Une fable pacifiste décoiffante
Pour son premier, et prometteur, long métrage, le journaliste Sylvain Estibal se lance dans un conte aussi féroce qu’amusant. Et pourtant le pari est risqué car le sujet n’est rien moins que le conflit israélo-palestinien ! Sous des allures chaplinesques et avec un anti-héros qui fait irrésistiblement penser à Buster Keaton, le réalisateur nous amène à Gaza, rencontrer un pauvre pêcheur, Jafaar qui, un beau jour, ramène dans ses filets l’animal maudit des musulmans : un cochon. Tombé on ne sait de quel bateau, celui-ci terrorise Jafaar qui, n’arrivant pas à le tuer, trouve un créneau pour l’exploiter …clandestinement. Totalement rocambolesques, les aventures de Jafaar (formidable Sasson Gabai) et de son cochon nous montrent habilement le quotidien des palestiniens vivants misérablement, aux prises permanentes avec l’armée israélienne et les barbus pontifiants. La vie de Jafaar a un horizon de 24h. Il est plutôt question pour lui de survie et donc de système D. Sylvain Estibal n’élude aucun sujet, qu’il s’agisse de l’ahurissant employé de l’ONU, du barbier qui propose une kalachnikov du matin pour le soir, ou encore de la transformation de ce pauvre Jafaar en bombe humaine. Et tout cela avec un sens de l’humour, de l’absurde aussi, qui fait mouche à tout instant. Tourné à Malte en grande partie (Gaza aurait été un peu compliqué), ce film ne se veut nullement moralisateur ou partisan. Dans ce condensé d’humanité, c’est toute la problématique d’un conflit d’une extrême complexité qui prend corps. Tourné avec une équipe réunissant Israéliens, Palestiniens, Algériens, Syriens, Tunisiens, un « commando pacifiste » comme dit Sylvain Estibal, ce film permet à ce dernier, dixit, de « pousser un cri de rage comique ». Dans tous les cas espérons un second long, car celui-ci montre un talent remarquable. Pour le moins !
Robert Pénavayre
«Le premier long métrage de Sylvain Estibal vient de remporter le Prix du Public au Festival international de Tokyo »