Tugan Sokhiev maestro à l’avenir aussi radieux que son présent est beau.
Il est des rencontres musicales qui marquent et celle que je fis avec Tugan Sokhiev, lui jeune chef, moi jeune critique a été marquée du sceau de l’exception. J’ai osé dès la première écoute-rencontre le comparer à Léonard Bernstein en ce qui concerne le charisme. C’est à la fois «gonflé» et tout simplement juste.
Ensuite je n’ai pas manqué un concert de ce chef donné à Toulouse et je dois reconnaître que même s’il m’est arrivé d’être moins enthousiaste, je n’ai jamais été déçu. L’osmose qui existe entre lui et l’Orchestre du Capitole est tout simplement unique. L’orchestre et toute la ville Rose, avec à sa tête une municipalité fine et consciente, a su garder ce jeune maestro pour quelques années encore. Mais il ne fait doute pour personne qu’il pourra bientôt prétendre à prendre les rennes des plus grands orchestres du monde, tant ses qualités sont magnifiques : choisira- t-il un des « Big Five » et même on peut lui prédire Berlin ou Vienne qu’il a déjà séduit par sa direction, à moins que ce ne soit une prestigieuse maison d’Opéra… Sa carrière internationale est au sommet avec prudence et patience.
Aujourd hui les Toulousains mieux que quiconque savent de quoi Tugan Sokhiev est capable tant au concert que dans la fosse. Nous pouvons suivre les traces merveilleuses de cette carrière naissante par des liens virtuels tissés serrés, agencés par nous.
- complicité pour une Rose
Acte I : Aurore si belle !
Tchaïkovski est son compositeur préféré, celui qui a dirigé un temps le conservatoire de Saint-Pétersbourg dont Tugan Sokhiev est lui-même issu. Ainsi il a dirigé le Ballet Casse-Noisette au théâtre, mais surtout La dame de Pique dans une version scénique saisissante, et Iolanta, qui a été louée musicalement et a été mal comprise scéniquement. La version de concert d’Eugène Onéguine, donnée aussi à Paris était si belle et si théâtrale que la scène ne lui a pas manqué. L’enregistrement de la Symphonie n°4 chez Naïve est de toute beauté et a été très aimé de la critique comme du public. Lors des concerts symphoniques les œuvres abordées ont toutes été défendues avec passion et une beauté de son confondante. Ainsi une symphonie n° 1 poétique, et un concerto de violon lumineux avec Vadim Gluzman.
Dimitri Chostakovitch sous la baguette de Tugan Sokhiev a séduit le public toulousain qui n’avait jamais rien entendu de semblable. La symphonie n° 4, et même un concert entièrement dédié au compositeur si profond avec une Geneviève Laurenceau envoûtante dans le premier concerto de violon. Mais c’est peut-être la parole d’un jeune au sortir d’un concert de décembre 2007 qui résume le mieux l’enthousiasme dégagé par l’osmose entre le chef, l’orchestre et le compositeur : Trop fort Chosta avec Tugan !
Prokofiev, Stravinski et Rachmaninov les trois autres géants russes ont également été offert aux Toulousains avec bonheur. Ainsi un concert dédié à Prokofiev a dû être annulé par un mouvement social, mais la répétition du matin promettait un régal qui a été réservé par la force des choses aux seuls parisiens ! La revanche a eu lieu il y a peu avec un duo amoureux dans le concerto de violon n° 2 transcendé par Geneviève Laurenceau.
Le chef très occupé avait accepté de nous recevoir pour une interview dans laquelle il garde intacte une exigence artistique au plus haut.
Stravinsky a fait exploser la Halle aux Grains avec un Sacre du Printemps exultant et dansant comme rarement.
Rachmaninov a également été donné en concert avec toutefois moins de bonheur. Mais les danses symphoniques enregistrées sont étonnantes de maturité et de force.
Il serait inexact de ne voir en Tugan Sokhiev qu’un chef russe aussi idiomatique soit-il. Le répertoire français, fer de lance de l’orchestre du Capitole de Michel Plasson semble lui être aussi naturel. Le concert le plus parfait, celui qui nous a fait voyager dans des sphères musicales les plus sensuelles et radieuses reste hors du temps. Ce sont les Nuits d’été de Berlioz avec une osmose musicale totale avec Susan Graham. Chef lyrique par essence, Tugan Sokhiev a dirigé ces pages pour la voix de Susan Graham et sa manière si délicate de dire le texte. Les photos prouvent l’enlacement de la voix et de l’Orchestre par les gestes dansants du chef.
Une Damnation de Faust anthologique avec le Margueritte méditerranéenne d’ Anna Catherina Antonnacci a stupidement été montée en conflit. Il n’y a eu qu’une seule voix discordante, car même les plus exigeants critiques ont applaudi autant que le public.
Un concert Ibert, Debussy, Berlioz de toute beauté restera dans les mémoires.
Un récent concert a même assumé un héritage et une mort du père réussie…
Cette parfaite connaissance de la musique française que l’orchestre a fait sienne depuis longtemps, a été un des atouts de séduction du jeune chef dès 2003.
Tous ces liens vers des chroniques prouvent combien ce chef a su apporter de bonheur au public. Car tous les compositeurs abordés par Tugan Sokhiev sont compris, respectés et revisités. Même son Mozart est vif et vivant comme seuls les orchestres baroques peuvent l’être. David Minetti le clarinettiste phare de l’orchestre du Capitole a offert une version pudique et sensuelle du concerto pour Clarinette sous sa direction. Et Till Fellner un concerto n° 23 poétique et phrasé avec amour.
Gustave Mahler a eu droit à une symphonie n°4 de haute tenue avec Geneviève Laurenceau aussi belle que terrifiante et surtout avec un esprit mahlérien très bien assimilé, alors que la symphonie n°1 avait manqué de préparation, éclipsée par un concerto de clarinette de Mozart tellement superlatif… En raison de la splendeur de jeu du clarinettiste de velours de l’orchestre : David Minetti.
Brahms avec des cordes vibrantes et touffues a été offert aux toulousains comme jamais. Et plusieurs fois, pour des symphonies, des concerti de piano ou de violon. La troisième symphonie nous a laissé sur notre faim mais Le Mandarin Merveilleux de Bartok a été une merveille d’énergie.
Schubert et Schumann ont également été dirigés avec finesse et intensité, Haydn avec esprit.
Et comment décrire ces intenses moments de partage musical avec les solistes si aimés par un chef musicien jusqu’au bout des ongles ?
Nelson Freire, Truls Mork, Alexandra Soumm, Philippe Bianconi, Leon Fleischer, Nicholas Angelich.Les créations sont fièrement offertes au public. Créations mondiales du concerto pour piano de Karoll Beffa, ou de la pièce d’orchestre d’Elena Firsova, création française pour le concerto de harpe de Boris Tishschenko.
La capacité à faire sonner les pages les plus complexes dans une précision diabolique chez Bartok, le plaisir à sculpter le son de masses chorales gigantesques dans le Requiem de Verdi , la théâtralité engagée autant que contrôlée , on se demande bien ce qui ne convient pas à ce chef si doué… Et Paris à l’ Opéra Comique le confirme pour des fiançailles au couvent de Prokofiev très admirées.
Concert du Nouvel An , concerts avec des jeunes et pour les jeunes, la générosité à partager la musique est bien une qualité commune du chef et de son orchestre !
La discographie également est en pleine croissance. Combien de chefs l’aurait développé à grande vitesse dans un monde si pressé. De nombreux enregistrements, avec le soutien des mécène d’ AIDA, toujours partants, auraient pu être réalisés. Les trois CD sortis ce jour chez Naïve sont magnifiques. Le plus aimé est celui de Pierre et le Loup avec Valérie Lemercier. Mais Pierre est un peu Tugan ou plus exactement il y du Pierre dans Tugan… la gourmandise, et l’audace étant les qualités communes aux deux héros. La version de la symphonie n°4 de Tchaïkovski est excellente mais moins que les Tableaux d’une exposition mêlant si bien France et Russie. Le vieux château est d’une mélancolie slave et d’ une délicatesse si française intimement mêlées qu’il a ma préférence. Le prochain CD qui paraîtra bientôt chez Naïve, dans un partenariat prometteur fera grande impression c’est certain, avec une cinquième symphonie de Tchaïkovski qui déjà au concert nous avait subjuguée.
Et la saison n’est pas finie, loin s’en faut car deux moments forts sont très attendus. Samson et Dalila en version de concert , et le Requiem de Brahms.
Puis l’été sera chaud aux Chorégies d’Orange car en plus de deux concerts (dont la symphonie n°9 de Beethoven), Tugan Sokhiev et l’Orchestre du Capitole donneront Aida de Verdi avec passion. Et parions que cette version sera théâtrale et musicalement pure ; les masses orchestrales et chorales de la scène du triomphe, qui peut être si « pompier », gagneront beaucoup en musicalité avec de tels interprètes.
Peu de chef sont si jeunes et si doués, peu ont été chroniqué si régulièrement. Il n’y a pas de mystère il s’agit d’un Grand Chef qui fait déjà un chemin merveilleux qui ne peut que se développer de manière spectaculaire. Cette mémoire virtuelle est en marche, elle témoigne de sa belle carrière et est déjà fort précieuse.
Hubert Stoecklin
Les deux photos sont de Patrice Nin qui sait saisir admirablement les expressions de cette passion pour le partage de la Musique. Ici pour le concert des Nuits d’ été de Berlioz avec Susan Graham le 6 février 2009.