Ce sera donc pour le lundi 21 novembre à 20h, à la Halle. Peut-être avec un peu de retard car l’artiste aux dix doigts d’or, mais à chaque main, règle encore son instrument au-delà de la dernière minute. Il lui sera pardonné sans souci cette petite entorse. Les organisateurs du Cycle Grands Interprètes ont compris que le public de la région est fan de ce pianiste et qu’ils auraient tort de vouloir les en priver, d’où sa programmation régulière. Qu’ils en soient remerciés !
Le menu, fort différent des récitals précédents est le suivant :
Henry Purcell
Ground in Gamut en sol majeur, Z. 645
Suite n°2 en sol mineur, Z. 661
A New Irish Tune [Lilliburlero] en sol majeur, Z. 646
A New Scotch Tune en sol majeur, Z. 655
[Trumpet Tune, called the Cibell] en do majeur, Z.T. 678
Suite n°4 en la mineur, Z. 663
Round O en ré mineur, Z.T. 684
Suite n°7 en ré mineur, Z. 668
Chaconne en sol mineur, Z.T. 680
On peut penser que toutes les œuvres de cette première partie seront données sans applaudissements entre elles.
entracte
Ludwig van Beethoven
15 Variations et fugue en mi bémol majeur sur un thème original, opus 35 “Eroica”
Johannes Brahms
Trois Intermezzi opus 117
Dans la première partie, Sokolov se fait plaisir. Il est allé dénicher ce qui peut être appelé des rarities. En effet, Purcell n’a laissé que peu de partitions en rapport avec l’écriture pour clavier. On parle plutôt d’ailleurs, de pièces pour clavecin bien sûr et épinette !! Le compositeur a eu une vie relativement courte, de 1659 à 1695, disons trente-six ans, comme Mozart. Et pourtant, il fut très fécond, composant dès l’adolescence, avec un catalogue de ses œuvres extrêmement vaste. Mais sa production pour clavier reste une goutte d’eau. Elle se remarque pour sa simplicité, avec des pièces relativement aisées, certaines qualifiées de pédagogiques, dont huit Suites et des transcriptions mais aussi une Chaconne qui clôt l’ensemble.
Le contraste sera d’autant plus saisissant avec l’œuvre choisie de Beethoven. Cet ensemble de Variations est d’une rare intensité pianistique, un véritable chef-d’œuvre, écrit en 1802, qui semble vouloir comme “clouer le bec“ à tous ceux qui pourraient douter du génie du compositeur !! et aujourd’hui, douter du pianiste !! Un thème pourra servir de repère à tous ceux qui ont en tête le ballet Les Créatures de Prométhée et le Finale de la Symphonie n°3 “Eroïca“.
Sokolov conclut avec trois pièces de Johannes Brahms, écrites en 1892, à la soixantaine approchant, donc vers la fin de sa vie, dans lesquelles le compositeur va confier ses pensées. Un Brahms plutôt résigné dont la musique transpire l’automne. Un triptyque nostalgique à souhait. Il fait partie du testament pianistique du compositeur. Des pages d’un journal intime d’un homme qui, de son propre aveu, “en lui-même ne riait jamais“. Ces pièces empreintes de sérénité, lui-même les qualifiait de “berceuses de ma souffrance“. Ce sont autant de confidences apaisées que l’homme vieillissant envoyait par la poste à sa vieille amie Clara Schumann, veuve maintenant depuis trente-cinq ans.
Enfin, si vous avez été bien sage, vous aurez droit à quelques Encore qui pourront constituer comme une troisième partie toujours aussi réjouissante.
On a pu lire : « Il y a Sokolov et il y a les pianistes ». Le faire venir et revenir si souvent, est-ce par facilité ? La raison est bien plus simple. À chaque fin de concert, l’accueil du public et les applaudissements sont suffisamment parlants voire démonstratifs pour donner la preuve que ce choix se révèle toujours aussi judicieux. Pas de lassitude au rendez-vous, aucune, avec une Halle aux Grains, presque complète, soit pas loin de deux mille auditeurs, et spectateurs, car il y a l’interprète et l’homme. Il a l’air bourru, c’est vrai. Pas un sourire en direction du public. À peine un coup d’œil. Tout droit vers le clavier, vers l’instrument qui est alors une véritable partie de lui-même. Tout à sa concentration, contagieuse. Seul le piano existe. Tel un Beethoven sourd s’approchant de son instrument, indifférent à tout ce qui l’entoure, entièrement absorbé dans ses pensées musicales. Ainsi se présente Grigory Sokolov à son public, déjà conquis, avec une concentration quasi immédiate, lui aussi. Et c’est parti pour une heure et demie de communion toutes oreilles dressées, yeux écarquillés, portables archi-éteints, et surtout, surtout, ni toux, ni raclement de gorge. Et pas d’applaudissements intempestifs et au mauvais moment, s’il vous plaît!
Sachons que ces dernières années, Grigory Sokolov a renoncé au brio des engagements planétaires avec orchestre pour se concentrer sur un exigeant tête-à-tête avec le piano. Un tête-à-tête exigeant aussi avec son public et le lieu du concert car l’artiste n’aime pas du tout, mais du tout être perturbé pendant sa “performance“. Le cadre de la Halle par exemple, lui convient fort bien. Celui du Cloître, ouvert aux quatre vents, pas du tout et n’y est jamais venu. Plusieurs années également qu’il donne très peu d’entretiens et limite autant que possible son activité d’enregistrement. Jamais pourtant, il n’a été aussi connu – non comme une simple star du clavier mais, aux yeux de beaucoup, comme un véritable monstre sacré.