Cette fin de janvier et ce début de février 2025 se présentaient, à mon goût, sous de bons auspices culturels: d’une part avec Lambert WILSON accompagné par l’Orchestre national du Capitole de Toulouse (1) à la Halle aux Grains pour un hommage à Kurt WEILL, et d’autre part avec Bruno RUIZ accompagné par Alain BEHERET au piano au Théâtre du Pavé pour sa nouvelle création « Poète de Variété ».
Bruno Ruiz, Poète de Variété, c’était le samedi 1er février à 20h30 et le dimanche 2 février au Théâtre du Pavé au 34 rue Maran, 31400 Toulouse dans le cadre du Festival Détours de chant (3) qui nous réserve encore quelques belles découvertes dans cette édition 2025, dont le concert de Magyd CHERFI au Théâtre des Mazades le samedi 8 février à 20h, à ne pas rater.
Bruno RUIZ, en plus de la poésie au quotidien dans son bureau et sous sa douche et le chant sur scène ponctuellement, outre qu’il est un érudit amoureux des mots, pratique une autodérision de bon aloi, comme en témoignent les titres de ses livres et de ses récitals: Poète invisible, Poète de Music-Hall, Poète de Variété…
Ce récital, je le pense depuis trois ans avec mon ami Alain Bréhéret au piano. Il n’aurait jamais pu voir le jour sans l’entreprise éditoriale du Poète invisible. Il est l’une des sommes d’un parcours de soixante ans d’écriture, d’expériences d’écriture. La chanson pour moi n’a jamais été qu’une représentation du poème. Je ne suis qu’un représentant en poésie. Un VRP de la métaphore qui chante. Un poète de variété en quelque sorte. Mon obsession aura toujours été cette quête d’être au plus juste de moi-même à travers ma langue qui est aussi la vôtre. Je conçois mes récitals comme des communions sensibles. Comme le moment exceptionnel d’une rencontre entre votre silence qui écoute et le mien que je chante. Tout se met en place pour nos présences communes.
Cette fois-ci, il a posé ses valises pleines de poésies et de chansons au Théâtre du Pavé (2), l’une de ces « petites salles de quartier bien sympathiques indispensables à la culture que nous défendons » chères à René GOUZENNE, créateur de la Cave Poésie, qui manquent cruellement à Toulouse depuis qu’ont disparus le Théâtre du Taur, l’Espace Croix-Baragnon, le Théâtre de la Digue, la Mounède, le Théâtre Michèle Lazès etc.
Fondé en 1969 par Paul BERGER, ce théâtre a une belle tradition de mise en scène des œuvres d’auteurs du XXe siècle : Samuel BECKETT, André BENEDETTO, Armand GATTI, Jean GENET, Jacques AUDIBERTI, Bertolt BRECHT, Václav HAVEL, Federico García LORCA, Rainer Werner FASSBINDER, Sam SHEPARD, Tennessee WILLIAMS…
En novembre 1977, Bruno Ruiz était déjà venu célébrer ses chanteurs « francophones » préférés, accompagné déjà d’ Alain Bréhéret au piano. Je m’en été déjà fait l’écho sur Culture 31.
Les fidèles des débuts sont là mais aussi de nouvelles générations, la salle de 200 places est pleine, ainsi que fidèle Mingo JOSSERAND, sonorisateur d’excellence, pour enregistrer le récital qui donnera lieu à un livre- DVD (souscription) et bien sûr l’irremplaçable Alain BREHERET au piano.
Après Poète de Music Hall, ce Poète de Variété est un tantinet provocateur tant ce poète-là est à des années lumières des variétés radiodiffusées dont on nous rebat les oreilles à longueur de journée.
Le décor minimaliste annonce d’entrée la couleur: un piano noir bien sûr et une chaise rouge et Bruno Ruiz reprendra plus tard Les Rouges du fond, créée avec Jean-Louis Trintignant au Festival de Barjac, sa profession de foi d’athée débordant de spiritualité qui ne sait que trop bien jusqu’à quel point certains hommes d’Église peuvent s’abaisser devant la fonce brutale.
L’homme a vieilli comme beaucoup d’entre nous spectateurs, un peu grossi comme moi, mais ses textes surréalistes, dadaïstes réjouissent encore le public, et surtout la voix est toujours là, claire comme de l’eau de source des Pyrénées, à laquelle le piano si fin, si délicat, si cristallin, d’Alain Bréhéret déroule un tapis d’harmonies, apportant un écrin idéal à ce poète protéiforme, dont la gestuelle réduite à l’os est millimétrée et parfaite.
J’ai une pensée très émue pour notre cher André « Dedé » TAILHADES, notre ami et éclairagiste commun, qui nous a quittés depuis trop longtemps, ce magicien des noirs et des blancs colorés: la conduite des lumières lui doit beaucoup, même si Michaël HAREL a apporté sa touche personnelle.
Le Poète de Variété commence par des sketchs humoristiques entrecoupés de borborygmes comme un rappeur de la jeune génération, puis des longs solos de récitatifs alternant avec des chansons dont les mélodies coulent de source donc et touchent à l’émotion pure, sans se départir d’un humour pince-sans-rire à la Bobby Lapointe et il excelle aussi dans ses interludes polissons.
Je note une version déjantée du lièvre et de la tortue à l’envers de la fable, une Rue Witochka qui me fait penser à Mr Williams de Jean-Roger CAUSSIMON, mais surtout des textes à la Bruno RUIZ: Je pars demain, Frères !!! humains, Le reste de ma vie ne vous regarde pas, une chanson qui m’évoque le Bateau ivre de Rimbaud ou La complainte du vieux marin de COLERIDGE, une chanson très émouvante sur un Alzheimer suivies d’un Blason du Corps féminin ou d’un inventaire la Prévert enchainée avec une Françoise très gersoise etc… Et un Pot-pourri de refrains de variétés repris par le public en chœur, de Trenet aux Beatles un passant par Sylvie Vartan…
Bien sûr, il nous a régalé de quelques-uns uns de ses tubes: Les Promeneuses qui me fait penser aux Passantes de Georges Brassens (sur des vers d’Antoine Pol):
ou Ma:
etc. extraites des larmes de Laurel, son meilleur album à mon goût, en particulier Les petits cœurs du papier peint pour sa fille, un poème et une mélodie magnifiques:
Au risque d’écrire une lapalissade (mais peut m’en chaut), qu’il soit Invisible, de Music Halle ou de Variété, Bruno Ruiz est un poète avant tout qui sait Être fidèle À son poids d’hirondelle Etre la sentinelle A chaque nuit nouvelle Rester sensible A ce monde terrible Être encore accessible A des amours possibles…
PS; Le Livre-DVD Bruno Ruiz autour du Poète invisible est disponible (en souscription) auprès de l’Association Ithaque 24 Allées des Demoiselles 31400 Toulouse.
> De Lambert Wilson à Bruno Ruiz: la scène est leur domaine de prédilection (1)
Pour en savoir plus :
1) Bruno Ruiz