui est l’amitié entre Gasoil et Microbe. Par exemple, on a fait rentrer Gasoil un peu plus tôt dans l’histoire parce qu’on s’est aperçu que le début du film n’était que de l’exposition. On voyait comment Microbe vivait, sa famille, ses rapports avec les autres élèves de la classe, mais très vite, il fallait faire entrer Gasoil et démarrer leur amitié parce que sinon on s’ennuyait.
Théophile Baquet : Y a-t-il un projet de version longue ?
Michel Gondry : Non, parce que le film, tel qu’il est aujourd’hui, est sa seule manière d’être. Il y avait une scène supplémentaire où Audrey Tautou annonçait aux enfants le divorce avec son mari et on l’a enlevée parce que ça nous remettait dans un quotidien qui n’était pas utile à ce moment-là.
Qu’est-ce que ça vous fait d’être dans le premier hors-série de la revue Répliques, qui vous est entièrement consacré ?
Michel Gondry : Cela fait plaisir, même si je ne m’en rends pas bien compte. Quand je donne des interviews assez importantes dans les journaux, ils coupent après, j’espère que ça ne va pas être leur cas.
Quels sont vos futurs projets ?
Michel Gondry : Je commence vaguement l’écriture d’un film qui devrait se faire aux Etats-Unis mais je ne suis pas sûr si ça va se faire ou pas, je ne peux pas en parler.
Théophile Baquet : J’ai passé beaucoup de castings récemment mais il n’y en a aucun qui m’ait vraiment rappelé. Il n’y a rien de sûr pour l’instant, mais j’espère qu’un truc se concrétisera l’année prochaine, ce serait franchement cool.
Ange Dargent : Pour l’instant je n’ai pas vraiment de projet. A la sortie du film je vais essayer d’avoir un agent et puis j’aimerais bien devenir acteur.
Merci à Michel Gondry, Ange Dargent et Théophile Baquet pour leur bonne humeur durant cette rencontre.
Merci à l’Utopia Toulouse, Studio Canal et à la technologie que je n’ai pas, mais dont j’ai disposé.