Jean-François Zygel joue avec Mendelssohn
Espace Croix-Baragnon 11 mars 2015
Pour ce « concert-causerie » autour de Felix Mendelssohn, Jean-François Zygel nous a fait l’aveu de sa méthode pour restituer si profondément l’univers d’un musicien : comme on dialogue avec les ombres en faisant tourner les tables, lui essaie de pénétrer l’âme même du musicien par sortilèges et empathie, en se mettant le plus possible dans les notes, les pensées, et les traces de celui-ci. Alors seulement il saura « faire tourner le piano » en interrogeant l’intime de sa musique.
Et ses improvisations qui sourdent alors de sa sensibilité du moment, des effluves musicaux du compositeur avec qui dialoguer, donnent des musiques qui sont autant de portraits musicaux du compositeur choisi, mais aussi de Jean-François Zygel lui-même en relation quasi fusionnelle avec le compositeur.
Il ne l’interprète pas, il joue avec lui.
Par bien des chemins buissonniers Jean-François Zygel fait redécouvrir un musicien que l’on croyait pourtant connaître, mais qu’il éclaire par des commentaires aussi légers que savants et rend vivant par les paysages musicaux qu’il déroule dans ses improvisations qui tournent autour de l’univers musical du compositeur choisi, ici le grand Felix Mendelssohn.
Ses improvisations deviennent un échange qui éclaire bien des aspects d’une œuvre.
Par l’humour et la poésie ce pianiste virtuose et fantasque approche au plus près la vérité d’un compositeur, qu’une interprétation classique n’aurait fait qu’effleurer.
Et ses variations, ses parties de cache-cache, avec les thèmes retenus dévoilent bien plus sûrement la personnalité du compositeur célébré.
Il semble bavarder, se perdre dans des digressions, mais en fait son spectacle est parfaitement structuré et soutenu par son immense érudition. Approfondir la connaissance d’un compositeur en procurant du plaisir est sa magie. Il sait faire naître une véritable empathie, ce soir avec Felix Mendelssohn.
Jean-François Zygel adore la scène et le public qu’il sent et ressent, qu’il a joie à non pas doctement parler d’un compositeur, mais faire la fête avec le public, avec pour invité le compositeur à la table de son piano.
Il est un merveilleux communicant, un artiste de partage.
Ce n’est plus une causerie, un concert, un récital mais une plongée délectable dans l’univers d’un compositeur sans jamais faire entendre de ce compositeur que des allusions furtives, des « visions fugitives », mais qui cernent la vérité de ce compositeur.
Et pour cette mémorable rencontre avec Felix Mendelssohn, Jean-François Zygel a voulu, et réussi, à réhabiliter un musicien très sous-estimé encore maintenant.
Le lumineux, le limpide, Felix Mendelssohn fut de tous les compositeurs haïs par les nazis, le plus exécré, car il témoignait tout simplement de la grâce en musique. De tous les dons attribués par les dieux aux hommes et en plus il était d’origine juive ! Debussy et Wagner ne pouvaient le lui pardonner. Et le jeu stupide des comparaisons, souvent avec Schumann, tend à le discréditer. Or Schumann lui doit presque tout en fait, et le mouvement romantique encore plus.
Le mouvement romantique que Jean-François Zygel définit de façon lumineuse par quelques critères : expression de son moi intime, flux musical continu, réinventions du passé…
Tous ces attributs présents chez Mendelssohn.
Et surtout la musique de Felix Mendelssohn est presque insaisissable.
Cette musique blanche de tendresse, et non pas d’insomnie, a le goût des fleurs fanées tant aimées et qui ont disparu. Une douce nostalgie l’imprègne et nous fait rêver. Mendelssohn semble se caractériser par sa mélodie longue, ample, se déroulant comme un lierre dans une expansion infinie. Tout ondule, tout frissonne à peine, parfois cette musique danse et frémit comme un vent doux.
Lui et sa musique glissent entre les mots dès que l’on se rapproche de son œuvre. Tout semble harmonieux en lui, d’une douceur mélodique évidente laissant planer au-dessus de lui une aura de mièvrerie. Trop aimé des Dieux, et tellement d’ailleurs qu’il mourut fort jeune, sa vie est un long fleuve tranquille, sa carrière une réussite totale, sa musique un moment suspendu dans la sensibilité européenne de son temps. Tout est mélodies sans paroles, bonheur sans faille apparente et pourtant cet enfant gâté des muses et par ses parents est bien plus complexe et recèle quelques secrets et quelques fêlures, une obsession de la mort aussi. Mais ses musiques restent des fontaines toujours vives. Et lui l’incarnation de la générosité et amour, lui doué pour tous les arts.
Tout cela Jean-François Zygel nous le dit en quelques mots éclairants, et des notes aussi belles que celles de Felix Mendelssohn.
Il rend à Felix Mendelssohn sa place comme le compositeur le plus important de son temps, qui aura inventé la plupart des formes qui vont structurer le romantisme (quatuors avec piano, confidences au piano…).
Par ses superbes improvisations, Jean-François Zygel restitue la tendresse et la musicalité du doux Felix, et aussi de l’amour de celui-ci pour Bach qu’il contribua à ressusciter pour le grand public.
Ce sont toutes ses émotions que Jean-François Zygel a fait naître en faisant tourner ses paroles et son piano.
Notre funambule des mots et des notes, tout en légèreté presque aérienne, sait aussi bien évoquer en visions fugitives les Romances sans paroles, les Préludes et Fugue, l’ombre de la sœur tant aimée, Fanny, et aussi le printemps qui s’avance.
Afin de conclure en fanfare sa promenade inspirée dans la musique de Felix Mendelssohn, Jean-François Zygel se lance dans un désopilant discours sur les marches nuptiales, en comparant malicieusement celle du Lohengrin de Wagner et celle du Songe d’une nuit d’été de Felix Mendelssohn.
Si en fait dans ces musiques les mariages se terminent mal, dans la dernière brillante improvisation de Jean-François Zygel, la nuit de noces est bien consommée !
Mendelssohn peut remercier Jean-François Zygel pour cet amoureux hommage à sa musique.
Gil Pressnitzer