Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
« J’aime que les écrivains perdent le fil de leurs pensées, de leurs histoires, de leurs réflexions (…) Rien de plus délectable en bref que de s’abandonner à une littérature vagabonde, de se sentir en liberté, disposé à céder à toutes les sollicitations, à toutes les tentations », annonce Frédéric Vitoux dans Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers paru en 2020. Autobiographie ? Livre de souvenirs ? Oui, mais donc d’un genre peu académique d’autant que l’auteur dit avoir de la mémoire plutôt que des souvenirs. Des images, des instantanés, des détails surgissant du passé permettent à l’académicien – à l’instar des chats sur lesquels il a beaucoup écrit – de tirer le fil de la pelote. L’une des premières réminiscences qu’il évoque est celle d’un voyage en camion, en compagnie de sa mère, vers la prison de Clairvaux où son père était alors détenu après-guerre pour avoir travaillé dans la presse collaborationniste (voir le roman L’Ami de mon père).
Frédéric Vitoux s’attarde, accélère, prend le chemin des écoliers, pratique des ellipses et des digressions. Une musique, une scène, une réplique peut servir à ranimer les feux mal éteints de la mémoire. Pourquoi se souvient-on de tel moment apparemment anodin et que l’on ne comprendra parfois que des décennies plus tard ? Notre explorateur s’émerveille devant ces « petits faits vrais qui révèlent soudain ce qui restait jusque-là caché ou latent ».
On découvre des séquences et des gens de toutes sortes dans Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers. Voici un séjour à Dublin en 1965 dans une Irlande pas encore ouverte au tourisme et qu’il redécouvrira en 2017, refaçonnée par la mondialisation. Un déjeuner en compagnie de James Stewart, un hommage à Denis Lalanne, un portrait de Massin ou du peintre Eugène Deckers croisent des souvenirs familiaux ou une évocation de L’Iliade.
Fidèle
Comme le titre le suggère (on n’en dévoilera pas l’explication), le septième art n’est pas absent ici. Frédéric Vitoux se souvient des cinémas de son enfance et de sa jeunesse. Il y découvrit les œuvres des grands maîtres et des films mineurs à la saveur inoubliable, « des films qui sonnent à l’heure juste, sans avoir besoin de vous bousculer, de vous inquiéter ». Alors, « le monde autour de soi ressemble encore pour un moment à ce qu’il était sur l’écran, où tout est possible, débarbouillé du moindre soupçon de tragique ». Un père et un fils partagent des instants de connivence et de bonheur avec l’innocence de la première fois. Rien de grave ne semble pouvoir arriver.
L’auteur de La Comédie de Terracina tient le pathos à distance. A voix basse, il confie le motif de ce livre : « Rester fidèle à ce que l’on a aimé, rester proche, malgré tout, des lieux qui vous ont vu vivre et grandir, même si ces lieux se sont métamorphosés, et parfois même défigurés au fil des années (…) Rester fidèle en somme à ce qui n’existe plus mais que l’on ressent encore. »
Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers • Grasset