Le chef d’orchestre japonais Kazuki Yamada retrouvait, le 7 avril dernier à la Halle aux Grains, l’Orchestre national du Capitole avec lequel des liens chaleureux se sont tissés au fil des rencontres. Le programme de ce concert témoigne de la double culture de ce musicien passionné. Le Japon et la France tiennent une place de choix dans sa pratique professionnelle.
La succession des œuvres choisies pour cette soirée franco-japonaise obéit à une subtile logique. Francis Poulenc et Claude Debussy, deux emblèmes de la culture française au XXème siècle voisinent avec le compositeur japonais Akira Miyoshi, né en 1933 et décédé en 2013, qui a effectué une partie de ses études en France auprès d’Henri Dutilleux. Lorsqu’on réalise qu’Henri Dutilleux revendique l’héritage musical de Claude Debussy, la boucle est bouclée !
C’est avec le Concerto pour orchestre de Miyoshi, dont le titre évoque irrésistiblement un certain Béla Bartók, que s’ouvre ce concert. Cette partition de courte durée, structurée en trois mouvements, date de 1964. Comme son nom l’indique, son orchestration brillante confère à chaque groupe instrumental un rôle actif de soliste. Le Presto molto vivo initial donne le ton dynamique, énergique, avec une touche d’humour, de l’ensemble de l’œuvre. Les profonds contrastes qui animent le mouvement central, Lento, confèrent au célesta un étrange déploiement magique et comme un rôle pacificateur parmi les brèves explosions orchestrales. Le final, Prestissimo, combine fébrilité, agitation et même une succession d’éclatantes rafales de couleurs. Chaque pupitre de l’orchestre s’investit avec la même énergie que celle que déploie le chef.
Le jeune et brillant claveciniste Jean Rondeau rejoint un orchestre allégé pour l’exécution d’une œuvre rare de Francis Poulenc, son Concert Champêtre pour clavecin et orchestre, pièce composée en 1928. Cette partition étonnante est née d’une rencontre du compositeur avec la célèbre claveciniste Wanda Landowska qui lui fit découvrir les clavecinistes français les plus connus des XVIIe et XVIIIe siècles. « Moine ou voyou », c’était la formule du critique Claude Rostand pour qualifier Francis Poulenc, afin d’exprimer la complexité, l’ambivalence de son écriture musicale. Dans cette confrontation entre l’Ogre et le Petit Poucet, comme paraît être a priori cette association d’un grand orchestre avec un instrument confidentiel, la finesse et l’intelligence de l’écriture s’avèrent particulièrement subtiles. En effet, si le clavecin se fonds parfois dans le tutti, ses interventions importantes et décisives se produisent lorsque l’orchestre se tait ou « parle bas ». L’introduction du mouvement initial, pleine de mystère, conduit à un dialogue feutré, nuancé. Le jeu du soliste, plein de finesse, se déploie en particulier dans une cadence poétique et touchante. L’Andante et son rythme de sicilienne sonne comme un jeu de questions-réponses sur un fond de tendresse. On retrouve dans le final une sorte d’illustration de la boutade attribuée à Colette qualifiant le clavecin de Bach de « géniale machine à coudre » ! Les contrastes dynamiques entre le jeu cristallin, teinté d’humour, de Jean Rondeau et les affirmations péremptoires de l’orchestre animent ce Presto qualifié par Poulenc de « très gai ».
L’accueil enthousiaste du public obtient de Jean Rondeau un bis antérieur de quelques trois siècles avec le raffinement des célèbres Barricades mystérieuses de François Couperin. Un délice !
La seconde partie, dédiée à Claude Debussy, s’ouvre sur sa dernière grande œuvre symphonique qualifiée de « poème dansé » et mystérieusement intitulée Jeux. La légèreté de l’intrigue, liée à la disparition d’une balle de tennis, illustre les jeux enfantins de jeunes gens, sur une musique imagée et pointilliste. La complexité de l’écriture réside dans le fait qu’aucune répétitivité ne cherche à baliser un parcours musical d’un mouvante subtilité. Grâce à la direction acérée du chef, chaque pupitre de l’orchestre trouve sa place dans un canevas d’une extrême souplesse.
Nettement plus fréquente dans les programmes de concert, La Mer, trois esquisses symphoniques, du même Debussy, complète ce voyage coloré. Kazuki Yamada s’investit corps et âme dans cette exécution stupéfiante. Le chef danse, saute, décolle même de son podium, insufflant à son orchestre une énergie exceptionnelle. Ombre et lumière conduisent le premier volet, « De l’aube à midi sur la mer », de la douceur initiale du lever du jour au soleil éclatant de sa conclusion. Animant d’un rythme souverain le flux et le reflux de « Jeu de vagues », le chef obtient de tous les pupitres un somptueux scintillement lumineux. Dans l’épisode final, « Dialogue du vent et de la mer », la rutilance orchestrale atteint des sommets ! Le drame qui semble se jouer, peut-être la menace d’un orage, prend des proportions vertigineuses. Sous la direction passionnée de Kazuki Yamada, l’orchestre déchaîne ses sonorités les plus éblouissantes dans un final véritablement cataclysmique.
Une ovation du même niveau accueille cette interprétation volcanique. Le chef ne cesse de féliciter chaque soliste, chaque pupitre. En retour les musiciens lui manifestent une chaleureuse reconnaissance. A l’évidence, entre l’Orchestre national du Capitole et Kazuki Yamada, le courant passe !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole