« Gold », un film de Thomas Arslan
Nombreux furent les Européens qui, à la fin du 19ème siècle, tentèrent leur chance en Amérique et se ruèrent vers ces rivières et ces montagnes regorgeant d’or. C’est sur les pas de sept d’entre eux que Thomas Arslan braque sa caméra. Sept allemands venus chercher fortune dans le Klondike, ce cours d’eau qui traverse en partie le Canada et qui inspira, sur le thème de la ruée vers l’or, aussi bien Jules Verne que Charlie Chaplin et Jack London. La caravane s’ébranle, guidée par le chef de convoi qui se fait grassement payer sa charge, mais va très vite démontrer non seulement son incompétence mais aussi sa filouterie, risquant au poil près la potence. C’est tout un microcosme de l’humanité qui le suit : un couple passé dans l’âge et circulant en diligence, un photographe, un homme au profil incertain, un autre avec celui d’aventurier, il a en charge des chevaux, enfin, il y a Emily, rescapée d’un divorce et qui fuit une condition de bonne à tout faire. Malgré tous les avertissements reçus des locaux concernant la dangerosité de cette expédition, l’attrait d’une fortune vite faite est la plus forte. Jalonné d’incidents, voire d’accidents, le chemin s’avère beaucoup plus difficile qu’il n’y paraissait. Les uns s’arrêtent, exténués, les autres disparaissent, un autre meurt. Une véritable Bérézina. Seuls restent Emily et l’aventurier dont on devine à demi-mot qu’il n’a pas tout dit et que son passé pourrait bien le rattraper même dans de pareils endroits.
Formidablement taiseux, ce film est illuminé par la présence de Nina Hoss. Elle incarne une Emily d’une volonté sans faille qui s’appuie sur un abandon total de son passé. Elle se laisse porter par les évènements, ne cherche pas à comprendre, elle continue sa véritable pérégrination vers un lendemain qui ne pourra être que meilleur. Mystérieuse, silencieuse, elle fait preuve d’un courage et d’une endurance qui, ajoutés à une féminité ensorcelante physiquement, vont attirer les regards du gardien des chevaux. A tous les deux ils vont croire un moment à un avenir meilleur. Cet avenir plongera Emily dans la dure loi du plus fort, loi qu’elle appliquera sans sourciller, ultime étape d’un changement radical chez ce personnage qui va ainsi se fondre totalement dans un environnement aux règles drastiques. Elle est de la trempe de ceux qui ont forgé ce pays.
N’allez pas chercher dans ce film vos repères signés John Ford ou Sergio Leone. Ici le récit est tout sauf romanesque (même si la fin…). Thomas Arslan tranche dans le vif, à tous les sens du terme (âme sensible, attention !), le débat est brut et sans appel, sauvage, impitoyable, le décor et les paysages sont désertiques, les chevaux ne soulèvent que de la poussière puis s’écroulent dedans, épuisés, vaincus. Ils sont abattus comme les espoirs qui tentent de survivre dans le cœur de chacun. On s’imagine un instant la Nature belle alors que la seconde qui suit elle est formidablement cruelle. La ruée vers l’or se transforme en course à l’abîme.
Robert Pénavayre