Pour les 250 ans de la mort de Jean-Philippe Rameau (1764), le Théâtre du Capitole présente l’un des plus absolus chefs-d’œuvre du compositeur dijonnais : Castor et Pollux, et ce, dans la seconde version remaniée par le compositeur, datant de 1754. Voyons un peu les intervenants de cette production en nos lieux.
Après Les Indes galantes de Rameau en 2012, reviennent au Capitole dans la fosse, Christophe Rousset et son ensemble Les Talens lyriques. Le chef a déjà collaboré avec Mariame Clément lors de la création de cette production de Castor et Pollux en janvier 2011 au Theater an der Wien, puis à l’occasion de Platée de Rameau à l’Opéra de Strasbourg en juin 2014. Le Capitole a invité pour la première fois, la jeune metteur en scène Mariame Clément, en avril 2014, pour la création des Pigeons d’argile de Philippe Hurel. Elle donne ici une lecture très paradoxale de Castor et Pollux. Ses mises en scène ont en effet pris pour habitude de secouer …les habitudes !! Foin de la mythologie et du XVIIIè. Pas d’antiquité de pacotille, pas de toges ni d’allusions au siècle de Rameau, mais une vision où l’histoire particulière narrée par le librettiste et le compositeur trouvent des échos universels et intemporels. Au sens strict, une lecture abstraite, mais avec toute l’humanité que Mariame Clément met dans sa direction extrêmement fouillée des acteurs, cette abstraction n’aura rien de froid ni de distancié, bien au contraire.
Le ténor Antonio Figueroa fera sa première incursion dans la musique de Rameau avec le rôle de Castor. C’est dans un tout autre répertoire qu’il a débuté au Capitole en 2012, celui d’Offenbach avec le rôle de Pâris dans La Belle Hélène. À ses côtés, Aimery Lefèvre abordera pour la première fois le rôle de Pollux. Le baryton français a déjà chanté beaucoup d’œuvres de Rameau telles Les Indes galantes, Hippolyte et Aricie, Platée, Zaïs. Dernièrement, on a pu l’entendre à Toulouse dans Les Pigeons d’argile de Philippe Hurel, ainsi que dans Un bal masqué de Verdi. Passons aux deux cousines. Grand écart aussi pour Gaëlle Arquez depuis la création des Pigeons d’argile et après La Belle Hélène, et que l’on découvrira ici dans le personnage enflammé de Phébé. Cette saison, la mezzo-soprano a déjà interprété ce rôle à Dijon et Lille, et sera Iphise dans Dardanus au printemps 2015 à Bordeaux et Versailles. Télaïre, sœur de Phébé, la plus convoitée, sera incarnée par la soprano québécoise Hélène Guilmette, très applaudie sur la scène du Capitole dans Les Indes galantes en 2012. Après Toulouse, elle abordera la Mélisande de Debussy à l’Opéra de Lyon, puis sera au Covent Garden de Londres pour L’Étoile de Chabrier et au Festival de Glyndebourne pour sa première Héro dans Béatrice et Bénédict de Berlioz.
Enfin, nous découvrirons quatre artistes, Hasnaa Bennani, Sergey Romanovsky, Konstantin Wolff et Dashon Burton. Ce dernier donnera un récital dans le cadre des Midis du Capitole le 26 mars à 12h30.
On laisse de côté l’argument que tout un chacun connaît ou, pourra retrouver enfoui dans une mémoire à rafraîchir et profitons plutôt des impressions laissées lors de la création de cette production sur une scène viennoise en janvier 2011.
Pour éviter de heurter des sensibilités peu préparées encore à goûter les charmes musicaux du baroque français, Christophe Rousset et Mariame Clément ont opté pour la deuxième version de l’ouvrage, moins allégorique de ton (le Prologue et le «Ballet des Planètes» final sont absents), mais plus théâtrale dans le déroulement de l’action. Les divertissements sont certes interprétés intégralement, mais ne sont pas dansés : ils servent de toile de fond à des saynètes muettes évoquant, sur le mode du flash-back cinématographique, les épisodes les plus marquants de la vie des quatre personnages principaux.
De fait, responsable de cette nouvelle production, Mariame Clément la considère également « plus accessible à un public moderne ». Elle met en scène l’intrigue comme s’il s’agissait d’un drame de la haute bourgeoisie, où le silence est d’or : sans fioriture, avec une austérité gestuelle calculée, elle concentre l’intérêt sur la complexité des rapports entre ces membres d’une même famille (Phébé et Télaïre, filles du Soleil, sont en fait cousines des deux frères et ont été élevées avec eux). Un passé commun, fait de secrets tus et de traumatismes mal vécus, soude les deux couples, comme le rappellent les nombreux intermèdes muets. Ce beau travail souligne avec pertinence toute la modernité de l’univers de Rameau, rendant caducs les reproches de faiblesse adressés au livret de Pierre Joseph Bernard. « Rarement aura-t-on vu une mise en scène si fouillée, si juste et en même temps si fluide et si lisible. On ne peut qu’espérer une reprise. » tels étaient quelques commentaires après la création de cette production à Vienne. On est rassuré !!
Des représentations données à Vienne, il y a maintenant quatre ans, il a été relevé dans le très positif, la complicité entre metteur en scène et chef d’orchestre, évidente : « Christophe Rousset et ses Talens Lyriques adaptent pauses et silences à la narration du plateau sans tomber dans la lourdeur. Bien au contraire: tempos vifs, pâte d’orchestre légère et lumineuse, phrasés souples mais délicatement articulés, aux équilibres et aux dynamiques soignés, témoignent d’un Rameau très personnel qui trouve son sens dans l’éther d’un songe furtif. » devant de tels compliments, on est encore davantage, rassuré !!
Et encore, toujours sur chef et orchestre, la musique de Rameau étant d’une importance capitale dans ses opéras, « musique éblouissante en constante recherche expérimentale… » nous dit le chef, « Les Talens Lyriques sont immanquablement très à l’aise. Le nom de cet ensemble n’a-t-il pas été d’ailleurs choisi en référence au sous-titre des Fêtes d’Hébé, autre ouvrage de Rameau ? Christophe Rousset, avec cette battue très spécifique (on pense à la gestuelle scénique baroque) qui le caractérise, donne tout son poids à cette magnifique partition et élabore avec le plateau une interactivité permanente. Le résultat est lumineux et conserve simultanément cette âpreté qui singularise la tragédie lyrique française. »
L’impressionnant décor en miroir de Julia Hansen représente le hall d’une belle demeure à l’anglaise, où pourrait se jouer n’importe quel film policier d’Hitchcock. Un immense escalier, recouvert d’un long tapis rouge, mène à la porte d’une pièce où vit le maître de maison (Jupiter). Presque toujours fermée, elle est gardée par un cerbère (le Grand Prêtre) qui veille à éloigner tout importun. Les parois latérales, de couleur noire, sont privées de tout ornement à l’exception d’une sombre galerie de portraits d’ancêtres, aux traits déjà rongés par le temps. Elles sont percées d’ouvertures menant vers des appartements invisibles et de mystérieux lieux de service, d’où font régulièrement irruption les protagonistes. Toute allusion visuelle à la mythologie est bannie.
Les Enfers se muent ainsi en une chambre d’hôpital d’un blanc immaculé, planant entre les cintres et le plateau : sur le lit gît le corps sans vie de Castor, que Pollux entend ramener sur terre pour le rendre à Télaïre. L’allusion à l’enfance ouatée et à l’éducation stricte des deux frères apparaît durant les épisodes originalement dévolus à la chorégraphie. On ne danse pas mais on se souvient et on voit grandir Castor, Pollux et leurs futures épouses, Phébé et Telaïre. Cette atmosphère trouble relève autant du thriller que de la saga familiale et rappelle l’universalité du livret.
La distribution choisie pour le Capitole doit entièrement nous rassurer quant au français prononcé. Pareil pour les qualités du Chœur du Capitole sous la direction d’Alfonso Caiani. Finalement, il ne reste plus qu’à se précipiter !!
Quelques mots sur le compositeur de ce chef-d’œuvre qui fut objet de culte à l’Académie Royale de musique jusqu’à sa deux cent cinquante-quatrième et dernière représentation en 1785. Puis, plus rien jusqu’en 1903, date de sa renaissance, mais en concert.
« Point d’ouvrages, soit de la nature, soit de l’art, soit en physique, soit même en morale, qui ne soit susceptible de ce terme, harmonie universelle, harmonie céleste, harmonie du corps humain, harmonie en peinture, en architecture, harmonie du gouvernement. Si l’on demande aux peintres ce que c’est qu’accorder un tableau, on verra que c’est faire pour contenter l’œil, ce qu’on fait en musique pour contenter l’oreille, pour parvenir cependant à la justesse exacte, rigoureuse et sensible qu’on trouve dans la musique, laquelle nous semble être données par la nature comme le type sensible de ce qui doit être en proportions, c’est-à-dire en toute perfection. » Jean-Philippe Rameau
Sa vie et ses contemporains
Jusqu’au-boutiste, l’homme d’idées s’empoigna en vain avec les philosophes. Il rêvait d’un spectacle total : tempêtes magnifiques, apparitions mystérieuses, éruptions volcaniques, métamorphoses inattendues, en un mot l’opéra à la française.
Jean-Philippe Rameau naît à Dijon en 1683, époque riche en naissances célèbres : Watteau en 1684, Jean-Sébastien Bach, Friedrich Haendel et Domenico Scarlatti en 1685. François Couperin a 15 ans et Lully va mourir en 1687. Enfin, c’est l’époque de la pleine gloire de Louis XIV qui règne depuis 1682 de son château de Versailles.
Fils d’organiste, Rameau a son père pour maître. Il est aussi bon violoniste et excellent claveciniste. Très jeune – dix-huit ans – il prend contact avec l’Italie à Milan, mais ce voyage reste sans suite. Rameau ne semble pas atteint par l’influence italienne… et pourtant l’art musical italien envahit la France et les années 1701-1702 voient déjà se dessiner les querelles qui opposeront plus tard Italiens et Français sur les diverses conceptions artistiques. Tout le XVIIIe siècle musical et littéraire va d’ailleurs sans cesse rallumer ces querelles.
De 1702 à 1713, Rameau est organiste successivement à Avignon, Clermont-Ferrand, Paris, Dijon, Lyon. C’est à Paris qu’il publie en 1706, son premier livre de pièces de clavecin. C’est aussi la création d’un de ses grands motets : In convertendo captivitatem. 1722 est une année capitale dans sa vie. Quittant définitivement Clermont-Ferrand pour Paris, il publie son Traité d’harmonie réduite à ses principes naturels, ouvrage théorique extraordinairement dense, essentiel à l’éclaircissement des connaissances de l’époque, et témoignage d’une très grande science musicale.
C’est vers 1727 qu’il tente des essais de théâtre lyrique, sans succès : manque de librettiste et peut-être de relations… Il ne reste pas muet pour autant. Deux recueils de pièces de clavecin (1722-1728) voient le jour, ainsi que les grands motets Laboravi clamans et Quam Dilecta.
C’est enfin la rencontre avec le très riche fermier général Le Riche de La Pouplinière, mécène, et le début pour Rameau de la période de création des opéras : 1733, Hippolyte et Aricie (sur un livret de l’abbé Pellegrin), Castor et Pollux, 1737, Dardanus, 1739…
Puis ce sont des ballets, Les Indes Galantes, (1735), Les Fêtes d’Hébé, 1739… En 1733, Rameau a cinquante ans et J.-S. Bach écrit la Messe en si mineur. A la même date, meurt François Couperin. Une série de ballets et de divertissements de Rameau sont joués à Versailles entre les années 1739 et 1750. C’est la gloire avec sa nomination comme compositeur de la Chambre du roi Louis XV (1745), tandis que Madame de Pompadour commence à lui prodiguer quelques faveurs. En 1750, c’est aussi la mort de J.-S. Bach. Mêlé à la Querelle des Bouffons, attaqué par les encyclopédistes, Rameau, toujours très digne, reste soutenu par le roi et la grande majorité des partisans de la musique française. Au faîte de la gloire, Rameau meurt en 1764.
Et le véritable succès est enfin reconnu. Etrange personnalité tout de même que cet homme. D’un naturel bourru et taciturne, il prisait surtout la solitude, refusant même de sacrifier aux simagrées les plus élémentaires de la politesse. Son neveu en brossera un portrait au vitriol au cours de la longue conversation qu’il eut avec Diderot et qui donna à ce dernier l’idée du Neveu de Rameau : « C’est un philosophe dans son espèce. Il ne pense qu’à lui. Le reste de l’univers lui est comme d’un clou à soufflet. Sa femme et sa fille n’ont qu’à mourir quand elles voudront : pourvu que les cloches de la paroisse qu’on sonnera pour elles continuent de résonner la douzième et la dix-septième, tout sera bien… » Autant dire : un monstre, coupable d’insensibilité et d’inhumanité, une sorte de cérébral sec, perdu dans son monde d’accords et de notes, de rythmes et d’instruments. En réalité, on lui reproche surtout et on ne lui pardonne pas, d’avoir été un théoricien précis, doublé d’un compositeur inspiré, un homme pour qui la musique n’était pas simplement ce « doux art d’agrément » cher à Boileau, mais une science au même titre que la mathématique, la physique ou l’optique et enfin, le plus grand reproche, c’est d’avoir défendu ses idées contre vents et marées. Question polémique, sa vie fut rudement remplie ! Il s’empoigne avec les Jésuites à propos de certains articles du Dictionnaire de Trévoux. Dès la parution des premiers volumes de la monumentale Encyclopédie de d’Alembert et Diderot, il rédige des textes sur les Erreurs sur la musique dans l’Encyclopédie. Il polémique avec Voltaire, il combat Diderot, prend violemment position dans la Querelle des Bouffons, mais c’est contre les théories de Jean-Jacques Rousseau qu’il mena les plus âpres batailles.
« Qui dit un savant musicien, entend ordinairement par là un homme à qui rien n’échappe dans les différentes combinaisons de notes; mais on le croit en même temps tellement absorbé dans ces combinaisons qu’il y sacrifie tout, le bon sens, le sentiment, l’esprit et le raison. Or, ce n’est question que de notes et rien de plus; de sorte qu’on a raison de lui préférer un musicien qui se pique moins de science que de goût … Il serait à souhaiter qu’il se trouvât … un musicien qui étudiât la nature avant que de la peindre et qui, par sa science, sût faire le choix des couleurs et des nuances … » Jean-Philippe Rameau
Michel Grialou
Théâtre du Capitole
du mardi 24 mars au jeudi 02 avril 2015
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Les Talens lyriques