Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Partition inachevée pour piano mécanique de Nikita Mikhalkov
Curieux parcours que celui de Nikita Mikhalkov, né en 1945 à Moscou, qui incarna dans les années 1970 – dans une forme et des inspirations très différentes du grand Andreï Tarkosvki comme d’Otar Iosseliani ou de Sergueï Paradjanov – un cinéma singulièrement libre sous l’URSS, avant de devenir ces vingt dernières années un artiste officiel et un propagandiste zélé de la Russie de Poutine… Avant cette triste dérive, le réalisateur de Cinq soirées (1979), Quelques jours de la vie d’Oblomov (1980), La Parentèle (1981) acquit une large audience et des succès internationaux avec Les Yeux noirs (1987), Urga (Lion d’or à Venise 1991) ou Soleil trompeur (Oscar du meilleur film étranger en 1995), mais c’est son second long-métrage, Partition inachevée pour piano mécanique (1976), qui révéla son talent.
Dans la Russie de la fin du XIXème siècle, un groupe de personnages (bourgeois, nobles plus ou moins déchus, notables) se retrouvent autour de la jeune veuve d’un général vivant dans une belle datcha. Au fil de la journée, amis et famille badinent, festoient, se confient sous le regard des domestiques. Cette partie de campagne prend parfois des airs de marivaudage, mais la frivolité et la gaieté laissent place à des éclats de voix, des regrets, des règlements de comptes.
Ni anges ni démons
Adapté de la pièce Platonov de Tchekhov avec des éléments tirés de trois nouvelles, Partition inachevée pour piano mécanique respecte l’unité de lieu théâtrale, mais la mise en scène de Mikhalkov utilise tous les moyens cinématographiques pour dépasser l’exercice de la pièce filmée et du film en costumes. Le jeu avec les portes et les fenêtres, la profondeur de champ, les variations des cadrages et la composition des plans, les subtiles nuances de la photographie confèrent à l’ensemble une esthétique particulière et une dynamique servie par, la qualité des acteurs (dont Mikhalkov lui-même qui s’octroie un second rôle).
Derrière la légèreté apparente surgissent des motifs plus sombres, les échos d’amours perdues, des blessures jamais cicatrisées. C’est surtout le mensonge sous toutes ses formes (mensonge des sentiments, des convictions, de la comédie sociale, des idéaux trahis) qui réunit les personnages que le cinéaste ne juge jamais à la manière du Jean Renoir de La Règle du jeu rappelant que chacun a ses raisons. « Il n’y a ni anges, ni démons », écrivait pour sa part Tchekhov et ce refus du manichéisme, auréolé de tendresse, participe à la force d’un film doucement déchirant, comme un feu d’artifice dans la nuit, un piano mécanique jouant du Liszt ou le regard d’un enfant.
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