Musique, chant et théâtre, c’est la trilogie nécessaire pour qu’un opéra soit une réussite, et La Vie de Bohème donné en ce moment à l’Opéra national du Capitole en est un fier exemple. C’est un triomphe. Vous avez jusqu’à la dernière le 6 décembre pour applaudir le travail fourni par les chanteurs, les musiciens, les techniciens et tous ceux qui ont œuvré en coulisses ou en Ateliers.
Christophe Ghristi, directeur artistique a confié cette nouvelle production au tandem André Barbe & Renaud Doucet pour ce qu’il en est de la mise en scène, les décors et les costumes, assistés pour les lumières par leur acolyte Guy Simard. Ne tournons pas autour du pot, leur travail est une totale réussite d’un bout à l’autre. On est dans une esthétique réaliste mais sûrement pas anecdotique. Pas de sentimentalité, ni de guimauve. Ils ont choisi de transposer l’action dans les années 1920 à Paris, évidemment. On peut craindre alors le pire ou approchant comme lors de la dernière production il y a une douzaine d’années. Craindre aussi pour le livret et la musique de Puccini en sachant comment le compositeur peut avoir eu d’exigences lui-même avec le livret. Et là, miracle, pas de mauvaises surprises. On est bien dans la traduction d’une idylle romantique et non dans une quelconque critique sociale. La vie joyeuse dans la mansarde, c’est là, les marchands ambulants et les clients du café Momus, aussi, la désolation de la Barrière d’Enfer et la neige qui tombe, tout autant, et le retour en février dans la mansarde, bien sûr.
Une sorte de prélude à l’opéra, la traduction d’un rêve, avec quelques minutes de chansons d’époque, un passage à l’accordéon avec Michel Glasko pour faire la jonction entre l’acte III et le dernier, et quelques anachronismes ou plutôt clins d’œil, disons de nature vie d’aujourd’hui, et le tour est joué. Pas de quoi faire retourner dans leur tombe, ni le compositeur, ni les librettistes.
Ce sont donc quatre compères qui ne roulent pas sur l’or mais qui s’entraident, aussi bien pour trouver de quoi se nourrir au quotidien que de se chauffer à l’approche de l’hiver. C’est de la colocation joyeuse. La direction d’acteurs fait qu’on passe d’un acte à l’autre sans accroc, avec naturel. Tous les détails du livret sont présents. On ne peut les énumérer ici. On en profite pour louer tout de suite le travail du chef Lorenzo Passerini qui s’attache grandement à ses musiciens dans la fosse et au plateau avec un dynamisme louable, sans répit, respectant la couleur sonore particulière de chacun des actes. Mais ce travail est aussi grandement facilité par la distribution vocale.
Et là, c’est le Top. Christophe Ghristi s’est fait fort de réunir de jeunes chanteurs, et ils sont là, et bien là. Le Rodolfo de Liparit Avetisyan est une “sacrée“ surprise. Facilité dans l’aigu, phrasé, puissance, souffle, que sais-je encore. Bluffant ! Et c’est une Première. Celui de Azer Zada est peut-être un peu en de ça, mais il est tout de même un beau Rodolfo. Ils abordent Puccini avec autant de facilité que de netteté, sans exagérer la corde sentimentale. Ils s’appliquent à négocier chaque phrase avec beaucoup de naturel. On remercie les metteurs en scène de nous avoir épargnés le ténor, secoué de sanglots, se ruant sur le corps sans vie de son amour défunt, dans la scène finale.
Quant au Marcello, Mikhail Timoshenko, c’est une autre pochette surprise de luxe. Un jeune baryton-basse déjà de cette trempe, c’est l’horizon tout dégagé devant lui. Son compère Jérôme Boutillier est aussi d’excellente facture. Les deux jouent à la perfection leur emportement tout en étant scrupuleux dans leur chant. On suit avec intérêt leurs amours malheureuses. Après un rôle très discret, trop, dans le Barbier, Edwin Fardini dans Schaunard a pu démontrer toutes ses capacités aussi bien côté chant que présence scénique. Julien Véronèse et Guilhem Worms ont été à la hauteur de leur rôle dans Colline. Et Matteo Peirone a assumé au mieux sa tâche en palliant la dramatique absence de Jacques Calatayud.
Quant à Musetta et Mimi, que des louanges. On se gardera bien de toute préférence d’une distribution à l’autre. Chacune, avec ses qualités, peut garder à son répertoire le rôle en question. Émouvantes dès le premier acte, chacune dans son rôle, extravertie pour Musetta, très réservée pour Mimi, elles sont d’une crédibilité totale. Aucune mièvrerie cependant chez la cousette poitrinaire Mimi qui n’a pas besoin de tousser toutes les cinq minutes pour prouver qu’elle est bien malade, et Musetta n’est pas non plus une godiche hystérique. Souplesse et brillant chez les deux, la Valse que Musetta chante est parfaite, à mon goût. Avec subtilité, Barbe & Doucet mettent en parallèle les souffrances de Mimi avec la pudeur insoupçonnée de Musetta. On a les yeux humides quand l’une ou l’autre, Vannina Santoni ou Anaïs Constans, va rendre le dernier soupir. C’est la jeune fille fragile, ni rusée, ni rouée qui est emportée comme une feuille morte au gré du vent. D’ailleurs, Barbe & Doucet la font disparaître. Et l’on a mal au pied tout autant que Marie Perbost ou Andreea Soare. Chant et présence scénique sont sans reproche.
Vous avez deviné : que des atouts pour cette production de l’œuvre la plus populaire de Giacomo Puccini. Un italien qui parvient à restituer un état d’esprit parisien que la transposition ne dénature pas grâce à l’intelligence artistique et musicale surtout, de tous les protagonistes. Dès le « O soave fanciulla » vous serez happé et le duo Rodolfo-Marcello, « O Mimi, tu più non torni » dans le dernier acte vous …achèvera ! Garanti.
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