Expo photo au Centre culturel des Mazades (Toulouse) jusqu’au 25/03/2022
Plongée dans l’univers poétique d’Arno Brignon dont les images révèlent un non-dit sauvage, typique des affleurements d’intensité qui infusent – ou parfois surprennent – le photographe-marcheur.
Pour le topo – sans GPS donc – situons que, installé à Toulouse et par ailleurs activement impliqué dans la vie photographique de la ville, Arno Brignon présente dans cette exposition personnelle un travail réalisé de 2018 à 2021 lors d’une résidence d’expérimentation en Couserans et d’une résidence de Territoire en Centre Val de Loire.
Quant au projet, au dispositif, ou aux conventions de départ, comme vous voudrez, ça tient en quelques mots qui ne veulent rien dire ou n’annoncent rien hors contexte: boîtiers argentiques pas trop sophistiqués, films couleurs périmés, et quelques centaines de kilomètres en vadrouille solo. Autrement dit, débrancher les certitudes, les dogmes académiques, oublier les réglages et autre post-prod acharnée que nous vendent les équipements up-to-date. Paramétrer au contraire l’inconnu, antinomie volontaire pour souligner l’état d’esprit de celui qui lace ses bottines, boucle son sac avec casse-dalle, boîtier et pellicules, serein mais pas non plus fébrile à l’idée des chemins qui vont de toutes façons le nourrir. C’est « la part jetée au hasard et à l’accident […] celle où surgit l’enchantement poétique des images qui irradient le récit. » [Pascal Therme, dans le flyer de l’exposition]
C’est bien sûr cette progression en chemins, coteaux, forêts, crêtes, et champs cultivés qui infuse l’intime du photographe jusqu’à la contemplation pure – mais sans sidération précise-t-il, celle qui ouvre à un état sensoriel débarrassé du raisonnable et de l’analyse. S’impose alors la saisie de l’image au moment qui résonne. Cette forme d’accomplissement fugitif, le photographe n’y parvient pas n’importe comment. Familier des dérives, agent d’accueil des surprises, des rencontres, et autres improvisations: voilà Arno Brignon! Non pas qu’il les cherche avec acharnement, mais il saura les reconnaître.
Dans cet équipage, ils sont quelques un.e.s : Gabrielle Duplantier, Martin Bogren, Alisa Resnik pour en citer peu mais de plus en plus nombreux, à s’autoriser cette liberté, non pas d’être: celle-là va de soi, même en photographie, mais de légitimer l’affleurement rare et précieux de cet intime absolu au fil de livres et d’expositions. Dans ce coming-out délicat, ils sont soutenus par le talent de tireurs inspirés (Guillaume Geneste à Paris, François Leblond à Berlin, etc..) et d’éditeurs courageux (Editions Lamaindonne, L’Artiere Editions, Filigranes Editions, etc..). Pour tout dire, de telles images et les récits de liberté qu’elles tissent sont un authentique réconfort pour ceux qui regardent mais aussi pour ceux dont le regard de photographe s’éveille ou se forge.
Une affirmation identitaire radicale et contagieuse donc, sans doute parce qu’elle opère, par immersion subtile et perte de contrôle volontaire, un franchissement de cette frontière invisible avec la part sauvage – entendez: qui nous échappe – d’une Nature exploitée, sanctuarisée, abîmée, mystifiée, dont nous faisons également partie. Voilà une quête que nous partageons tous, de tous temps mais davantage en cette époque critique, pourvu que l’on s’accorde le pas-de-côté qui permet cette écoute attentive.
Les surprises chromatiques et autres accidents sur la pellicule sont juste une manière pour Arno Brignon d’inviter le hasard, de préserver les conditions d’une trace unique, imprévisible, mais certainement accueillie comme authentique, résonance d’une connexion fugitive.
Puissance des petits matins assis au bord des mondes, sur les lignes de crêtes où diffusent lumières, textures, fulgurances et temps longs du monde sauvage.
Exposition jusqu’au 25 mars 2022 au Centre Culturel des Mazades à Toulouse
Le laboratoire toulousain PHOTON a réalisé les impressions sur papier Hahnemühle Photo Rag et Awagami Kozo Blanc
Arno-brignon.fr / Instagram: @arnobrignon
Le livre Terre et Territoires #1 Les Doutes est consacré à la résidence d’Arno Brignon en Centre Val de Loire, partie de cette exposition. On peut le commander chez Zone i, co-éditeur, ou le trouver en librairie.
Un billet du blog La Maison Jaune