Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Monsieur Klein de Joseph Losey
Janvier 1942, Paris, Robert Klein, opulent marchand d’art, rachète des toiles à bas prix à des Juifs aux abois. Un jour, dans son luxueux appartement de la rue du Bac, alors que l’un de ses clients le quitte, il découvre sur son pallier un exemplaire du journal Informations juives destiné à informer la communauté israélite des mesures la concernant. Une erreur due à une homonymie ou une mauvaise plaisanterie, pense-t-il. Car les Klein, comme le lui confirmera son père, sont « français et catholiques depuis Louis XIV ». Signalant la méprise aux autorités, il attire surtout les suspicions de celles-ci. Son avocat lui conseille de fournir un certificat de catholicité, mais la procédure est complexe. En outre, Robert Klein se persuade qu’un homonyme se sert de son identité et va partir à la recherche de l’autre « Monsieur Klein ».
Quatre ans après L’Assassinat de Trotski sorti en 1972, Alain Delon revient devant la caméra de Joseph Losey, cinéaste américain contraint à s’exiler en Europe durant le maccarthysme. Monsieur Klein est la plus grande réussite du réalisateur d’Eva, The Servant ou Le Messager (Palme d’Or en 1971) ainsi que l’un des plus grands rôles de Delon (également producteur du film).
Entre Kafka et Modiano
Sans didactisme ni effets spectaculaires, le film montre l’horreur de l’antisémitisme d’Etat instauré par le régime de Vichy et les Allemands. La scène d’ouverture – une femme auscultée et examinée tel un animal par un médecin chargé d’établir si elle appartient à « la race sémite » – plonge ainsi d’emblée le spectateur dans une ignominie « ordinaire », froide, administrative. De même, plus tard, la reconstitution d’une rafle qui évoque celle du Vel’d’Hiv et le dernier plan glaçant suggèrent avec force et sécheresse la solution finale.
Malgré lui, Robert Klein – l’un de ceux qui traversent l’Occupation indifférents aux tragédies qui les entourent et qui même en profitent – va basculer du côté des victimes et des persécutés. En suivant Klein se débattre dans des sables mouvants et clamer qu’il n’a « rien à voir dans tout ça », on songe naturellement à l’univers de Kafka. Celui de Patrick Modiano n’est pas loin non plus dans cette quête d’identité pleine de mystère et de faux semblants au cœur du Paris occupé. Les lumières crues ou sombres, tour à tour noires, vertes et grises, du chef opérateur Gerry Fischer confèrent au film une esthétique unique. Quant à Delon, remarquablement épaulé par des seconds rôles de haut rang (Michael Lonsdale, Suzanne Flon, Jeanne Moreau, Juliet Berto…), il est exceptionnel dans sa composition d’un homme sûr de lui, séducteur, cynique qui voit son univers s’écrouler et qui est emporté dans la nuit concentrationnaire.
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