A l’occasion de son passage à Toulouse pour la 19e édition du festival Cinespana, où elle a reçu un prix pour l’ensemble de sa carrière, Lola Dueñas a accepté de répondre à mes questions sur son film Alléluia.
Comment Fabrice Du Welz vous a-t-il choisie ?
La rencontre était magnifique. On lui avait parlé de moi. Il connaissait mon travail, mais je n’étais pas celle qu’il cherchait. Le lendemain matin, il m’a croisée au supermarché à Paris et il m’a suivie, et le jour d’après, il m’a envoyé le scénario. C’est très joli la façon dont il raconte que pour lui, cette rencontre a été une évidence. Il a beaucoup lutté pour m’imposer car au début, les producteurs ne me voulaient pas « pas de Lola avec son accent ! » Il m’a toujours appelée pour me dire la vérité sur leurs conversations, qu’on allait lutter ensemble pour faire le film. Après la première semaine de tournage, les producteurs sont tous venus autour de moi (Lola prend une voix très douce) : « Lola, comment ça va ? » (rires) et tout s’est très bien passé avec eux.
La première fois que j’ai lu le scénario, je savais que ça parlait de Martha Beck et Raymond Fernandez. Quelle histoire ! J’ai fait des recherches sur lui, et je n’ai pas dormi de toute la nuit tellement leur histoire est incroyable. Quel couple de fous ! Mais je voulais le faire.
Je ne vois pas des fous en premier, mais une histoire d’amour…
Arrête… J’étais étonnée quand Fabrice a dit que pour lui, c’était une histoire d’amour, car pour moi, c’est de la folie.
Comment avez-vous abordé votre rôle : est-elle réellement amoureuse de lui ou a-t-elle peur de se retrouver de nouveau seule ?
Même s’il l’a réveillée et qu’il lui a sauvé la vie, elle est super amoureuse de lui, de ce monstre.
Elle est beaucoup plus monstrueuse que lui... même si le film est plus soft que l’histoire vraie, puisque le sort de l’enfant est différent.
Lui, il est capable de mentir, contrairement à elle. Pour lui, c’est sa façon de vivre.
On a beaucoup parlé de l’enfant, car je disais qu’il faudrait la tuer, mais les producteurs n’ont pas voulu. Laisser cette fille orpheline dans la forêt était pour moi une idée horrible : c’était mieux de la tuer.
C’est une façon de voir… Avez-vous eu une part de liberté, ou toutes les scènes étaient-elles écrites ? Je pense particulièrement à la scène de danse autour du feu.
Tout est écrit, rien n’est improvisé. Pour la danse autour du feu, c’était incroyable. J’adore cette scène. C’était épuisant. On a dansé comme des fous, hyper proches du feu. On avait de l’huile, je me brûlais. Quand tu vois le résultat, ça en valait la peine.
À la lecture du scénario, appréhendiez-vous de jouer certaines scènes ?
Toutes. Chaque soir, j’arrivais chez moi, et je me disais « ah, j’ai fait ça, grosse scène ». Et je regardais ce qui m’attendait le lendemain : c’était encore plus gros. Du début du tournage jusqu’à la fin, c’était ça. Il n’y avait aucune scène facile. J’ai toujours envie de faire des trucs différents, mais aussi là où me mène la vie. Alléluia est arrivé à moi comme ça.
Pour parler de ton travail pour chaque rôle, tu utilises l’image de ce jeu où on pose la main sur des clous pour en laisser une empreinte : vous poussez ce qui vient de vous, car vous avez dit que c’est important de vous servir de ce que vous avez, le reste vous le gardez. Et après le tournage, vous remuez. Comment s’est passé l’après Alléluia ?
J’ai bien remué. Je suis rentrée sur Paris, chez mon meilleur ami, durant deux semaines. Il m’a accueillie en me prenant dans les bras. Je me suis mise a pleurer. Lola, que pasa ? J’étais détruite, émotionnellement et physiquement. J’ai terminé crevée, mais c’est normal. Puis tu dors, tu manges, puis l’amour, et tu guéris. Pour chaque film en français, je travaille la diction. Je suis très lourde avec l’ingénieur son car je lui demande après chaque prise si on comprend ma prononciation.
Pour vous, c’est quoi un bon réalisateur ?
Quelqu’un qui a quelque chose à dire, qui a un univers, un regard sur la réalité. Il est capable de placer une caméra, de donner des indications à l’acteur. J’adore les échanges avec lui sur le tournage car c’est lui qui voit le tableau de dehors alors que toi, tu ne te vois pas. Il te mène dans le chemin. Je n’aime pas faire beaucoup de prises. Certains réalisateurs te refont jouer la scène treize fois. Pour moi, c’est trop. Mais il y a des réalisateurs qui aiment les acteurs : ils savent dire la phrase qu’il te faut, tu joues comme une petite fille. C’est très amusant à faire. La relation réalisateur-actrice devient très spéciale et très jolie.
J’ai fait tous les films de Ramón Salazar. C’est très joli d’avancer avec quelqu’un dans la vie. Au cinéma, on mélange tout. Tu sais ce qu’il a vécu et tu vois comment ça a changé sa façon de tourner. Tu vois comment il avance comme homme et comme réalisateur. Ça doit être très joli aussi pour eux de te voir vieillir devant la caméra.
Merci à Isabelle Buron et Daniel Marroquín d’avoir permis cette rencontre.