Pour son concert du 13 avril dernier, l’Orchestre national du Capitole a retrouvé le grand chef catalan Josep Pons ainsi que la fascinante mezzo-soprano Marianne Crebassa dans un programme musical contrasté et riche en émotions. Franz Schreker, Maurice Ravel et Richard Strauss mêlaient ainsi poésie et violence, enchantement et fureur.
Josep Pons a noué de solides relations avec de grands orchestres comme le Gewandhausorchester Leipzig, l’Orchestre de Paris, l’Orchestre symphonique NHK de Tokyo, la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen, le BBC Symphony Orchestra et… l’Orchestre national du Capitole de Toulouse avec lequel les liens tissés sont autant amicaux que musicaux.
La grande mezzo-soprano Marianne Crebassa prête son concours inestimable à ce concert du 13 avril. À la suite de sa participation très remarquée à la présentation de The Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent) de Bernard Herrmann au Festival de Radio France en 2010, elle a débuté une carrière international de tout premier plan aussi bien au concert que sur les scènes d’opéra.
Deux partitions étonnantes et fortes signées de deux compositeurs d’opéra pratiquement contemporains, Franz Schrecker et Richard Strauss, entourent ce soir-là le sublime cycle de mélodies Shéhérazade, de Maurice Ravel.
Le concert s’ouvre sur l’ouverture de l’opéra intitulé Die Gezeichneten (“Les Stigmatisés”), de 1918, du compositeur viennois Franz Schreker (1878-1934). Celui-ci émigra aux Etats-Unis, comme tant d’autres musiciens d’Europe centrale chassés par le nazisme qui qualifiait sa musique de « dégénérée ». Schrecker a néanmoins partagé pendant plusieurs années les succès de Richard Strauss sur les scènes lyriques. Composé entre 1913 et 1915, cet opéra s’inspire de la pièce de théâtre Être et avoir de Frank Wedekind, lequel influença également Alban Berg pour le livret de son opéra Lulu.
L’ouverture particulièrement développée de cet ouvrage en évoque les péripéties et les portraits des protagonistes. Musique forte, lyrique, intense qui monopolise un grand orchestre et toutes ses ressources possibles en termes de couleurs et de timbres. De la nostalgie à la révolte, le drame permanent se développe grâce à une orchestration rutilante que le chef maîtrise avec passion. Chaque pupitre de l’orchestre contribue à l’énergie qui se dégage de cette belle découverte.
Il s’agit encore d’énergie à propos de la dernière œuvre inscrite au programme : Elektra, suite symphonique. Cette sorte de poème symphonique, qui évoque l’histoire d’Elektra telle que Richard Strauss la raconte dans son opéra de 1908, est un arrangement datant de 2016 du chef d’orchestre Manfred Honeck et de Thomas Ille. Dans ce vertige orchestral de violence qui embrase toute l’œuvre, l’auditeur retrouve la succession des événements de cette tragédie. Les thèmes associés au différents personnages sont clairement identifiables et on retrouve fidèlement l’incandescence de l’orchestration straussienne, que ce soit pour Clytemnestre ou Chrysothémis. L’un des rares moment d’accalmie émerge du thème d’Oreste, le frère vengeur de l’héroïne. Même si l’absence des voix peut parfois s’avérer frustrante, des premiers accords explosifs sur le nom d’Agamemnon à la danse finale d’une insondable sauvagerie d’Elektra elle-même, l’orchestre ne relâche jamais la tension. Josep Pons insuffle à chaque musicien la passion qui l’anime. Un grand bravo à chaque pupitre, et notamment aux cuivres, abondamment sollicités tout au long de l’œuvre.
Entre ces deux déchaînements orchestraux vient s’insérer un havre de poésie et de finesse. Les trois épisodes du voyage oriental composés en 1904 sur les poèmes de Tristan Klingsor par Maurice Ravel, Shéhérazade, exercent sur chaque auditeur comme un pouvoir magique. D’autant plus que l’interprète soliste de ce triptyque, la merveilleuse Marianne Crebassa, réunit toutes les qualités que l’on n’ose parfois espérer. Saluons l’extrême précision de sa diction, son sens des mots, la justesse et la mobilité de son expression. La chaleur de son timbre vocal, le contrôle d’un souffle inépuisable participent à l’élaboration d’une interprétation au service d’une partition envoûtante. Du murmure de certains passages à l’aigu éclatant sur le mot « haine » dans le premier et emblématique poème Asie, toute la gamme des nuances est sollicitée. Dans La Flûte enchantée, la soliste Sandrine Tilly réalise une touchante intervention. Enfin, dans L’Indifférent le balancement de la mer semble consoler la tristesse de l’hôtesse délaissée par le visiteur étranger.
Dans cette succession d’épisodes rêvés, l’orchestre, dirigé avec tendresse, tisse un cocon imagé et subtil qui contribue à l’intense émotion de ce moment particulièrement touchant.
A l’issue du concert, Josep Pons ne cessé pas d’aller au sein de l’orchestre féliciter chaque musicien et chaque pupitre. A leur tour, les musiciens manifestent clairement et bruyamment leur satisfaction.
Un grand moment alimenté par les contrastes expressifs de cette belle soirée.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole