C’est une autre Casa Verdi, quelque part dans une campagne anglaise baignée par les lumières d’automne. Un décor de rêve, un personnel souriant et affable, des pensionnaires qui malgré leurs AVC, Altzheimer, cannes, lunettes, ne se portent pas si mal. Chimérique ? Là n’est pas le sujet.
Il y a une scène de balcon, où seul un violoncelle nostalgique accompagne le regard d’un Roméo vers sa Bella figlia dell’amore retrouvée. Une scène d’église. Un mouchoir. Des billets secrets.
La maison de retraite pour musiciens comme une métaphore d’une maison d’opéra. Il faut sauver le gala donné à l’occasion de l’anniversaire de Verdi : le ténor Frank White (Michael Byrne) est à l’infirmerie, les billets ne se vendent pas, les mécènes se retirent, l’avenir de l’institution est en jeu. Comment attirer le public, l’argent ?
La cellule de crise, menée à la baguette par l’ancien chef d’orchestre Cee-dric Livingston (Michael Gambon), tenue de soie et fier de soi – All great artists need a great director – cherche l’affiche qui fera recette.
Reginald Paget (Tom Courtenay) pourrait remplacer son collègue indisponible. Passé de ténor à vieux schnock, la mélancolie dans son œil bleu, il aurait voulu, autrefois, être Tristan. Mais il refuse de chanter La Donna è mobile au gala. Il ne le sait que trop.
La solution s’impose avec l’arrivée de celle qui fut Gilda, la soprano Jean Horton (Maggie Smith) : chanter le quatuor de l’acte III de Rigoletto, avec la même distribution qui fit jadis un triomphe. Mais la diva refuse, défend son image passée, celle de ses enregistrements sur 33 tours qu’elle écoute en cachette. Il n’y a que la jalousie envers une ex-collègue, son Vissi d’arte et ses questions sournoises – how are your high notes? – pour enfin la décider à lâcher prise. La maison sera en effervescence, costumes, loges, lumières, régisseurs, et le gala un succès. Grâce à ce quatuor reconstitué qu’on ne fera qu’entendre au générique, dominé par la voix de Pavarotti bien trop reconnaissable.
De clins d’œil en traits justes et tendres, Dustin Hoffman réussit une vision à la fois humoristique et émouvante du microcosme opératique, et la caricature n’est jamais grossière. Le baryton (Billy Connolly) s’appelle Bond, drague tout ce qui passe purché porti la gonnella. La soprano a eu une aventure à la Scala avec un certain Roberto di Angeles, et son mari s’est désisté du MET pour ne pas chanter avec elle (toute ressemblance…) Elle a arrêté de chanter car elle craignait de plus en plus les journalistes, les critiques ; faire toujours mieux, toujours plus. Et se retrouver vieux, sans enfant, sans famille, se défiant encore avec le nombre de rappels obtenus à Milan ou à New-York.
Qu’est-ce que l’opéra ? Quand un type est poignardé dans le dos, il ne meurt pas, il chante. Il gère, comme dit le jeune rappeur. Et parfois même, au mépris de toute vraisemblance, ça se termine bien.
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.