Le 28 janvier dernier, l’ensemble toulousain de cuivres anciens Les Sacqueboutiers retrouvait la scène de l’Opéra national du Capitole pour un concert effervescent consacré au riche répertoire des musiques du XVI° siècle espagnol. Quatre chanteurs d’ascendance ibérique rejoignaient ce soir-là les musiciens de l’ensemble pour offrir un programme d’une belle variété expressive et musicale, judicieusement intitulé « El Fuego ».
« El Fuego » n’est autre que le titre d’une pièce haute en couleurs, très populaire tout au long du siècle d’Or espagnol, une « ensalada » joliment épicée d’un compositeur que l’on redécouvre. Et le fil rouge du programme présenté ce 28 janvier est constitué d’une série de ces « salades musicales », préparées par le très prolifique et imaginatif Mateo Flecha El Viejo (1481-1553). Ces partitions vocales et instrumentales abordent des thèmes religieux ou profanes qui évoquent le plus souvent la lutte entre le Bien et le Mal, entre Lucifer et Dieu. Plusieurs langues sont convoquées dont l’espagnol, bien sûr, mais aussi le catalan et parfois le portugais ainsi que le latin.
L’ensemble instrumental toulousain est composé ce soir-là de Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Daniel Lassalle, sacqueboute, Philippe Canguilhem, chalemie, Laurent Le Chenadec, basson, Yasuko Uyama-Bouvard, orgue, Enrike Solinis, luth renaissance et guitare baroque et Florent Tisseyre, percussions. Quatre chanteurs d’ascendance ibérique, compagnons habituels des Sacqueboutiers, les rejoignent : Quiteria Muñoz, soprano, David Sagastume, alto, Victor Sordo, ténor et Javier Jimenéz-Cuevas, basse.
Quatre de ces « ensaladas » de Flecha réunissent chanteurs et musiciens tout au long de la soirée et alternent avec d’autres pièces de compositeurs divers de la même période historique.
Cette lutte haute en couleurs qui anime toute cette belle programmation s’ouvre avec La Justa (La joute) de Mateo Flecha. Dès les première mesures, la fusion entre les voix et l’instrumentarium s’avère idéale. Comme dans la totalité des pièces choisies ici, l’éclatante diversité des rythmes, la mobilité dont les interprètes savent faire preuve confèrent une vitalité irrésistible à cette succession de pièces souvent brillantes, parfois nostalgiques. On connaît bien à Toulouse les qualités instrumentales et musicales des membres de l’Ensemble qui s’expriment ici sans contrainte mais avec une précision et une rigueur absolues. Les quatre chanteurs qui animent ces partitions cochent toutes les cases ! Beauté des timbres, pouvoir expressif, équilibre entre toutes les parties. La soprano Quiteria Muñoz, fraîcheur vocale et belle dynamique, le timbre chaleureux de David Sagastume, contre-ténor alto, le relief et la projection dynamique du ténor Victor Sordo s’équilibrent parfaitement avec la couleur sombre et le creux impressionnant de la belle voix de basse de Javier Jimenéz-Cuevas. L’intervention de ce dernier dans les imprécations de La Negrina, lui attirent les bravos spontanés du public. Dans La Guerra, musiciens et chanteurs mêlent avec humour leurs onomatopées. La pièce finale, El Fuego, qui donne son nom à ce programme, en caractérise parfaitement l’effervescence tonale et rythmique.
D’autres interventions aux effectifs plus spécifiques alternent avec ces pièces destinées à l’ensemble des artistes présents. Ainsi l’organiste Yasuko Uyama-Bouvard détaille avec art et finesse Differencia sobre el canto de Cavallero, de Antonio de Cabezón et le Tiento del 4° tono, de Francisco Correa de Arauxo. De son côté, le guitariste Enrike Solinis s’investit totalement dans une pièce emblématique de Gaspar Sanz, Jacaras y Canario. Tout aussi virtuose que musicien authentique, il est accompagné par l’esprit astucieux et facétieux du percussionniste indispensable, Florent Tisseyre. Cette performance subjugue le public qui éclate en une ovation enthousiaste.
De leur côté, les chanteurs expriment a cappella la beauté de leurs timbres mêlés dans deux villancicos de Juan Vásquez, Por vida de mis ojos et En la Fuente del Rosel, ainsi qu’un autre de Mateo Flecha, Teresica Hermana.
Enfin, les seuls musiciens de l’Ensemble se distinguent dans l’exécution impeccable du Tiento del 6° tono Sobre la Batalla de Morales, de Francisco Correa de Arauxo, et du Tiento de Batalla de 8° tono, de Sebastián Aguilera de Heredia.
Séparément et ensemble, tous les acteurs de cette soirée sont chaleureusement applaudis par un public visiblement conquis par le répertoire et l’art de l’aborder de ses ardents défenseurs. Deux bis prolongent encore ce programme original. Un extrait d’une autre ensalada de Mateo Flecha, La Bomba, réunit tous les participants qui reprennent ensuite le final si savoureux de La Negrina, également de Mateo Flecha. Double salade en guise de dessert !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse