Une réussite, totale. Pour sa nouvelle production du chef-d’œuvre du compositeur russe, l’Opéra national du Capitole de Toulouse justifie son choix de la toute première version de Boris Godounov en soulignant de façon appuyée que le retour à la dramaturgie initiale peut présenter le même intérêt que le respect, depuis longtemps admis, pratiqué et entériné, de l’instrumentation originale. Courez-y, il vous en reste trois, et pas une de plus.
Dans cette démarche, Christophe Ghristi, directeur artistique, avait besoin d’un complice. Il le trouve avec Olivier Py. Ce dernier était trop heureux de travailler avec Mathias Goerne, le préposé au rôle des rôles. Patatras ! le chanteur est obligé d’annuler. Mais, le travail est déjà largement entamé. Alors, évidemment, on continue.
L’accord sera complet dans la démarche proclamée d’une lisibilité et d’une transparence absolues. On évite de se perdre dans digressions et interprétations plus ou moins pertinentes. Le spectateur est immergé dans le drame, point. On loue, du moins, je loue le metteur en scène et le directeur artistique de nous avoir épargnés vidéos et diapos et projections de documents récents qui, la plupart du temps, polluent et anesthésient la réflexion critique. L’occupation du plateau, qui est loin d’être immense, fonctionne sans accrocs et on re-loue le travail, à la technique, aux lumières de Bertrand Killy et aux décors et costumes de Pierre-André Weitz. Ah ! ce tableau, comme une icône (photo ci-dessus).
La représentation est sans entracte. Tant mieux. On assiste au déroulement continu des sept tableaux qui s’appuie sur un dispositif scénique relativement réduit n’entravant pas la succession. Cinq étoiles pour les déplacements et dispositions des choristes. Le livret est resserré sur les seuls aspects politiques de l’action et aux conflits personnels de Boris torturé par ses remords de conscience. Son âme reste dévorée par le souvenir du meurtre, et le remords l’empêchera de laisser parler ses sentiments. Il en meurt brusquement. C’est une Russie de toutes les époques qui est suggérée bien au-delà du contexte original. Ce qui permet encore, intention non négligeable, de permettre quelques citations d’actualité.
Là encore, cruel dilemme et discussion ! Pas de références à l’actualité et le reproche sera au rendez-vous. Quelques références ? et le reproche sera aussi, d’une autre façon, au rendez-vous. Pour ma part, les quelques citations repérées ferment la discussion. Point. À l’applaudimètre, deuxième solution approuvée.
Une interprétation parfaitement homogène qui nécessite de citer tout de même, en premier, la performance d’Alexandre Roslavets qui, comme la plupart de ses camarades sur le plateau effectue une prise de rôle, prise qui laisse supposer qu’elle va étoffer pour sa part, son répertoire pour les années à venir. Puissance sonore appréciée de tout là-haut, jeu sans exagération, on est conquis. Son passage de Varlaam à Boris est à mettre à l’actif encore du nez “ghristien“ dont on ne peut que se féliciter en tant que spectateur.
Pour nombre d’entre eux, Boris, c’est d’abord les chœurs et, les cloches ! certains tableaux sont plus ignorés. Dommage. Pour ce qu’il en est des chœurs, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra national du Capitole, comment ne pas être admiratifs dans chacune de leurs interventions ? et de louer ceux qui les ont fait travailler ? Énergie et pouvoir émotionnel sont bien au rendez-vous. Frissons garantis. On ne chante pas en russe tous les jours. Après Mefistofele (certains auront noté le recyclage du globe de Fiodor (parfaite Victoire Bunel) et les Pêcheurs, on ne chôme pas dans la maison “capitoline“.
Quant à la réalisation musicale, pour cette Première, elle m’a paru satisfaisante quant à l’équilibre systématique avec le chant du premier tableau au dernier. Et c’est bien là l’essentiel. Les représentations à venir dégageront peut-être plus d’âpreté, de rugosité dans la partition retenue? Toute confiance en Andris Poga.
Que des louanges, pour ma part ! en ce qui concerne la distribution vocale : merci Christophe Ghristi. Un Innocent émouvant à souhait, Kristofer Lundin, traduisant accablement et souffrance de la Russie éternelle de façon tout à fait pathétique, une aubergiste assumant avec aplomb sa vulgarité prolétarienne, Sarah Laulan, un Chouiski traître avec splendeur Marius Branciu, autrefois Lenski sur ce plateau, le ténor nécessaire pour Dimitri avec Aimar Hernandez, voix et jeu de Grigori au faux-Dimitri, un Varlaam, Yuri Kissin plein de promesses, en total accord vocal du rôle, sans oublier un Chef des boyards de luxe avec Mikhail Timoshenko. Quant à Roberto Scanduzzi, en Pimène, c’est la clarté dans la déclamation. Il tient la dragée haute à tous les membres de cette relève assurée.
Dans la foulée, on citera, car tous on tenu leur rôle , comme on dit “sans peur et sans reproche“, Lila Dufy, Svetlana Lifar, Fabien Hyon, Sulkhan Jaiani, Barnaby Rea, Hun Kim.
Petite mesquinerie de fin d’article : je n’ai pas saisi la présence dans la cellule monacale du balai neuf en paille de riz. Help !