La Pause Musicale du 27 avril dernier accueillait dans la salle toulousaine du Sénéchal un ensemble instrumental d’exception. Le Quatuor Anches Hantées (saluons une fois encore la poésie du choix de ce nom de baptême !) offrait un résumé copieux du programme de son dernier enregistrement discographique, intitulé Fanny M.
Composé de Nicolas Châtelain et Sarah Lefèvre, clarinettes, François Pascal, cor de basset et Elise Marre, clarinette basse, le Quatuor Anches Hantées possède un répertoire d’une large diversité. Certes les œuvres originalement composées pour quatuor de clarinettes ne sont pas légion. Aussi, grâce à de subtiles transcriptions, ces musiciens empruntent au grand répertoire les partitions qu’ils exécutent comme des originaux. S’approprier notamment le grand répertoire du quatuor à cordes, tel est le défi que ces musiciens ont choisi, une nouvelle fois, de relever. « Plonger dans une écriture dense, nouvelle, qui oblige à être là, en jeu, en implication permanente, qui exige. » nous disent-ils.
Dans la salle toulousaine du Sénéchal pleine à craquer, ces quatre complices unis par un lien musical invisible impressionnent par la maturité et également le raffinement de leurs interprétations.
Basé sur le contenu original de leur dernier enregistrement discographique, le programme du concert s’ouvre sur la transcription pour leurs instruments du Quatuor à cordes en fa mineur opus 18 n° 1 de Ludwig van Beethoven. Il s’agit du premier quatuor à cordes sur les seize que Beethoven a publiés, mais le second composé. Les musiciens offrent ce jour-là, les deux premiers mouvements de l’œuvre. La remarquable fidélité au texte original donne immédiatement l’impression que la partition a été écrite pour ces instruments à vent. L’Allegro con brio scintille de mille feux. La virtuosité éblouissante, en particulier celle que déploie le premier clarinette (j’allais écrire le premier violon !), s’accompagne d’un remarquable sens des nuances, d’un choix de phrasés à la fois élégants et variés. L’adoption d’une dynamique extrême et néanmoins naturelle confère une vie frémissante à ce premier volet. L’Adagio affettuoso ed appassionato qui suit s’élève comme un chant nostalgique. Il évolue avec conviction vers une expression douloureuse et même impose quelques accents d’une intensité tragique. Il faut se pencher sur l’album CD pour satisfaire sa soif de poursuivre l’écoute de l’œuvre !
La deuxième étape de ce voyage nous plonge dans une musique d’aujourd’hui. Les membres du Quatuor ont commandé au compositeur suisse Richard Dubugnon une partition originale créée récemment et intitulée Lettre à l’Immortelle Bien-Aimée. Il s’agit là d’une évocation de lettres passionnées retrouvées dans l’héritage de Beethoven et adressées par le compositeur à une mystérieuse femme aimée restée inconnue. Richard Dubugnon a écrit sur ce thème un mélodrame associant à la musique une déclamation de ces lettres. Si ces textes, lus par Didier Sandre, Sociétaire de la Comédie Française, figurent dans la version enregistrée de cette pièce, c’est la seule partition musicale qui nous est présentée lors du concert. Les deux premières lettres (sur les trois que compte l’intégrale) témoignent d’une écriture musicale qui adopte un langage actuel et particulièrement expressif. La première semble simuler une voix pleine d’angoisse et d’inquiétude. La seconde s’écoute comme une série d’échanges entre les interprètes qui conduit à une profonde réflexion. Là aussi, on est incité à découvrir l’œuvre complète sur l’album CD.
Le concert se referme sur le Quatuor à cordes en mi bémol majeur de Fanny Hensel-Mendelssohn, la sœur de Felix Mendelssohn, dont Elise Marre nous rappelle les circonstances de la vie, à l’ombre de son frère. Reconnaissons que les milieux musicaux semblent enfin s’intéresser aux compositrices. Et donc à Fanny M ! Le Quatuor Anches Hantées joue pour conclure deux des quatre mouvements de ce beau Quatuor dans une transcription de Laurent Arandel. Après une introduction méditative, le premier mouvement Adagio ma non troppo éclaire le paysage de son éloquence sereine. Le quatrième volet, Allegro molto vivace, joué en complément, manifeste une volubilité joyeuse que les musiciens déploient avec une éblouissante vitalité.
L’ovation recueillie par cette belle prestation conduit à un bis qui prolonge la dernière pièce, puisqu’il s’agit de la transcription de l’un des lieder de Fanny Mendelssohn, Die Mainacht (La nuit de mai). Belle conclusion de ce concert qui aurait pu durer bien au-delà du format, néanmoins légitime, de cette Pause Musicale.
L’album CD du Quatuor Anches Hantées
Soulignons la qualité aussi bien technique que musicale de ce deuxième enregistrement discographique du Quatuor Anches Hantées après Malinconia, son premier essai parfaitement réussi.Ce deuxième album bénéficie en outre d’une illustration particulièrement originale, celle d’un somptueux tableau de Pierre Soulage.
Fanny M. a été créé et enregistré en 2022/2023 en hommage à la sœur musicienne de Felix Mendelssohn. Construit autour de la compositrice, ce programme est, en particulier pour les interprètes, l’occasion de réhabiliter un répertoire féminin trop longtemps négligé, « de partager la vie artistique d’une voix qui a dû se battre pour se faire entendre, donner à entendre le silence d’une femme aimée, invisible, la rendre audible ».
A suivre !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse