Pendant que Tristan et Isolde exige dans la fosse du Théâtre près de quatre-vingts musiciens sous la baguette de Claus Peter Flor, et ce jusqu’à la dernière du 11 février, l’orchestre occupe l’autre partie des troupes, et pas avec des œuvrettes. C’est du “lourd“.
La preuve : Sous la baguette de son directeur musical Tugan Sokhiev, l’ONCT se produira à Toulouse le jeudi 5 puis, dès le lendemain 6, dans la nouvelle Philharmonie de Paris pour sa saison inaugurale, dans une œuvre gigantesque : le Requiem ou encore Grande Messe des morts d’Hector Berlioz. L’œuvre sera à la dimension du lieu. Le chœur est l’Orféon Donostiarra, partenaire privilégié du Capitole, et le ténor, Bryan Hymel.
Un deuxième concert à la Philharmonie sera destiné aux familles avec la complicité d’Olivier Bellamy en récitant, journaliste, producteur de radio, écrivain. L’œuvre retenue est Casse-noisette de TchaÏkovski, des extraits de l’acte II.
A Toulouse, Halle aux Grains, place ensuite le samedi 14 février à Jeanne d’Arc au bûcher d’Arthur Honegger, immense fresque musicale qui réunira à Toulouse notamment, le talentueux chef japonais Kazuki Yamada et la célèbre actrice Marion Cotillard.
Enfin, l’Orchestre du Capitole et Tugan Sokhiev s’envoleront pour une nouvelle tournée au Japon, en compagnie du violoniste Renaud Capuçon et de la pianiste Yulianna Avdeeva.
Grande Messe des morts.
Lettre du jeune Berlioz à son oncle Victor, le 18 février 1825 : « Ce sur quoi je compte principalement, c’est une certaine puissance motrice que je sens en moi, un feu, une ardeur que je ne saurais définir, qui se dirige tellement vers un seul point : la grande musique, dramatique ou religieuse… ». “Dramatique ou religieuse“, étonnante profession de foi pour un musicien de 21 ans qui n’a pas encore découvert Beethoven, ne mesure pas encore ce que le genre instrumental expressif peut apporter, mais qui désigne déjà deux des grandes manières qui seront les siennes.
De son Requiem, Hector Berlioz a tout dit dans ses Mémoires, les retournements, coups fourrés et autres désagréments qui ont jalonnés la genèse et la création de sa gigantesque œuvre sacrée. C’est une des œuvres les plus enregistrées de Berlioz, et qui souffre en même temps de bien des malentendus. Elle traîne encore auprès de quelques-uns la réputation d’être vainement fracassante, alors que les moments de terreur sont là pour rompre avec la texture d’ensemble, faite avant tout d’humilité et de dépouillement.
Sa première grande œuvre est la mise en musique de l’ordinaire de la messe, exécutée à l’église Saint-Roch en 1825, ce qui lui vaut de passer les portes du Conservatoire dirigé par un certain Cherubini qui l’a remarqué. Puis, dans une version remaniée, ce sera à Saint-Eustache : la Messe solennelle.
1837, résumons un peu les événements : la partition de Benvenuto est juste terminée. C’est par l’entremise d’un ami qu’il se voit commandé une messe de requiem pour commémorer le souvenir des victimes des révolutions de l’année 1830, et aussi, pour célébrer la mémoire d’un maréchal victime d’un attentat en 1835. Il va se jeter avec fièvre dans la partition qu’il compose avec beaucoup de soin. Il voit grand ! puisque ce sera donné aux Invalides avec cinq cent exécutants. C’est donc le moment d’écrire une œuvre vaste, poignante mais intime à la fois, ornée de temps à autre, de cataclysmes d’où l’effectif prévu.
Patatras!! Le roi Louis-Philippe est informé de débordements politiques éventuels, paraît-il. Craignant le pire, il fait tout annuler, et la partition composée en trois mois, devient obsolète. Notre compositeur est au désespoir, état tout à fait compréhensible. En réalité, Cherubini a intrigué dans l’ombre puisque c’est son Requiem qui sera donné. Mais, tout n’est pas perdu. Berlioz est sauvé grâce à la conquête de l’Algérie, commencée sept ans plus tôt. Lors de la prise de Constantine, le général Danrémont est tué. Il lui faut des funérailles nationales. Elles auront lieu aux Invalides le 5 décembre 1837. On va jouer pour l’occasion la Grande Messe des morts. Devant un public officiel, l’exécution est retentissante, la presse unanime. Berlioz n’a pas que des amis mais le compositeur est reconnu.
Et tant pis si Berlioz transpose, omet, mélange les textes liturgiques dans sa grande messe. Dix numéros sont prévus. La durée de l’œuvre peut atteindre les cent quarante minutes pour les exécutions les plus lentes. Soit en moyenne, deux heures. Cette œuvre, d’inspiration religieuse, amène le compositeur à se retrouver affublé pour sa musique du qualificatif « style architectural » : par ce type d’écriture monumentale, Berlioz s’inscrit bien dans une tradition, celle des cérémonies religieuses, ou des fêtes révolutionnaires. Qu’il métamorphose un peu par l’usage du colossal et de l’exceptionnel.
« Ces propositions musicales que j’ai essayé de résoudre {…} sont exceptionnelles par l’emploi de moyens extraordinaires. Dans mon Requiem, par exemple, il y a quatre orchestres d’instruments de cuivre séparés les uns des autres, et dialoguant à distance autour du grand orchestre et de la masse des voix. {…} Mais, c’est surtout la forme des morceaux, la largeur du style et la formidable lenteur de certaines progressions dont on ne devine pas le but final, qui donnent à ces œuvres leur physionomie étrangement gigantesque, leur aspect colossal {…}
Effectif courant de cette œuvre que son compositeur plaçait au premier rang parmi ses créations, s’employant à la faire exécuter le plus souvent possible en France comme à l’étranger, malgré les exigences de l’effectif lui-même, à savoir un ténor solo, un chœur mixte et un grand orchestre dont 4 flûtes, 2 hautbois, 4 clarinettes, 8 bassons, puis les cuivres, 12 cors, 12 trompettes, 12 trombones, 10 tubas !, 10 timbales, et batterie complète dont 16 cymbales et 4 tams-tams. On n’oubliera pas tous les pupitres de cordes. Au départ, au total, Berlioz souhaitait cinq cents exécutants. On ne mentionne pas les besoins des quatre petits orchestres placés aux quatre angles de l’édifice, en l’occurrence la Halle puis la Philharmonie. Justement, cela risque d’être un peu juste côté place à la Halle !!
Bryan Hymel, ténor, a déjà un très très beau début de carrière derrière lui, relativement impressionnant même. Son intervention est courte mais cruciale. En planant dans les hauteurs, il donnera son sens à toute l’œuvre, qui suit un plan dantesque, de l’Enfer au Purgatoire et au Paradis. Pour cela, il doit chanter avec…simplicité, tout simplement, si je puis dire !
Pour information : En 2012/2013, le ténor Bryan Hymel se voit décerner l’Olivier Award par le Covent Garden de Londres pour ses trois prestations dans Les Troyens, Robert le diable et Rusalka. Suite à ses débuts au Metropolitan Opera de New York en 2012 dans Les Troyens (Énée), l’opéra lui remet le Prix Beverly Sills décerné aux chanteurs âgés de vingt-cinq à quarante ans ayant interprété des rôles de solistes sur la scène new-yorkaise. En 2013/2014, il interprète Henri (Les Vêpres siciliennes) au Covent Garden de Londres puis Pinkerton (Madame Butterfly) au Met. Il débute dans le même rôle à la Staatsoper de Vienne. Il achève la saison avec ses débuts dans le rôle exigeant d’Arnold (Guillaume Tell) à la Staatsoper de Munich. Cette saison, il retourne notamment au Met pour La Bohème (Rodolpho) puis interprète Don José (Carmen) à la Nouvelle-Orléans. Il fait ensuite ses débuts au Lyric Opera de Chicago avec une prise de rôle : Percy dans Anna Bolena. Après La Bohème (Rodolpho) à Dallas, il débute à l’Opéra de San Francisco avec le rôle d’Enée dans Les Troyens. Invité par les plus grandes maisons d’opéra et festivals, Bryan Hymel se produit également à la Scala de Milan (Don José dans Carmen en 2010), à l’Opéra de Santa Fe (rôle-titre de Faust en 2011), à la Canadian Opera Company (Pinkerton dans Madame Butterfly en 2009)…
Orféon Donostiarra – José Antonio Sainz Alfaro, direction
Le répertoire de l’Orféon Donostiarra, fondé en 1897, couvre une centaine d’œuvres pour chœur et orchestre, plus de cinquante titres d’opéras et de zarzuelas, ainsi qu’un grand nombre d’œuvres de folklore et de polyphonie. Il conserve l’esprit de chœur amateur, avec toutefois un fonctionnement professionnel, capable d’offrir 35 à 40 concerts par an. José Antonio Sainz Alfaro le dirige depuis 1987.
L’Orféon Donostiarra participe aux festivals de musique les plus importants d’Espagne et d’Europe : Salzbourg, Montreux, Triennales de la Ruhr, Lucerne, Saint-Denis, Chorégies d’Orange, Radio France et Montpellier, Quinzaine musicale de Saint-Sébastien. En 2013, Riccardo Chailly fait appel à l’Orfeón Donostiarra pour la Symphonie n°8 de Gustav Mahler qu’il dirige à Milan pour fêter les 20 ans de l’Orchestre Giuseppe Verdi. Il collabore avec les plus grands orchestres actuels sous la direction des plus grands chefs tels que Claudio Abbado, Daniel Barenboïm, Riccardo Chailly, Rafael Fruhbeck de Burgos, Daniele Gatti, Valery Gergiev, Lorin Maazel, Riccardo Muti, Seiji Ozawa, Sir Simon Rattle, Esa-Pekka Salonen…
Il a réalisé plus de 130 enregistrements.
I REQUIEM ET KYRIE (andante un poco lento)
La séquence extra-liturgique du Dies irae se trouve ensuite répartie en cinq numéros, certainement les moments les plus forts de la partition, ceux dont les effets sont les plus minutieusement calculés.
II DIES IRAE (moderato)
III QUID SUM MISER (andante un poco lento)
IV REX TREMENDAE (andante maestoso)
V QUARENS ME (andante sostenuto)
VI LACRYMOSA (andante, non troppo lento)
VII OFFERTORIUM (moderato)
VIII HOSTIAS (andante, non troppo lento)
« chœur des âmes du Purgatoire »
IX SANCTUS (andante, un poco sostenuto e maestoso – allegro non troppo)
X AGNUS DEI (andante, un poco lento)
La coda développe un sextuple « Amen »
Œuvre de style théâtral, et cependant de haute spiritualité, la Grande Messe des morts manie les contrastes avec une redoutable efficacité : entre les moments d’épouvante, aux effectifs colossaux, aux fracas terrifiants, s’insinuent des pages d’intériorité, d’imploration suave, ou de déploration effusive aux limites du silence. L’atmosphère créée est unique, typiquement “berliozienne“, et donc si facilement reconnaissable.
Michel Grialou
« Grande Messe des morts » de Berlioz,
par Bryan Hymel (ténor) et le Chœur Orfeón Donostiarra, sous la direction de T. Sokhiev :
Jeudi 5 février, 20h00, à la Halle aux Grains,
place Dupuy, Toulouse. Tél. 05 61 63 13 13.
Concert retransmis en direct sur medici.tv
Vendredi 6 février, 20h30, à la Philharmonie,
221, avenue Jean-Jaurès, Paris.
Tél. 01 44 84 44 84.
Concert retransmis en direct sur Radio Classique
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