Cher Baro d’Evel,
On s’est déjà vu quelque part, et pas qu’une fois. Depuis Le Sort du Dedans jusqu’à Falaise en passant par Bestias, Mazùt, et bien sûr Là, d’abord dans cette petite forme, un work-in-progress au Théâtre Garonne de Toulouse. Inoubliable! Puis tu es revenu, et voilà que tu repasses ces jours-ci.
J’ai pas pu m’empêcher. Le spectacle venait de se terminer, ou plutôt tu étais sorti le prolonger dehors, avec le public encore perché et vos sérigraphies séchant sur un fil.
Mais je suis resté dans la salle, seul, avant que l’équipe commence à ranger. Quelques marches et j’étais sur la scène de LÀ, encore bruissante de tes éclats et de tes danses cadencées. Un courant d’air a fait voler un petit bout du texte déchiré par Gus, le corbeau-pie, au début du spectacle. Le papier est retombé à côté du lutrin portant un exemplaire de ton livre que tu avais annoncé en vente sur la table, dehors.
Un livre grand, épais, presque une dalle noire, avec la couverture fendue d’une trace blanche qui intrigue. Un livre qu’on a envie de prendre.
Dès qu’on l’ouvre, des images sautent aux yeux: noirs et blancs chaleureux, couleurs qui flashent la rétine. Des photos si attirantes qu’on se retrouve à les caresser.
On s’aperçoit vite que, sous des airs de « beau livre », cet ouvrage n’en n’est pas un, loin s’en faut. Ce livre est comme une parlotte animée qu’on aurait en bord de scène, un temps à discuter entre copains, avec des photos qui passeraient de main en main.
Car il y a ces bouts d’entretien qui rythment les pages tournées. Barbara Métais-Chastanier te connaît bien, elle en a pris le temps. Elle déroule ici des questions fines et pertinentes, des observations bien vues qui rebondissent sur des pistes que tu suis depuis plus de 20 ans (déjà). C’est que tu as tant à raconter, ici, et ce qu’on lit nous réconforte, comme des réponses ou des images ou des mélodies que sans doute on attend inconsciemment depuis longtemps.
Rien que par cela, ce livre ne tombe pas dans le piège de l’autobiographie qui appellerait maladroitement un hommage – certes mérité, mais je laisse ça à d’autres plumes- à votre écriture singulière. C’est au contraire un livre libre, qui ne fige rien, un livre-mouvement – d’ailleurs son titre est Les Beaux Gestes.
On y ressent ton ADN foncièrement nomade, ta vitalité douce, toutes les dimensions de l’espace que tu investis, de la cabane secrète jusqu’au plus vaste, que tu ornes de signes blancs ou noirs, que tu fais sonner avec des danses à petits pas frappés, et que tu remplis de mots, d’abord timides, bredouillés, puis tu hausses le ton, et enfin tu peux les clamer avec la joie de l’enfant surexcité qui retrouve son coffre à jouets. Des fois le chant lyrique prend le relais, avant de trébucher, comme toi, et alors c’est la danse des corps qui te rattrape – à moins que Gus, ou Txapakan le cheval sentent qu’ils doivent faire les choses à ta place.
Et la tendresse? Elle est là bien sûr, enveloppante, ressourcée à chaque seconde par l’énergie qui circule entre tes corps multiples.
Tu cites Tapiès, Kantor, Tati, Tarkowski, Despret, Buster Keaton ou encore Mirò… Si tant est que tu les poses dans ce livre comme clés de lecture (je suis sûr que non), cela n’entame en rien la fraîcheur du battement entre maladresses, fulgurances et élégances qui compose ton univers poétique.
Et tout ce que tu ne donnes pas à voir alimente comme une eau souterraine notre conversation.
En quittant la scène ma main traîne sur une paroi du décor, et c’est à mon tour tatoué de la trace blanche du livre que je vous rejoins pour papoter
LES BEAUX GESTES
par Baro d’Evel et Barbara Metais-Chastanier – Commander le livre
Un article du blog La Maison Jaune