Fort d’un passé prestigieux (7000 concerts dans plus de 30 pays, 60 disques à son catalogue) et d’un avenir qui s’appuie sur 2000 abonnés, l’Orchestre de Chambre de Toulouse fête aujourd’hui ses soixante-dix ans d’existence. Succédant à son fondateur Louis Auriacombe (1917-1982) mais aussi à Georges Armand, Augustin Dumay, Alain Moglia et Gérard Caussé, dernier directeur en date avant son arrivée, Gilles Colliard nous rappelle ici, sans langue de bois, l’aventure humaine et musicale que représente cet ensemble.
Rencontre
Classictoulouse : Alors que l’Orchestre de Chambre de Toulouse (OCT) fête ses 70 années d’existence, vous allez souffler les 20 bougies de votre direction à la tête de cet ensemble qui est le plus ancien orchestre de chambre permanent français. Pour quelles raisons avez-vous accepté ce poste ? Et d’ailleurs, quels en sont les contours ?
Gilles Colliard : Il y a une vingtaine d’années, l’OCT, l’un des orchestres à cordes dont la riche histoire avait marqué le paysage culturel national et international depuis 50 ans, était en liquidation judiciaire. Quelques saisons auparavant, l’OCT m’avait invité pour un concert dans lequel j’intervenais en soliste et comme chef d’orchestre. Au programme figurait l’une de mes œuvres mais également une suite de Bach et le concerto pour violon de Mendelssohn. Je m’inscrivais ainsi dans la lignée des musiciens qui, jusqu’à la fin du 19e siècle, étaient autant interprètes, compositeurs et chefs d’orchestre. Je me souviens alors avoir pris un micro afin d’expliquer au public les circonstances de la composition de toutes les œuvres de cette soirée. L’un des fondements de ma carrière est certainement là, le partage avec les spectateurs. Au moment dramatique où l’OCT a disparu, il y a 20 ans, le Délégué musical de cet ensemble qui devint l’administrateur, se souvenant de notre rencontre cinq ans auparavant, m’a proposé, alors que l’OCT allait renaître sous forme administrative d’une SCOP, d’en devenir le Directeur musical. Le challenge était de montrer aux collectivités que l‘OCT était toujours vivant et que cet ensemble vieux d’un demi-siècle ne pouvait comme cela disparaître d’un trait de plume. Nous n’avions pas d’argent mais nous avons joué un peu partout, une manière de prouver notre pugnacité. Petit à petit les différentes tutelles sont revenues vers nous. Ce qui m’intéressait avant tout était cette aventure artistique et humaine qui m’était proposée. Pareille aventure est, en fait, ce qui m’attire le plus dans ma carrière de musicien. Il faut dire que je me souvenais parfaitement de la formidable énergie que j’avais ressentie la première fois que j’avais dirigé les musiciens de cet orchestre. Pour en venir à votre question sur les contours de mon poste, celui-ci consiste, en plus d’être chef d’orchestre, violon solo et soliste, à imaginer la programmation des concerts que nous donnons, qu’ils soient d’abonnement ou pas. J’ai également souhaité m’éloigner de la Halle aux grains où s’affichait alors l’OCT trouvant cette salle disproportionnée pour notre formation et son répertoire. Je me suis alors rapproché de Saint-Pierre-Des-Cuisines favorisant la proximité avec le public tout comme L’Escale à Tournefeuille. Ayant de plus en plus de public, nous préférons jouer les programmes d’abonnement quatre fois plutôt qu’une fois devant 2000 personnes.
Comment cet ensemble a su affronter il y a un demi-siècle l’inattendue et violente vague du baroque ?
Indiscutablement, l’OCT n’avait pas, il y a vingt ans, de véritable répertoire baroque car les musiciens n’étaient pas formés à l’interprétation de ce répertoire et donc, même s’ils voyaient un peu partout fleurir des orchestres dits « historiquement informés », eux s’y refusaient par souci d’ignorance. Ayant été personnellement très tôt instruit à ce répertoire, à la manière de le jouer, j’ai pu leur faire profiter de mon expérience. Nos programmes ont alors beaucoup évolué. Les musiciens ont adhéré immédiatement. Et je dois dire qu’aujourd’hui, l’OCT joue le répertoire baroque de manière très authentique. Notre instrumentarium est d’ailleurs composé d’instruments modernes et d’instruments historiques.
Parlons de votre répertoire. Votre formation de base est de 12 cordes. Que se passe-t-il lorsque vous programmez des œuvres telles que La Damnation de Faust (Marche hongroise) de Berlioz ou bien encore la Symphonie N°1 de Mahler ?
En fait vous touchez là au principe même de l’interprétation. La musique est un langage et, comme tout langage, elle répond à des critères sociologiques, temporels et géographiques. Il me semble essentiel de bien connaitre la langue des compositeurs que l’on interprète. S’ils sont de l’Europe du Nord ou de celle du Sud, ou encore Français, la virgule, le point et le verbe ne sont pas à la même place dans la phrase. Quand on a compris cela, on peut alors transmettre le message musical contenu dans leurs partitions. Aussi, que celles-ci soient jouées par un accordéon ou un orchestre symphonique, pour moi c’est la même chose. C’est l’authenticité du contenu qui doit primer sur la forme. Rapidement j’ai transcrit de nombreuses œuvres pour l’OCT afin d’élargir son répertoire, répondant aussi aux attentes du public. Résultat le nombre des abonnés a été multiplié par 10 en une quinzaine d’années ! Nous sommes aujourd’hui à près de 2000. Je ne vois aucune « usurpation » ou « blasphème » dans l’art de la transcription, art qui trouve son origine au 18ème siècle et qui tend à démocratiser le concert.
Avant la saison 23/24, aviez-vous mis au programme des œuvres de Josef Myslivecek, un compositeur tchèque que le public des cinéphiles et des mélomanes, du moins pour la plupart, vient de découvrir grâce au film de Petr Vaclav : Il Boemo ?
C’est la première fois que je programme ce compositeur tchèque mais ce n’est pas lié à la sortie de ce film. C’est un hasard. Il y a une trentaine d’années, je séjournais régulièrement à Prague et j’ai eu accès à des trésors de partitions de musiciens bohémiens des époques baroque et classique. De par la qualité de son écriture, ce qui n’était pas forcément le cas de tous ses contemporains, Josef Myslivecek doit être redécouvert, c’est sûr. J’imagine que de nombreuses personnes vont le découvrir à cette occasion. Cela fait partie de notre mission aussi.
Quels sont vos projets avec et pour l’OCT ?
Continuer, encore et toujours, à proposer le mieux possible des concerts classiques mais aussi parfois décalés, aller toujours au plus près du public, de tous les publics. Et puis croisons les doigts car aujourd’hui la culture n’est pas toujours considérée comme prioritaire par certains, alors qu’elle est, à mon avis, essentielle à l’humanité. Rien n’est acquis et malgré nos succès il faut continuer à se battre tous les jours car, on le voit bien, dès qu’il faut diminuer un budget, c’est celui de la Culture qui est visé en premier. Pour l’heure ce n’est pas notre cas, mais, il est malheureusement certain que l’Homme du XXIe siècle n’a pas du tout le même rapport à la Culture que celui des siècles passés. Nous devons redoubler d’efforts, nous autres artistes, pour aller à la rencontre du public de demain afin de lui faire prendre conscience de l’importance de la musique classique et plus généralement de l’art pour sa construction personnelle.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
Une chronique de ClassicToulouse
Orchestre de Chambre de Toulouse