Joyce DiDonato est autant à son aise en robe écarlate à cul de Londres ou à panier, avec ou sans étole, avec ou sans manches, que dans le pantalon de Romeo ou d’Isolier, dans la défroque de condamnée à mort de Marie Stuart, ou même en fauteuil roulant [1]. Une diva au chignon à la diable, radieuse, généreuse, simple, heureuse du partage avec les musiciens et avec le public.
Dmitry Sinkovsky dirige du violon et de la queue de cheval un Complesso Barrocco dont les messieurs exhibent sans complexes des chaussettes assorties à la toilette de la diva. La contrebasse aura une quinte de toux, regards inquiets des alti, appels muets en coulisses, spectacle vivant.
Drama queen : a person given to often excessively emotional performances or reactions [2]. Reines fières, désespérées, trahies, qui supplient ou crient vengeance. Reines de l’antiquité, célébrées par l’époque baroque, puis oubliées.
Joyce DiDonato enchaîne judicieusement Disprezzia regina (Octavie dans l’Incoronazione di Poppea, Monteverdi) – Reine méprisée, et Sposa, son disprezzata (Irène dans Merope, Giacomelli) – Epouse, je suis méprisée. Désespoir, colère, pleurs. Les multiples variations sur le mot esperanza, répété maintes fois, s’envolent en notes subtiles qui colorent tous les possibles de l’espérance.
Doté d’une énergie vertigineuse, Dmitry Sinkovsky, nouvel arrivant dans la cour des grands violonistes de la musique baroque [3] offre un flamboyant concerto pour violon et cordes RV 242 (Vivaldi) [4]. Un délicat, très émouvant adagio, est encadré d’allegri ébouriffants, à en rompre les crins de l’archet.
Puis Bérénice (Berenice, Orlandini) s’avance, et la diva triomphante devient rock star.
De nouveau, deux airs sont associés pour la grande Cléopâtre, fierté de la reine, douleur de la femme : Morte col fiero aspetto (Antonio e Cleopatra, Hasse) – La mort, fièrement, et Piangerò la sorte mia (Giulio Cesare, Haendel) – Je pleure mon destin. Le comble de l’émotion est atteint avec Madre diletta, abracciami (Ifigenia in Aulide, Porta) – Mère chérie, embrasse-moi. Iphigénie, qui va mourir, se fait petite fille, donnant des piani suppliants d’une extraordinaire beauté pour demander que le pardon soit accordé au père ; un solo d’archiluth lui répond, qui va droit au cœur.
Le programme s’achève avec la virtuosité de Roxane (Alessandro, Haendel) dont les formidables cadences mettent le feu au théâtre.
Un Siebel du premier rang, à moins que ce ne soit un Bouzin, monte sur scène, offre un bouquet à la reine de la soirée, échange quelques mots. En comédienne aguerrie, Joyce DiDonato conserve les fleurs et en joue avec un bel à propos pour les trois bis qu’elle offre aux spectateurs envoûtés.
Dans l’émouvant Lasciami piangere è poi morir (Fredegunda, Keiser), la reine demande à ce qu’on la laisse pleurer, et puis mourir. Hors des feux de la robe, de la rampe et des ovations.
[1] Rossini – Il Barbiere di Siviglia. Royal Opera House, July 2009. DVD Virgin Classics
[2] Merriam Webster Dictionary
[3] Classica, mars 2013
[4] Concerti per violoni et archi « Per Pisendel ». Ensemble Il Pomo d’Oro, Dmitry Sinkovsky (violon et direction), Naïve 2012
Théâtre du Capitole, 4 mars 2013
Voir l’article de Joyce DiDonato
Drama Queens – EMI Classics
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.