Cinéaste du rêve et la liberté, Georges Franju fait l’objet d’une rétrospective à la Cinémathèque de Toulouse.
Douze courts métrages et les huit longs métrages de Franju sont à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse cet hiver. D’abord décorateur de théâtre, puis affichiste, Georges Franju rencontre Henri Langlois qui sera le monteur de son premier court métrage en 1934, « Métro ». Ils créent l’année suivante un ciné-club, le Cercle du Cinéma, puis fondent en 1936 la Cinémathèque française, avec Jean Mitry et Paul Auguste Harlé. Devenu Secrétaire exécutif de la Fédération Internationale des Archives du Film (FIAF) en 1938, il fonde en 1946 l’Académie du Cinéma qui organise des conférences internationales.
En 1948, il acquiert une renommée internationale en signant « le Sang des bêtes », un court-métrage soulignant le contraste entre le décor parisien voisinant les abattoirs de Vaugirard et la violence crue qui s’y déroule. Entre 1948 et 1958, il s’impose comme l’un des chefs de file du documentaire français en tournant treize courts métrages, dont la plupart sont des commandes. Il reçoit alors le Prix Louis Lumière pour l’ensemble de ses premiers films qui traduisent tous son «attirance pour l’insolite et pour ce qu’on a appelé le réalisme poétique».
Remplaçant Jean-Pierre Mocky pour l’adaptation d’un roman de Hervé Bazin, « la Tête contre les murs » est son premier long métrage: il met en miroir l’institution psychiatrique et le monde dit «normal». Jean-Luc Godard écrit alors dans les Cahiers du Cinéma: «Comme on dit l’amour-fou, du premier long métrage de Franju, on dira : le cinéma-fou. « La Tête contre les murs » est un film de fou sur les fous. C’est donc un film d’une beauté folle».
Georges Franju déclara à la radio, en 1969: «Il n’y a pas de Nouvelle Vague et je la conteste. Il n’y a pas de Nouvelle Vague dans le long-métrage, par contre il y en a une dans le court-métrage, nous étions plusieurs, il y avait Resnais, il y avait Fabiani, notre ami Mitry, Yannick Bellon, mon ami Georges Rouquier. Et ça c’était une vague, c’était un courant car le documentaire français était prestigieux. Quand Maurice Germain dit « la Tête contre les murs » est le premier film Nouvelle Vague, je ne comprends pas, moi je ne savais pas ce que cela voulait dire à l’époque, d’ailleurs je ne sais toujours pas ce que cela veut dire… Sauf que cette vague a reculé et qu’elle n’a donné que des épaves!». Le succès de « la Tête contre les murs », sorti en 1958, est suivi l’année suivante par « Les Yeux sans visage », film le plus connu de sa filmographie, d’après un roman de Jean Redon. Édith Scob, qui deviendra sa comédienne fétiche, tient le rôle d’une fille enfermée par un savant fou incarné par Pierre Brasseur.
En 1961, Georges Franju précisait sur l’antenne de la radio nationale sa définition du cinéma fantastique: «Les films d’épouvante les plus forts sont, au fond, les films chirurgicaux, on ne fera jamais mieux. Car pour faire peur aux gens il ne faut pas donner l’impression que les personnages sur l’écran, aient peur. Les surréalistes atteignaient à l’épouvante avec des scènes d’une extraordinaire banalité. […] Pour faire peur il faut être à la foi réaliste et atteindre à l’anormal. On doit faire “vrai” dans tous les cas même si on suggère, à ce point que si on prend un film de fiction comme l’un des premiers « Frankenstein », pour moi c’est comique. Tous les films d’épouvante qui ne sont pas réalistes sont comiques et souvent grotesques. La seule bonne scène dans ce film montrait Frankenstein et une petite fille au bord d’un étang. Il était sorti de son laboratoire, il n’y avait plus d’étincelles, la petite fille lui donnait des fleurs et quand elle n’a plus eu de fleurs à lui donner il l’a jetée dans l’étang. C’était très vrai. C’était un décor naturel, Frankenstein était humain, la petite fille était là et c’était la seule scène d’épouvante du film.»
Sur un scénario original de Boileau-Narcejac, « Pleins feux sur l’assassin » est un policier burlesque qui déçoit en 1960. « Thérèse Desqueyroux », d’après le roman de François Mauriac, lui permet deux ans plus tard de transcender son réalisme fantastique dans les méandres de la psychologie criminelle. «Dans tous les personnages de François Mauriac le personnage le plus indigne est le personnage de l’homme qui croit. Il y a deux personnages chez François Mauriac, celui qui croit et celui qui doute. Moi je crois à celui qui doute», assurait Georges Franju sur les ondes, en 1969.
Il enchaîne avec sa version poétique de « Judex », personnage de justicier créé en 1916 par Louis Feuillade et Arthur Bernède. Cinéaste du rêve et de la liberté, il réalise ensuite « Thomas l’imposteur », d’après Jean Cocteau, avec Emmanuelle Riva dans le rôle d’une princesse devenue infirmière en 1914, puis « la Faute de l’abbé Mouret » qui narre les amours sensuelles d’un jeune prêtre et d’une jeune femme, avec Francis Huster et Gillian Hills. Il mêle templiers et robots humains dans le Paris contemporain de « Nuits rouges », son ultime film pour le cinéma, en 1974, la version pour grand écran d’un feuilleton en huit épisodes, intitulé « l’Homme sans visage », qu’il tourne pour la télévision.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros