Le 2 octobre dernier, la précieuse chapelle des Carmélites hébergeait le premier concert de Toulouse Guitare. Pour l’ouverture de sa 5ème saison, Thibaut Garcia et son équipe avaient invité la grande guitariste d’origine tchèque Petra Poláčková. Une grande première pour la Ville rose qui a permis de découvrir in situ et d’admirer un accomplissement musical hors du commun.
Depuis la création en 2017 de l’association Toulouse Guitare qui gère cette nouvelle institution, de grands talents de l’instrument se sont succédé sur les diverses scènes de la ville. La chapelle des Carmélites se prête admirablement à ce format de concert, avec parfois quelques insuffisances liées à l’acoustique d’église du bâtiment. Une nouveauté attendait les nombreux spectateurs de ce concert vespéral : l’installation sur la plateforme d’un ensemble de conques acoustiques transparentes destinées à guider le son vers le public. Disons immédiatement que le résultat s’avère parfaitement convaincant !
Rappelons que suivant la belle tradition établie dès la première saison, les invités prestigieux de ces concerts sont précédés de l’intervention d’un ou d’une jeune guitariste qui a ainsi la possibilité de se confronter à un public.
Ce 2 octobre, c’est à Robin Tahar, déjà remarqué lors de l’annonce de la saison par Thibaut Garcia, d’ouvrir cette session inaugurale. Actuellement en première année de l’ISDAT sous la direction de Benoît Albert, Rémi Jousselme et Thibaut Garcia, Robin Tahar présente avec talent un programme déjà professionnel. L’Introduction et variations sur un thème de Mozart, de l’Espagnol Fernando Sor est d’abord jouée avec finesse, fluidité et virtuosité. Une musique d’Amérique latine complète ce bref panorama. Le jeune interprète restitue avec conviction toute la richesse rythmique de trois pièces colorées du Vénézuélien Antonio Lauro ainsi que celle de la Valse n° 4 du Paraguayen Agustin Barrios. Chaleureusement applaudi, Robin Tahar laisse la place à l’invitée d’honneur de cette ouverture de saison.
La grande Petra Poláčková offre ce soir-là un programme qui mêle originalité et diversité. En outre, elle joue à Toulouse une très belle guitare romantique à 9 cordes. Avec son allure de petit théorbe, cet instrument, plutôt rare sur les scènes, distille une sonorité particulièrement riche de timbres. D’une manière générale, et grâce au jeu raffiné de l’interprète, on admire la profondeur des sonorités du registre grave autant que la luminosité des aiguës, ainsi que la large gamme des nuances qu’elle déploie. Tout au long de ce récital, l’extrême musicalité du jeu de Petra Poláčková reste la qualité principale de ses interprétations.
Le Tombeau sur la mort de M. Comte de Logy, de l’Allemand Sylvius Leopold Weiss, exact contemporain de Johann Sebastian Bach, ouvre cette seconde partie de concert. Composée pour le luth, cette partition a été adaptée avec finesse pour la guitare à 9 cordes par l’interprète elle-même. Sombre comme une déploration, l’Allemande initiale est suivie de l’éloquence du Capriccio. Sommet expressif de l’œuvre, la Sarabande déroule sa complainte, alors que la Gigue finale vient éclairer cet hommage d’une lumière consolatrice. L’interprète soutient sans affectation l’expression des sentiments par des choix subtils de phrasé et encore une fois la musicalité la plus admirable qui soit.
La séquence suivante explore un grand recueil de Johann Kaspar Mertz, recueil intitulé Bardenklänge (Sons des bardes), Op. 13. Quatre extraits significatifs de cet ensemble donnent une belle idée du romantisme qui imprègne le style du compositeur. Animation, inquiétude, nostalgie, souffrance, émanent successivement des doigts de l’interprète qui confère au dernier extrait intitulé Unruh (Inquiétude) une agitation fiévreuse toute schubertienne.
Et c’est précisément sur une série de transcriptions de lieder de Schubert par le même Johann Kaspar Mertz que s’achève ce beau voyage musical. Le choix des lieder ouvre une large gamme de modes d’expression. Le jeu raffiné de la guitariste permet de distinguer le chant de son accompagnement. Au point de donner parfois l’illusion que deux instruments différents mêlent leur voix ! La dramaturgie de chaque lied fonctionne à plein. Autre impression, celle d’une prosodie qui substitue la sensibilité musicale au texte chanté. La synthèse de toutes ces caractéristiques se retrouve de manière saisissante dans l’un des lieder les plus célèbres, Ständchen (Sérénade), extrait du dernier cycle de lieder Schwanengesang (Le Chant du cygne). L’émotion atteint là son apogée.
L’accueil chaleureux du public ne se calme un peu qu’à la suite des deux bis que Petra Poláčková offre généreusement. Une pièce pour vihuela (guitare baroque) de Miguel de Fuenllana, compositeur espagnol du XVIème siècle, est suivie d’un nouvel extrait des Bardenklänge de Johann Kaspar Mertz. L’ovation debout qui suit en dit long sur l’impact de cette belle prestation qui a d’ailleurs été précédée, la ville par une master class de la musicienne dans le cadre du Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse. Heureux élèves qui ont ainsi bénéficié d’une contribution du plus haut niveau !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse