E la Nave Va !
Sindbad le marin, Sindbad le terrien, Sindbad l’aérien
Écrit par Agathe Mélinand
Mis en scène par Laurent Pelly
Pour la dernière représentation théâtrale au TNT, Laurent Pelly à la mise en scène et Agathe Mélinand à l’écriture ont réalisé sans doute un rêve d’enfant mais surtout des rêves pour les grands enfants que nous sommes. Et Sindbad a beau s’appeler Bagdad, il n’a de cesse de nous entraîner dans ses sept voyages. Si les naufrages sont son lot coutumier, ce ne fut pas le cas des deux maîtres d’œuvre du spectacle qui dans le cadre étroit de la petite salle du TNT ont su faire entrer le parfum de l’espace et de l ‘aventure dans cette contrainte et mener à bon port ces contes parfumés de sel et d’épices.
Avec l’aide de trois comédiens, Karim Qayouh, Mounir Margoum, Sidney Ali Mahelieb et de quatre circassiens, Romain Delavolpière, Julien Le Cuziat, Baptiste Lhomme, Sylvain Pascal c’est toute une volière qui s ‘ébroue, c’est tout un équipage haut dans les vergues, c’est toute une communauté affolée par le destin adverse et se serrant les uns contre les autres.
Si les sept voyages de Sindbad le marin le perse, se retrouvent on ne sait pourquoi dans le conte des Mille et une nuits (113éme nuit), leurs histoires a inspiré bien des films, mais nul n’avait à ma connaissance eut l’inconscience de les porter sur scène, tant le fantastique échevelé, le souffle épique des légendes ne pouvaient se contenir dans la petite bouteille d’un théâtre.
Et pourtant à force de simplicité, de fraîcheur, d’imagination, les pérégrinations de Sindbad toujours non pas à la recherche de nouvelles richesses illusoires, mais d’une sagesse à conquérir, sont rendues toutes en fluidité, en légèreté. Entre Hinbad le portefaix et le riche marchand Sindbad le marin se noue une relation de confidences et d’écoute soir après soir, et la très bonne idée de la pièce et de faire parcourir toute cette odyssée à ces deux « jumeaux », l’un riche et proche de l’ennui, et l’autre pauvre mais heureux de la vie.
Ce spectacle est aérien, pas seulement à cause des comédiens-acrobates, mais par la qualité de la mise en scène lumineuse et la justesse des décors souvent de simples voiles tendues, de simples échafaudages plus vrais que le plus beau des navires, des ombres projetées. Humour et gentillesse sont à la lisière des contes et nous rappellent que Laurent Pelly excelle dans ce style léger (voir La fille du Régiment, La vie Parisienne…). Ici tout est aérien, merveilleusement enfantin. Nous sommes embarqués avec la vaillante troupe dans toutes ces péripéties fertiles en malheur.
Depuis le premier voyage avec une île qui est une baleine géante, une autre avec des chevaux de mer, au second voyage dans la vallée des diamants et des serpents et ces oiseaux géants, au troisième avec un rappel de l’odyssée d’Homère avec son cyclope anthropophage, au quatrième voyage proche aussi des Lotophages d’Homère, mais avec l’étrange coutume d’enterrer vivant l’époux ou l’épouse survivante, au cinquième le plus étrange avec les oiseaux, l’étrange vieillard et le peuple des singes, épisode qu’Agathe Mélinand a adouci et transformé en ôtant les meurtres du conte, au sixième au royaume des éléphants et de leurs défenses d’ivoire tant convoitées, et enfin au septième dans cette ville où les habitants se transforment une fois par mois en oiseaux, c’est tout une illustration des dangers du vaste monde, mais aussi de la nécessité d’aller les rencontrer et les vaincre.
Agathe Mélinand a donc adapté, compacté le récit, sans trahir l’esprit du conte et Laurent Pelly a illustré comme dans un livre d’images.
Tel quel ce dernier spectacle est un bain de fraîcheur, sans prétention, mais avec plein de grâce et de sourires. Voici une belle conclusion souriante à une saison où la folie avait élu domicile pourtant.
Et vogue le navire !
Gil Pressnitzer