L’innocent, un film de Louis Garrel
De par le scénario, le casting, le montage et son jeu personnel, Louis Garrel signe ici, en même temps que son quatrième long métrage, un film terriblement abouti marquant son entrée dans la cour des grands.
Clairement inspiré d’un vécu personnel, le dernier opus de Louis Garrel (devant et derrière la caméra) nous met en présence de Sylvie, la soixantaine resplendissante. Elle va se marier avec un prisonnier, Michel. Quand Abel, le fils de Sylvie, l’apprend, il se met dans une colère noire. Il espérait autre chose pour sa mère. Mais voilà, l’amour est le plus fort et Abel doit se rendre à l’évidence. La confrontation entre les deux hommes n’est pas simple. Par protection et sans rien dire, Abel « file » Michel une fois libéré. Malgré ses promesses, ce dernier a renoué avec ses anciens camarades. Il va même, sous la pression, l’avouer à Abel et lui dire l’objet de leur prochain braquage : un camion de… caviar qui vaut une fortune. Il va même lui proposer de l’associer car il a besoin de son futur beau-fils et de sa copine Clémence. Tous les deux seront en charge d’occuper le chauffeur dudit camion qui passe tous les jours à la même heure dans le même restaurant et commande le même menu. Autant vous le dire, la scène est d’ores et déjà culte. Et ce pour de multiples raisons. L’originalité d’une part, la virtuosité de la mise en scène, ainsi que le contenu car ce qui devait être un « scénario » se révèle un jeu de la vérité sous les yeux tendrement attentifs du routier. Louis Garrel nous a confié que cette histoire de caviar était plus vraie que vraie. Ce qui n’est déjà pas mal mais qu’en plus, n’étant pas spécialiste de braquage, il s’était rapproché d’ex-prisonniers qui lui avaient fait un plan d’enfer pour cambrioler ledit camion. Beaucoup trop naturaliste, ce plan a été abandonné et remplacé par celui que nous voyons dans le film, une scène vraiment tournée en état de grâce. L’histoire de ce malfrat amoureux (Michel), traité ici sous la forme d’une tragi-comédie penchant sérieusement quand même vers la comédie à l’italienne, croise subtilement des thèmes œdipiens ainsi que les conflits intergénérationnels.
Réussissant une fusion parfaite entre les artistes choisis pour ce film, Louis Garrel parvient du même coup à nous offrir l’une des plus jubilatoires comédies que nous ayons vues depuis longtemps. Comédien hyper-sensible, formidablement émouvant et fabuleusement subtil, il incarne cet Abel possessif et meurtri, pas très courageux mais qui va jouer les Pieds Nickelés par force avec l’aide de Clémence, la meilleure amie de sa compagne disparue, ici Noémie Merlant, vibrionnante de vie, d’humour et de témérité. Roschdy Zem (Michel) et Anouk Grinberg (Sylvie) sont les parfaits interprètes de ce couple aussi improbable qu’attachant. Au total un film plaisir, ce qui n’a rien de vulgaire, glissant le marivaudage le plus émouvant dans un polar de la meilleure eau. Une réussite fantastique !