Philippe Jaroussky contreténor nous revient avec ses chers complices, Christina Pluhar et son théorbe, à la direction musicale de son ensemble L’Arpeggiata. C’est pour le 15 octobre à la Halle à 20H dans le cadre du cycle Les Grands Interprètes.
On loue un tel programme intitulé Passacalle de la Follie
qui va nous faire découvrir un créneau bien particulier dans l’histoire de la musique française, avec des musiciens qui assurent ainsi les passerelles nous conduisant à des musiques plus connues pratiquées au XVIIè et XVIIIè avec surtout la naissance de l’orchestre en France en suivant.
Fragments d’un discours musical amoureux : sous-titre du concert
Il est centré en grande partie sur un genre musical conçu pour la cour de France à la fin du XVIe siècle. Il s’agit d’un art subtil et raffiné, cultivé au XVIIe dans les salons de la noblesse, qui brode un thème incontournable dans la société de cour de l’époque : l’amour. Et même si c’est un lieu commun de le dire, on mesure mal de nos jours ce que fut l’avènement de l’imprimerie, aussi bien pour l’instrumental que pour les recueils, les instructions qui paraissent facilitant l’enseignement, d’où des amateurs de plus en plus nombreux, appartenant à des milieux très divers et point remarquable en France, un rapprochement plus intime entre toutes les classes de la société.
Pour situer la période plus facilement, passons par les rois de France de la période !! La première moitié du XVIIe siècle est une période très mouvementée dans l’histoire de la France et du reste de l’Europe. Après l’assassinat d’Henri III (1551-1589), Henri IV (1553-1610) subit le même sort, ouvrant la succession au trône à son fils aîné, âgé de neuf ans, Louis XIII (1601-1643). Un de ses frères, Gaston d’Orléans (1608–1660), tente à plusieurs reprises de le renverser, en vain. L’État est fragile, aussi parce le monarque arrive au pouvoir après une période de régence durant laquelle les affaires ont été menées sous la conduite de sa mère, Marie de Médicis – de la même manière, Anne d’Autriche assurera la régence lorsque le jeune Louis XIV (1638-1715), fils de Louis XIII, accédera à son tour au trône. Une chance, les protagonistes de cette période mouvementée sont également de grands amateurs d’art. Louis XIII peint, compose, joue de la guitare, et a une passion pour la danse. Gaston d’Orléans a un groupe de chanteurs et tout un orchestre à son service.
Dans cette période très troublée, venant après les guerres de religion, la cour de France et les salons aristocratiques sont les lieux d’un épanouissement artistique extraordinaire. Un changement fondamental se produit dans la conception de la musique. Les procédés d’écriture, le style et les principes esthétiques vont se transformer. Et si la chose se fait rapidement dans les duchés italiens, avec l’avènement du stile rappresentativo, puis de l’opéra, c’est bien plus lentement en France et autres pays européens. C’est ainsi qu’aboutirent au début du XVIIè, des formes vocales originales qui, sans rompre brusquement avec le passé, se rattachaient à l’esprit nouveau de la monodie, l’air de cour, la chanson à voix seule et le récit chanté. À ces formes, il ne reste plus qu’à rajouter la danse, et on obtient le ballet de cour, son apogée étant sous Louis XIII, roi le plus passionné par les arts.
C’est aussi une période faste pour le luth qui va jouer en ce temps-là, un peu le même rôle social et musical que le piano au XIXè. C’est le moment de découvrir avec ce programme, quantité de compositeurs avec toutes sortes d’airs. On peut énumérer , chansons à danser et à boire, chansons gaillardes souvent grivoises et même, très grivoises, airs de ballets, airs précieux et galants,…Et l’amour est empreint d’un brin de folie, chansons amoureuses à profusion, …Il faut préciser que dans les salons précieux se retrouvent représentants de la noblesse, serviteurs de l’État, magistrats, hommes et femmes de lettres et artistes qui oublient les soucis de la politique et les guerres pour pratiquer un art de la conversation nourri de raffinement, de courtoisie et de civilité. La poésie amoureuse en vogue et les textes mis en musique permettent à l’aristocratie de goûter le bonheur comme si elle se trouvait réfugiée sur une île, loin des tensions politiques et religieuses qui secouent le pays. Un poète anonyme le souligne : « Nos esprits libres et contents / Vivent en ces doux passe-temps ». L’unique perturbateur, la seule menace, pour les protagonistes du Ballet de la Reine (1609) où figure cet air, est le dieu Amour qui embrase le cœur des amants jusqu’à les rendre fous.
Mais, le petit peuple sait aussi se distraire ! s’amuser, danser, chanter : le choix des textes n’est peut-être pas les mêmes et les Breughel, ancien ou jeune, de velours ou pas, et autres peintres ont illustré parfaitement leurs plages de repos.
Les principaux auteurs des airs de cour qui nous sont parvenus, Pierre Guédron, Antoine Boësset, Étienne Moulinié et Michel Lambert, figurant au programme vont vous devenir un peu plus familiers. Ils ont œuvré alors il y a …400 ans !!
Détails :
Antoine Boësset – Nos esprits libres et contents
Philippe Jaroussky
Gabriel Bataille – El baxel està en la playa
Philippe Jaroussky
Improvisation – La Dia Spagnola
Instrumental
Henry de Bailly – Yo soy la locura. Passacalle (La Follie)
Philippe Jaroussky
Pierre Guédron – Aux plaisirs aux délices bergères
Philippe Jaroussky
Antoine Boësset – à la fin de cette bergère
Philippe Jaroussky
Lorenzo Allegri – Canario
Instrumental
Estienne Moulinié – Concert des différents oiseaux
Philippe Jaroussky
Estienne Moulinié – Orilla del claro tajo
Philippe Jaroussky
Michel Lambert – Ma bergère est tendre et fidèle
Philippe Jaroussky
Pandolfo Mealli – La Vinciolina
Instrumental
Estienne Moulinié – Enfin la beauté
Philippe Jaroussky
La musique, nous dit Claudio Monteverdi, naît de l’émotion de l’artiste, et l’artiste s’émeut en chantant l’humanité qui se réjouit et qui souffre, non en laissant erre sa fantaisie autour de figures irréelles comme les zéphyrs et les petites Amours. Et si lui-même d’abord n’est pas ému, comment parviendra-t-il à émouvoir les autres ? Il y aura un avant et un après Monteverdi, tout comme on peut étudier l’opéra italien naissant à Rome, différent de Venise. Il n’empêche que ça compose de partout, et ça chante de partout, période étourdissante.
Claudio Monteverdi – Si dolce è’l tormento
Philippe Jaroussky
Maurizio Cazzati – Ciaccona
Instrumental
Claudio Monteverdi – Oblivion soave (“L’incoronazione di Poppea”)
Philippe Jaroussky
Claudio Monteverdi – Ohimé, ch’io cado
Philippe Jaroussky
Luigi Rossi – Dormite begl’occhi
Philippe Jaroussky
Luigi Rossi – Lasciate Averno
Philippe Jaroussky
Parmi les pièces vocales les plus mémorables du “Shakespeare de la musique“, notons la scène d’incantation dans The Libertine (vers 1695) qui comprend la chanson sur ground, “Music for a while“ et les superbes chansons de folie pour les pièces sur Don Quixote de d’Urley, toutes écrites peu avant sa mort en 1695 à trente-six ans.
Henry Purcell – The curtain tune
Instrumental
Henry Purcell – Music for a while
Philippe Jaroussky
Biographies
Philippe Jaroussky
Le contreténor Philippe Jaroussky a parcouru un “sacré“ bout de chemin depuis son premier concert à L’Estive de Foix en Ariège et son passage au Salon rouge du Musée Les Augustins de Toulouse. Il a conquis une place prééminente dans le paysage musical international, comme l’ont confirmé les Victoires de la Musique (Révélation Artiste lyrique en 2004 puis Artiste Lyrique de l’Année en 2007 et 2010, et enfin Victoire d’Honneur en 2020) et les prestigieux Echo Klassik Awards en Allemagne, lors de la cérémonie 2016 à Berlin (Chanteur de l’Année, titre qu’il avait déjà remporté en 2008).
Avec une maîtrise technique qui lui permet les nuances les plus audacieuses et les pyrotechnies les plus périlleuses, Philippe Jaroussky a investi un répertoire extrêmement large dans le domaine baroque, des raffinements du Seicento italien avec des compositeurs tels que Monteverdi, Sances ou Rossi jusqu’à la virtuosité étourdissante des Händel ou autres Vivaldi, ce dernier étant sans doute le compositeur qu’il a le plus fréquemment servi ces dernières années. Défricheur de partitions infatigable, il a brillamment contribué à mettre en lumière la musique de compositeurs tels que Caldara, Porpora, Steffani, Telemann ou Johann Christian Bach.
Philippe Jaroussky – suite : cliquez ici
L’Arpeggiata : cliquez ici
Christina Pluhar, chef d’orchestre, luthiste, harpiste, arrangeuse et compositrice : cliquez ici