Tugan Sokhiev dirige à Toulouse « Cavalleria rusticana » de Pietro Mascagni et « Pagliacci » de Ruggero Leoncavallo, dans une nouvelle production du Théâtre du Capitole confiée à Yannis Kokkos.
Après le triomphe unanime reçu par « Boris Godounov » de Modeste Moussorgski à la Halle aux Grains, à Toulouse, et à la Salle Pleyel, à Paris, Tugan Sokhiev (photo) retrouve la Ville rose et le répertoire lyrique. Il dirigera dans la fosse du Théâtre du Capitole « Cavalleria rusticana », de Pietro Mascagni, couplé à « Pagliacci » (Paillasse), de Ruggero Leoncavallo, œuvres créées à deux ans d’intervalle – à Rome en 1890 pour la première, à Milan en 1892 pour la seconde. Nouveau directeur musical du Théâtre du Bolchoï à Moscou, le directeur musical de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse a déjà fréquenté ces deux ouvrages à plusieurs reprises au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Cette nouvelle production toulousaine a été confiée à Yannis Kokkos, metteur en scène avec lequel le chef a collaboré au Staatsoper de Vienne pour « Boris Godounov ».
Selon Tugan Sokhiev, «Mascagni et Leoncavallo ont ouvert la voie à ce que l’on appelle le Vérisme. C’est une manière de traiter l’opéra en totale rupture avec les habitudes de l’époque. Ici, on nous parle de gens simples, des gens du peuple. Aucune distanciation historique, aucun filtre narratif : des personnages de chair et de sang, avec leurs qualités et leurs défauts, leur brutalité comme leur tendresse. Ces deux ouvrages sont d’une réelle cohérence, par leur esthétique, par leur façon d’envisager le rapport aux affects humains, dans leur volonté de donner au spectateur des situations banales, presque triviales – mais sans aucune trivialité dans la façon de les traiter ! Nous sommes ici en présence de deux chefs-d’oeuvre de poésie. Si la musique est violente parfois, c’est parce que l’histoire qu’elle raconte est violente. Mais quand ces personnages aux cœurs blessés montrent leurs failles, leurs faiblesses, la musique se fait elle aussi tendre, nostalgique, douloureuse. Il faut garder à l’esprit que ces deux compositeurs, Mascagni et Leoncavallo, écrivaient une musique qui cherche à directement parler au cœur, pas au cerveau. Rien de superficiel ici, pas d’enjolivements inutiles, comme on en trouve tant d’exemples dans le bel canto», prévient le chef russe.
«Avec « Cavalleria rusticana », on est dans la campagne sicilienne, et la musique rend parfaitement cet univers, la présence des carcans ancestraux, le poids de la religion. L’histoire d’amour et de jalousie qui se tisse là-dessus ne se veut pas traité philosophique ; c’est une peinture musicale. Même chose pour « Paillasse ». En outre avec cet ouvrage, on a une belle mise en abyme, une pièce de théâtre dans l’opéra, puisque le héros, Canio, est un clown. Un clown triste dans sa vraie vie, puisque qu’il est malheureux dans son ménage. Avec sa compagne, Nedda, ils se jouent la comédie : l’amour qu’il a pour elle n’est pas réciproque, et la musique rend tout de suite palpable cette tension qui existe entre ces deux personnages. Il est assez normal que ces ouvrages soient courts : ils vont à l’essentiel, la musique ne dilue pas les dialogues. Tout est tellement clair, tellement précis dans ces partitions…», assure Tugan Sokhiev dans un entretien réalisé par le Théâtre du Capitole.
Pour Yannis Kokkos, «ces deux œuvres se situent dans la campagne italienne et parlent de sociétés fermées, celles de villages sicilien et calabrais où vont se produire deux meurtres. J’ai été rapidement convaincu qu’il me fallait les situer au même endroit, sur la même place du même village. Lieu à la fois reconnaissable et abstrait, lieu du drame de la jalousie et de la rivalité. En somme le même décor sur lequel s’inscrit le passage du temps. Alors que dans « Cavalleria », nous sommes éclairés à la lampe à l’huile, dans « Paillasse » l’électricité est arrivée, les arbres ont grandi. J’ai situé « Cavalleria » autour de la première guerre mondiale et « Paillasse » après la seconde. Cette place est une sorte de microcosme de la société tiraillée entre les interdits religieux et moraux et le désir d’affranchissement. Au centre du drame : la condition féminine», explique le metteur en scène.
«Je souhaite que les personnages de « Cavalleria » et « Paillasse » aient l’épaisseur de la vie, gardent un certain réalisme dans leur comportement. Le dialogue entre ces deux œuvres n’est pas seulement dû à la programmation qui les rassemble, il est plus fort, plus souterrain, lié aux thèmes même. Il y a aussi la symbolique très forte des fêtes religieuses, Pâques pour « Cavalleria » et l’Ascension pour « Paillasse ». Pour cette œuvre qui traite du théâtre dans le théâtre, je situe les tréteaux des comédiens ambulants entre « faux » public sur scène et « vrai » dans la salle, en une sorte d’effet de miroir», précise Yannis Kokkos, qui signe également les décors et les costumes et dont ce sera la troisième production au Théâtre du Capitole.
La distribution de « Cavalleria rusticana » réunit Elena Bocharova et Nikolai Schukoff (photo). La mezzo-soprano russe fit ses débuts à Toulouse en 2011, dans le rôle de Dalila, sous la direction de Sokhiev à la Halle aux Grains. Quant au ténor autrichien, après avoir été en 2010 le Jim de « Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny » au Théâtre du Capitole, il chantera pour la première fois le rôle de Turiddu. Dans « Paillasse », on entendra les débuts toulousains du ténor géorgien Badri Maisuradze en Canio. Familiers de la scène toulousaine, la soprano géorgienne Tamar Iveri sera Nedda – rôle qu’elle a tenu au Staatsoper de Vienne en 2012 – et le baryton Garry Magee chantera son premier Tonio.
Jérôme Gac
« Cavalleria rusticana » & « Pagliacci », du 14 au 23 mars, au Théâtre du Capitole, place du Capitole, Toulouse. Tél. 05 61 63 13 13.
Introduction au spectacle, avant la représentation, 19h00.
Conférence : «Deux drames en plein soleil», par François Hudry, jeudi 13 mars, 18h00, au Théâtre du Capitole.
Rencontre : «Un thé à l’opéra», samedi 22 février, 16h30, au Théâtre du Capitole.