Les 9, 10 et 11 octobre derniers, la basilique Saint-Sernin de Toulouse célébrait le centenaire de la disparition de Gabriel Fauré avec une émotion et des qualités musicales exceptionnelles. A l’Orchestre national du Capitole, placé sous la direction du chef japonais Kazuki Yamada s’associait le Chœur Philharmonique de Tokyo, la soprano japonaise Maki Mori, le baryton français Florian Sempey et l’organiste Emmanuel Pelaprat. Une soirée véritablement prodigieuse !
Pour ces célébrations fauréennes l’Orchestre national du Capitole était donc dirigé par le plus francophile des chefs japonais, invité régulier de la phalange symphonique toulousaine, Kazuki Yamada. Celui-ci a convié en outre un plateau franco-japonais, avec le Chœur Philharmonique de Tokyo (chef de chœur Hiroyuki Mito) dont il est le directeur musical. Les musiciens et le public toulousains connaissent depuis longtemps l’attrait du chef japonais pour la musique française et son aptitude à en extraire la quintessence. Il vient là d’en démontrer la profondeur.
Trois concerts successifs ont été organisés dans la basilique toulousaine afin de satisfaire l’intérêt du public pour une telle manifestation. La nef et les bas-côtés de l’édifice, pleins à craquer, n’ont peut-être pas suffi à accueillir l’ensemble des mélomanes intéressés !
Lors de ces trois soirées, et en particulier celle du 11 octobre relatée ici, l’exécution de l’œuvre la plus célébrée du compositeur appaméen, son Requiem, était précédée de deux partitions complémentaires. La soirée s’ouvrait ainsi sur la Petite Suite L 65 de Claude Debussy dans l’orchestration d’Henri Büsser. Kazuki Yamada en extrait la grâce raffinée avec une poésie remarquable. Les quatre mouvements qui la composent s’enchaînent comme dans un sourire, alternant joie et ferveur.
L’œuvre suivante est l’objet d’une création mondiale. Il s’agit d’une commande conjointe de l’Orchestre national du Capitole, de l’Orchestre de Paris et de The Svetlanov Legacy Charity au compositeur et organiste Thierry Escaich dont on a déjà pu apprécier l’originalité et la richesse de l’écriture. La pièce en création, intitulée Towards the light (Vers la lumière), prend cette fois la forme d’un hommage à Gabriel Fauré et à son Requiem dont elle adopte l’orchestration pour chœur, orgue et orchestre. Les intentions du compositeur ont d’ailleurs été judicieusement exposées par Jean-Baptiste Fra, délégué général de l’Orchestre. Les allusions à la partition du Requiem sont bien identifiables tout au long de la pièce qui concentre en peu de temps d’émouvants épisodes de l’œuvre de référence. Le texte poétique ou philosophique est déclamé par le chœur en plusieurs langues. Il intègre notamment des versets bibliques, des extraits de Lao-Tseu ou d’auteurs contemporains comme François Cheng. Riche de sonorités diverses, en particulier grâce à un pupitre important de percussions, l’œuvre suit, comme son titre l’indique, un chemin lumineux, ponctué de plages poétiques, vers une extase magique au travers d’un crescendo irrésistible. Sous la direction précise et attentive de Kazuki Yamada, la fusion entre l’orchestre et le chœur s’opère naturellement. Précisons que les qualités de justesse, de timbres, d’équilibre des voix atteint en permanence un niveau exceptionnel.
Le Requiem de Fauré, sublime conclusion de ce programme, s’écoute alors comme une synthèse géniale de ce qui précède. Dès les premières mesures de l’Introït, une intense émotion émane de cette nouvelle fusion entre instruments et voix humaines. Comme dans la pièce de Thierry Escaich, les discrètes interventions de l’orgue (le magnifique Cavaillé-Coll de la basilique, tout de même !) soutiennent un propos intemporel. Le socle instrumental des épisodes favorise les cordes graves que la direction du chef dose avec un raffinement extrême. A partir de l’entrée des violons dans le Sanctus, la clarté gagne peu à peu l’espace sonore. L’éclat du Hosanna, sous l’impulsion des cuivres, donne le frisson. L’émotion atteint ici son paroxysme. Cette montée vers la lumière s’épanouit jusqu’aux dernières mesures du In Paradisum que le chef dirige avec une fraicheur exemplaire, soutenue par les arpèges touchants de l’orgue.
Les deux interventions du baryton, ici l’excellent Florian Sempey, apportent leur touche humaine. Somptueux dans l’expression du Hostias, il déploie son ample timbre de chanteur d’opéra dans le Libera me. Quant au Pie Jesu, il bénéficie du timbre angélique de la soprano Maki Mori qui, depuis la tribune de l’orgue, touche par la grâce de son pouvoir expressif.
Kazuki Yamada, ses musiciens et ses chanteurs prolongent encore l’état de grâce de cette soirée avec deux bis complémentaires. Le chœur a cappella chante tout d’abord un « Spiritual » du compositeur japonais, disparu en 1996, Tōru Takemitsu. Ils retrouvent ensuite le jeune Gabriel Fauré avec la version pour chœur et orchestre de son Cantique de Jean Racine, dédié à César Franck. La boucle est bouclée.
Soulignons une fois encore les multiples qualités de cette soirée musicale hors normes que la magie du lieu n’a pas manqué de renforcer.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole