Giuseppe Verdi est bien partout. Son nouvel opéra est créé au Teatro Argentina de Rome, le 3 novembre 1844, soit huit mois après Ernani, représenté, lui, le 9 mars à La Fenice de Venise, et trois mois avant Giovanna d’Arco, donné le 15 février à la Scala de Milan. Il s’inspire de la pièce The Two Foscari de Lord Byron, écrite en 1821. Le livret de cet ouvrage en trois actes, de moins de deux heures, est de Francesco Maria Piave, collaborateur et souffre-douleur préféré de Verdi.
On y retrouve, la fibre “ patriotique “ présente dans Nabucco – 1842 – Les Lombards – 1843 – Ernani, des airs écrits dans la meilleure tradition de Donizetti, des cabalettes enflammées, promptes à enthousiasmer le public, et des chœurs au développement mélodique séduisant, le tout constituant les ingrédients d’une recette qui a déjà largement fait ses preuves dans toute l’Italie, ou du moins sur toutes les scènes des provinces et royaumes de la future Italie.
Palazzo Ca’Foscari sur Gran Canale ( 1453-1457)
C’est donc une nouvelle production du Théâtre du Capitole qui vient après la création mondiale de l’opéra contemporain Les Pigeons d’argile. On n’est pas dans la routine sur notre scène lyrique “capitolesque“ !! La production est menée par le chef Gianluigi Gelmetti de notoriété internationale, déjà venu ici, diriger le dernier Barbier de Séville.
La mise en scène est confiée à Stefano Vizioli, lui aussi venu pour ce même Barbier. Sur l’opéra lui-même, il a pu confier :
« Dès le début de cet ouvrage, I due Foscari est un opéra de losers . Il n’y a pas ici d’évolution dramaturgique comme par exemple dans Don Carlos dans lequel les dynamiques dramatiques sont parfaitement conçues pour rendre les personnages psychologiquement mobiles et en constante évolution. Déjà, il faut dire, le texte de Byron est un peu lourd et imprécis en matière de profil théâtral. Verdi lui-même, plus tard, a qualifié cette œuvre de véritable « enterrement ». Moi, je veux défendre le pathos intime de tous ces personnages, leur relation ambiguë entre le devoir et la nature, entre les sentiments, les émotions et leur fragilité face à la machine froide et implacable du pouvoir. Je pense qu’il est très important de souligner la noirceur de la Venise de cette époque, où le pouvoir était entre les mains d’un petit groupe de nobles qui jouaient avec la vie et la mort de leurs victimes, une Venise peu rassurante, ni solaire, ni positive, mais plutôt obscure, énigmatique et féroce, une Venise qui devient un personnage négatif comme on la rencontre dans d’autres ouvrages comme Gioconda ou Caterina Cornaro.
« Notre » Venise sera visible en costumes – de Annamaria Heinrich – stylisés mais fidèles à l’époque des faits, puisque ceux-ci sont historiques. La scénographie – décors de Cristian Taraborrelli et lumières de Guido Petzold – sera centrée symboliquement sur une sculpture du visage de Francesco Foscari, un visage de marbre à l’image du cœur de ce doge, un visage qui devient prison, salle du trône et qui, à la fin, sera une ruine qui s’enfoncera dans une eau pourrie et boueuse, dans une vase qui est non seulement physiologique mais aussi existentielle, afin de souligner l’effondrement politique et familial du protagoniste.
Le Conseil des Dix se déplacera à l’intérieur de cette immense tête sculptée comme des vers dans une pomme pourrie. »
Mais encore : « La beauté d’I due Foscari est toute dans l’intelligence de sa musique. Bien sûr c’est l’un des opéras de Verdi les plus courts, comme si le compositeur n’avait pas voulu ajouter des scories à son œuvre. C’est un opéra étouffant, noir, désespéré, sombre et tragique, une vraie course à l’abîme. Au final, ce pauvre vieillard, dépossédé de son pouvoir et privé de toute affection, meurt dans une quasi solitude, devant l’indifférence des puissants qui l’avaient porté au pouvoir et ensuite l’avaient détruit en le privant de ses liens les plus chers. Finalement, la perfidie de Loredano triomphe, ainsi que sa logique perverse et destructrice face à la famille Foscari. »
L’argument : le conflit oppose un père et un fils. Le premier, Francesco, est doge de Venise, “octogénaire“ est-il précisé. C’est un emploi de baryton “noble“ en or pour Achille de Bassani, le créateur, et pour Sebastian Catana, sur notre scène. Le second, Jacopo, est condamné à l’exil pour meurtre (ou trahison ?). Le primo tenore est ici le ténor vénézuélien Aquiles Machado. Tous deux sont en proie à la haine de Loredano, membre du Conseil des Dix. Le rôle du méchant est confié à la basse Leonardo Neiva, déjà rencontré dans Rienzi. Le prétexte dramatique (on apprend seulement au dernier acte que Jacopo est innocent du crime dont on l’accuse) importe moins que l’affrontement pathétique de deux êtres proches par le sang, mais séparés par la raison d’Etat.
Tableau d’Eugène Delacroix daté 1855 – le fils Jacopo, après avoir été torturé, est présenté au père, le doge Francesco Foscari
Revenu dans la Sérénissime pour clamer son innocence, il est condamné une deuxième fois par le Conseil, sur insistance de son ennemi héréditaire Loredano, malgré la défense jusqu’au désespoir de son père et de son épouse Lucrezia. La couleur locale vénitienne (les fêtes et les barcarolles d’un côté, le sinistre Conseil de l’autre) peut être fort intéressante à exploiter. Mais la peinture de la Sérénissime et de sa justice rigide n’étant pas particulièrement flatteuse, on comprend mieux pourquoi la création eut lieu à Rome plutôt qu’à La Fenice.
Côté musique, on remarquera la caractérisation des trois personnages de même que du Conseil des Dix par un thème qui les précède. Celui de Jacopo est confié à la clarinette, ce qui confirme l’affection de Verdi pour cet instrument et le rôle dramatique et psychologique qu’il voulut lui donner.
L’émission de la soprano obéit aux règles du, pour faire un brin pompeux, grand drammatico d’agilita di forza ! Mais laissons Tamara Wilson nous en résumer les difficultés (consulter ses propos recueillis par Robert Penavayre dans le Journal du Capitole) : « Le rôle de Lucrezia est très difficile. Dans les quatre premières phrases de sa partition, elle doit affronter un saut de deux octaves entre le si aigu et le si grave. Dans mon esprit, ce rôle combine la voix dramatique de Aïda et la souplesse et la finesse de Leonora dans Le Trouvère – chanté à Toulouse il y a deux ans. J’envisage de chanter lady Macbeth et Leonora de la Forza dans les cinq prochaines années. La difficulté de ces rôles n’est pas forcément le chant, mais plutôt la situation dramatique. »
Bien sûr, et comme à l’accoutumée maintenant, il faut s’intéresser à toutes les manifestations montées autour de chaque production présentée dans le cadre du Théâtre du Capitole.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole du vendredi 16 mai au dimanche 25 mai 2014
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Autour des Deux Foscari
ATELIERS D’ÉCOUTE
Des ateliers d’initiation à l’art lyrique sont animés par l’équipe de l’Institut IRPALL (Institut de Recherche Pluridisciplinaire en Arts, Lettres et Langues) et organisés dans les centres culturels autour de certains opéras de la saison.
Centre d’animation Soupetard – jeudi 24 avril à 20h
Centre culturel – Théâtre des Mazades – vendredi 25 avril à 19h
Centre culturel Bellegarde – lundi 12 mai à 18h
Centre culturel Alban-Minville – mardi 13 mai à 14h
Inscription auprès des centres culturels
FORUM OPÉRA – ÉTUDIANTS
Serge Chauzy, professeur émérite à l’Université Paul Sabatier et critique musical, propose aux étudiants des pistes de lecture et de compréhension des oeuvres de la saison lors de rencontres au Théâtre du Capitole.
En collaboration avec l’Université Toulouse III-Paul Sabatier
Théâtre du Capitole – jeudi 24 avril à 17h
Renseignements auprès du service culturel de l’université : culture@adm.ups-tlse.fr
VACANCES OPÉRA · DE 9 À 13 ANS
Durant une semaine, sous la direction d’artistes musiciens et chanteurs, des jeunes pourront s’emparer de l’opéra Les Deux Foscari de Verdi pour inventer, réécrire et interpréter le leur.
Saint-Laurent de Neste – du 27 avril au 3 mai
Renseignements Espace Bonnefoy : 05 67 73 83 60
VISITE DES COULISSES DE L’OPÉRA · À PARTIR DE 10 ANS
En partenariat avec les centres culturels de la Ville de Toulouse, des visites accompagnées du Théâtre du Capitole s’inscrivent dans un parcours découverte, complémentaire aux ateliers d’écoute.
Centre culturel Bellegarde – lundi 12 mai
Inscriptions : 05 62 27 44 88
CONFÉRENCE
Verdi et les années de galère par Michel Lehmann, musicologue
Théâtre du Capitole – jeudi 15 mai à 18h
Entrée libre
PARLONS-EN
Introduction au spectacle, une heure avant la représentation, par les chercheurs de l’Institut IRPALL (Institut de Recherche Pluridisciplinaire en Arts, Lettres et Langues).
Théâtre du Capitole
16, 20 mai à 19h (par Michel Lehman) et 23 mai à 18h30 (par Alain Duault de Radio Classique)
Entrée libre, sur présentation du billet du spectacle du soir
UN THÉ A L’OPÉRA
Rencontre thématique et conviviale autour d’une tasse de thé, animée par Michel Lehmann, directeur de l’Institut IRPALL
Théâtre du Capitole – samedi 17 mai à 16h30
Durée : 2h – Entrée libre
LES FICELLES DU SPECTACLE – À PARTIR DE 8 ANS
Ces rendez-vous dominicaux permettent de découvrir les aspects scénographiques, techniques et historiques
de l’opéra à l’affiche.
Théâtre du Capitole – dimanche 18 mai à 10h45
Durée : 1h15 – Inscriptions : www.theatreducapitole.fr
CHANTER EN CHOEUR ET EN FAMILLE · À PARTIR DE 8 ANS
Atelier de découverte du chant choral animé par David Godfroid, artiste du Choeur du Capitole
Théâtre du Capitole – samedi 24 mai à 17h
Durée : 1h30 – Inscriptions : www.theatreducapitole.fr
RADIO CLASSIQUE : JOURNÉE SPÉCIALE LE 23 MAI
autour des Deux Foscari de Verdi – Retrouvez dans les émissions de la journée des invités du Théâtre du Capitole, puis à 20h la diffusion en direct des Deux Foscari de Verdi.
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