Toulousain originaire de Castres, Prattseul s’est illustré aux Inouïs du Printemps de Bourges, au MaMa Festival ou encore aux Bars en Trans. Son univers onirique sort du lot et conquiert de nouveaux terrains musicaux comme visuels. Il est notamment inspiré par la vie nocturne, d’où le titre de son premier EP à sortir le 22 septembre prochain : « L’oiseau de nuit ». Rencontre avec l’artiste, à voir sur scène au Rex de Toulouse le 9 novembre 2023.
Culture 31 : Prattseul, c’est qui, c’est quoi ?
Prattseul : C’est moi ! (Rires). Prattseul, c’est un projet que j’ai monté il y a 3-4 ans. C’est un peu la conséquence de tout ce que j’avais pu faire avant en musique, qui était davantage sous un format groupe, en compagnie de musiciens. Pour la première fois, j’ai essayé – en toute indépendance – de créer mes visuels, mes clips, mes paroles, etc. C’est parti de cette envie là au départ, sans parler de scène. À la base, je ne voulais pas vraiment faire de live. C’était vraiment faire des trucs dans ma chambre et ça a un peu dérapé, dans le bon sens !
Petit à petit, je me suis retrouvé à être programmé à droite à gauche. J’avais un job depuis 8 ans, et j’ai tenté de faire de la musique un métier à 100%. Aujourd’hui, Prattseul, c’est moi, mais ça représente aussi les personnes qui travaillent autour. Il y a La Tanière qui est un studio de musique et qui est aussi mon label, Ulysse Maison d’Artistes qui est mon producteur de spectacles, toute mon équipe de musiciens de live, les gens qui travaillent sur la vidéo… Prattseul, c’est donc moi, mais il y a beaucoup de monde qui bosse dessus.
L’influence de Gainsbourg est assez palpable dans ton art. Qu’est ce qui te plaît dans son univers ?
C’est une de mes références. Notamment dans les paroliers français. J’aime bien le côté un peu désinvolte et sombre qu’il peut avoir, ainsi que la manière dont il joue avec les mots et les sons. Je suis très loin de ce qu’il fait, mais je trouve sa plume tellement fine. Parfois, il y a différents niveaux d’écriture et de lecture. Il faut fouiller pour comprendre les sens cachés. Au bout de 5 ans, même toute une vie, tu te dis : « en fait, il voulait dire ça ». Il faut aussi séparer le parolier de l’interprète, dans le sens où, je connais assez peu sa vie, mais je ne pense pas que c’était un enfant de chœur. En 2023, il y a plein de choses qui passeraient moins. Il n’empêche que c’est un artiste incroyable sur le plan de l’écriture.
Tout semble méticuleusement réfléchi dans tes morceaux. Entre le texte et la mélodie, quel élément du processus de création te donne le plus de fil à retordre ?
Sur mon EP à venir, c’était vraiment le texte. Sur ces morceaux-là, ce sont les mélodies qui sont venues les premières. Souvent, je partais d’une instru sur laquelle je faisais du yaourt. Ça donnait un peu le squelette du titre. Jusqu’à présent, j’ai tendance à trop me casser la tête – même si c’est positif – pour faire des choses compliquées et simples à la fois. Le fait d’écrire en français de manière consciente, c’est un vrai exercice. Je ne juge pas du tout le reste, mais c’est vrai qu’avec les gens qui écrivent en français – en tous cas les premières écritures – on tombe vite dans un registre qui peut sembler « fête au village » ou cliché. J’aime beaucoup la musique anglaise et j’essaye de m’en inspirer, même si c’est un peu paradoxal.
Dans ton dernier titre en date, « Sous la lune », tu dis « Je réalise, sans fantaisie, qu’il y a des barreaux tout autour de nos esprits ». Quels peuvent être ces barreaux ?
J’écris souvent de manière métaphorique. C’est d’ailleurs quelque chose que je peux me reprocher, car j’ai rencontré pas mal d’auteurs qui, eux, écrivent de manière très directe. Quand j’avais un travail « classique », j’avais un salaire cool, donc je pouvais partir en vacances, m’offrir des choses. Mais il y avait toujours cette routine qui confirmait que ce n’était qu’une illusion de liberté. Comme dans « The Truman Show ». Le gars pense être libre, mais il ne l’est que jusqu’à une certaine limite. Et j’ai l’impression que c’est un peu ce que nous vivons tous. Aujourd’hui, faire de la musique, c’est une autre forme de liberté. Je ne peux plus partir où je veux, ou m’offrir ce que je veux, mais mon planning est beaucoup plus libre. « Sous la lune », c’était un morceau pour décrire ce genre de choses.
Avec « Mon Vieil Ami », tu évoques la perte d’un ami proche. Un thème lourd retranscrit avec une certaine légèreté. Comment la métaphore de cet orage qui oblige les protagonistes à se séparer t’est-elle venue ?
C’était un de mes meilleurs potes et je l’ai perdu quand j’avais 20 ans. J’ai écrit la chanson beaucoup plus tard, donc j’avais digéré un peu tout ça. C’est quand même quelqu’un à qui je pense très régulièrement. Assez naturellement, je me suis dit que je n’avais pas souvenir d’avoir assez profité des dernières minutes avec lui, car c’est arrivé de manière assez fatale. Et finalement, c’est peut-être un réflexe à prendre avec tout le monde.
Pour ce truc de l’orage, à la base, j’ai simplement imaginé boire une tasse de thé dans un jardin avec un ou une pote, et être obligé de rentrer. Cette image de séparation imprévue. Comme quand on étudiait des textes en cours de français et qu’on avait l’impression de trouver des sens que même l’auteur n’avait pas trouvé. Et parfois, quand tu crées, tu as une idée de départ, et quand tu prends du recul, tu trouves des parallèles avec d’autres choses. Quand je l’ai écrit je voulais faire une histoire un peu simple, et parler de ces 5 dernières minutes, mais chacun peut y voir ce qu’il veut. Mon ingé son, ça lui fait penser à son ancien chien ; quand elle lui demandait de rentrer le soir !
Le 22 septembre, tu dévoileras ton premier EP au grand public, « L’oiseau de nuit ». Quel est ton rapport à la nuit ?
J’aime beaucoup la nuit. Je ne suis pas une personne qui se lève facilement le matin. Je trouve que quand le soleil se couche – quand il se lève aussi, mais je suis moins là – il se passe quelque chose de spécial, qui est d’ailleurs très imagé dans les animés japonais, comme ceux de Miyasaki. En fait, il y a souvent quelque chose de magique qui se passe dans les passages de jour à nuit. Là, c’est très poétique, mais je trouve que ce quelque chose se passe vraiment la nuit. La ville ralentit, les gens aussi. Et j’adore ça ! Même pour écrire, peindre, travailler…
Dans « Cache-cache », tu chantes d’ailleurs « Chaque nuit je pars me cacher dans le noir ». La nuit, c’est donc un refuge ?
Je pense que oui. Quand je bossais, j’étais un peu Hannah Montana ! Je travaillais dans l’informatique, donc en plus j’étais en chemise avec mes petites lunettes. Et le soir j’avais souvent un concert ou une répèt’. J’étais une autre personne. Et je pense que ça s’applique beaucoup à d’autres. Avec « Cache-cache », ce qui est marrant, c’est que c’est interprété comme si c’était une ombre qui chantait. Et à l’époque, étant donné que je sortais beaucoup le soir, je partais du postulat qu’une ombre n’existe que quand il y a de la lumière, donc le jour. Et cette ombre dit : « Le soir, je repars m’enfoncer dans les ténèbres et je n’existe plus ». C’est de ça que je parle.
La pochette du projet te met en scène dans une sorte de laverie, seul, la nuit. Comment a été pensée la composition de la photo ?
On retrouve un peu le délire que j’ai dans les clips de « Mon Vieil Ami » et « Sous la lune » avec ces espèces de passeurs, où t’arrives dans une boutique et ça te fait passer dans un tout autre truc, tu rencontres ton double, etc. À la base, il y avait vraiment une idée d’ouverture. C’est un peu comme un puzzle que je ne vois pas encore entièrement. Chaque fois qu’un clip arrive et que je rajoute un fragment, petit à petit, une image apparaît. Un peu comme quand tu commences à regarder « Le Seigneur des anneaux », tu ne vois pas la carte dès le départ, tu visites les lieux au fur et à mesure. Et la laverie, c’est un peu pour rappeler ce genre de passages. On peut imaginer que dans cette laverie, il y a une personne qui vient faire tourner son linge seule la nuit, et pourquoi pas, passe dans un autre univers à travers un hublot.
Justement, tes clips sont très cinématographiques. Quels sont les réalisateurs que tu admires ?
Je suis dingue de Wes Anderson ! Il y a d’ailleurs un clip qui sortira le 22 septembre en même temps que l’EP et qui a été filmé dans un appart’ qui était très Wes Anderson. Ce que j’aime beaucoup, c’est qu’il prend une part d’histoire réelle, mais sa manière de filmer et de raconter fait que ça crée une sorte de magie qui te sort de la réalité. Même les couleurs. Alors que c’est très réel ce qu’il fait. J’adore aussi Michel Gondry, qui fait ce genre de trucs un peu assemblés de petits bouts de papier, très simples, et qui amènent tout une poésie. J’aime bien Tim Burton – même si c’est un peu plus produit – à la fois dans la manière qu’il a de créer des personnages, d’amener dans son univers. J’adore Tarantino aussi… Ce genre de réalisateurs.
Propos recueillis par Inès Desnot