Le cinéaste hongrois Béla Tarr fait l’objet d’une rétrospective la Cinémathèque de Toulouse.
Les réalisateurs Gus Van Sant, Jim Jarmusch et Guy Maddin, l’essayiste Susan Sontag ou encore l’actrice Tilda Swinton le considèrent comme l’un des grands cinéastes de notre époque. Il a mis un point final à sa filmographie en 2010 avec « le Cheval de Turin », qui a reçu l’Ours d’argent au Festival de Berlin. Parmi ses œuvres marquantes, « le Nid familial », son premier film tourné en 1977, est l’évocation des problèmes sociaux de la Hongrie de son époque dans un style presque documentaire. Dix ans plus tard, « Damnation » (photo) aborde la décrépitude morale en usant de travellings dignes de Tarkovski ; En 2000, il signe « les Harmonies Werckmeister », joyau noir flirtant avec le fantastique.
En dix longs métrages, quatre courts métrages et une fiction pour la télévision, Béla Tarr a façonné une œuvre radicale et visionnaire, à la beauté formelle fascinante. Il est le cinéaste d’un temps réinventé, un orfèvre perpétuellement traversé par la question de la condition humaine, un chercheur invétéré des fondements du monde. Ses films sont à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse, où une rétrospective lui est consacrée ce mois-ci. Né à Pecs en 1955, d’abord ouvrier de la réparation navale, Béla Tarr sort diplômé de l’École supérieure du Théâtre et du Cinéma de Budapest. Il débute sa carrière par une trilogie sociale fortement influencée par le cinéma direct et le travail du Studio Béla Balazs, dont il fait un temps partie : « Nid Familial », « l’Outsider » et « Rapports préfabriqués » composent ainsi une vision percutante de la réalité socialiste.
En 1982, son adaptation de « Macbeth », de William Shakespeare, pour la télévision n’est composée que de deux plans, pour une durée de soixante-sept minutes. Le cinéaste brille ensuite par l’élégance de sa mise en scène avec une seconde trilogie, écrite avec l’aide du romancier hongrois Laszlo Krasznahorkai, constituée de « Damnation » (1987), du film fleuve « le Tango de Satan » (1994) et des « Harmonies Werckmeister ». Maîtrise du plan séquence, composition d’un noir et blanc magique et captivant, refus de la prédominance de la narration, le cinéma de Béla Tarr pénètre la beauté du monde avec une fulgurance empreinte d’ironie. En 2007, on retrouve dans « l’Homme de Londres », réalisé à partir d’une œuvre de Simenon, ce même désespoir incandescent.
Comme l’écrit Émile Breton, «on ne peut pas dire que les films de Béla Tarr, du « Nid familial » et ceux qui le suivirent, situés sous le socialisme, aux « Tango de Satan » et « les Harmonies Werckmeister » postérieurs à sa chute, fassent preuve d’un optimisme excessif quant à l’avenir de l’humanité. Reste pourtant ceci: tous, quels qu’ils soient, procèdent d’une telle jubilation dans l’invention d’une écriture à la hauteur de leur sujet profond, qu’il y a toujours de l’allégresse à les voir ou les revoir, l’impression qu’ils ont été tournés dans la joie.»(1)
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
(1) Revue Cinéma n° 3 (septembre 2002)
Conférence par Corinne Maury, jeudi 21 avril, 19h00 (entrée libre).