CRITIQUE. THEATRE. TOULOUSE. THEATRE DE LA CITE.2/2/22. KLINIKEN. L. NOREN. J. DUCLOS.
Synopsis :
Kliniken se passe dans un hôpital psychiatrique. Les patients se côtoient et tentent de cohabiter, de coexister. Ils et elles sont d’âges et d’horizons très différents, et n’auraient pas dû, a priori, se rencontrer. Dans l’hôpital de Kliniken, les pathologies ne sont pas « regroupées » ; anorexie, autisme, schizophrénie, perversion, psychopathie, effets traumatiques et dépression se côtoient, sans échelle de valeur ou de gravité. Ici, chacun défend son histoire, Lars Norén ne juge personne. Les patients semblent livrés à eux-mêmes et s’engluent dans leur souffrance sous nos yeux.
Critique :
Kliniken est une belle réflexion salutaire sur le monde dans lequel nous vivons et l’époque que nous traversons.
Cette pièce suédoise de 1993 est à la fois ancrée dans le temps et le pays d’origine avec en particulier des références cinématographiques un peu opaques pour les français mais surtout elle a quelque chose d’universel et d’intemporel. Lars Norén dans son écriture reste simple afin que les malades nous soient très proches. La pièce est construite sur le modèle tragique avec unité de temps et de lieu. Nous sommes dans une salle de séjour d’un hôpital psychiatrique du matin au soir. Il y a onze malades et deux professionnels (un aide-soignant et un veilleur de nuit). Au-delà de la découverte progressive d’une part de l’histoire de chaque patiente et patient, cette pièce nous parle du vide. Du vide existentiel, du vide intérieur et de l’absence de soin. Ce service qui reçoit des patients de toutes pathologies correspond à une sorte de banalité en services de psychiatrie. Les pathologies sont réalistes et n’ont rien de particulier non plus. Le manque de personnel n‘étonnera pas d’avantage, tant le contexte actuel est délétère en France. Les locaux assez froids et fonctionnels sont plutôt en bon état ce qui est plus rare dans l’hexagone.
Plusieurs questions peuvent interpeller les spectateurs. La première pourrait être la perception de la fragilité de la frontière entre le normal et le pathologique. Frontière poreuse quand on voit le comportement de l’aide-soignant du matin ou encore lorsque qu’on entend la pertinence et la sagesse de certaines paroles des patients. La pièce de Lars Norén ne cherche pas à montrer l’aspect thérapeutique, ni ne cherche à développer la clinique pathologique, ni de montrer la construction de liens forts entre les patients. Il nous met face à l’ennui et le vide. Cet ennui si terrible qui nous fait agir quand nous sommes libres et qui prend une tout autre dimension lors d’une hospitalisation. Le miroir particulier en période Covid nous rappelle le temps pas si lointain du confinement. Tout ce temps dont disposent les malades, comme les confinés en ont disposé et qui force à fuir d’une manière ou d’une autre le douloureux face à face avec soi-même. La première action est de fumer pour les tabagiques, se gaver de TV pour certains, de rester dans le silence pour les plus rares et d’émettre une parole en boucle pour la plupart. C’est de cette parole sans surprise pour celui qui parle que naissent les bribes d’histoires de chacun.
Mais ces histoires sont fermées et tournent en boucle de manière mortifère. En négatif se fait entendre par son absolue absence cette parole libre, pleine de surprises qui est recherchée au niveau thérapeutique. Comme en négatif l’absence du psychiatre qui vient le lundi, celle des psychologues dont personne ne parle ou des infirmiers. C’est le grand vide au niveau du soin hormis la protection des murs. La série sur Arte, Thérapy, est le négatif de Kliniken. Thérapy nous faisait assister au travail psychothérapique. De nombreux films parlent de psychiatrie comme « Folles de joie », « Vol au-dessus d’un nid de coucou », ou décrivent plus finement le fonctionnement mental, « Psychose » du grand Hitchcock, les interactions entre malades ou encore le travail institutionnel . Cet ennui nous gagne aussi en tant que public et semble fatal à certains (très peu nombreux) qui quittent la salle. Il n’y a donc pas de voyeurisme dans cette pièce, rien de spectaculaire ou de vraiment monstrueux sinon celui des effets de l’ennui universel. Les « histoires » de chaque patient sont représentatives de ce qui peut arriver dans la « vraie vie » : des parents dépassés ou maltraitants, une société qui ne protège pas vraiment, des séquelles indélébiles de traumatisme, un besoin de temps pour « digérer » ainsi que cette peur de l’avenir et ce mal de vivre aux formes si diverses avec cet attrait si fort pour la mort. Toutes ces questions sont comme bloquées chez ces malades mais en fait elles nous concernent plus ou moins tous. Le ton est plutôt calme et les moments violents sont rares et liés à la même jeune femme mélancolique, Sofia qui veut disparaître à tout prix. C’est la prise obligée de médicaments et sa mort qui sont terribles. La violence est immense lors de la prise forcée du traitement et cela semble précipiter son passage à l’acte.
C’est bien la mort qui se cache derrière tous les troubles. Et c’est bien par cette peur de la mort que nous acceptons des aménagements diaboliques. La prise forcée de médicaments nous rappelle plusieurs choses. D’abord que le champ de la psychiatrie est le seul encadré par la justice pour imposer un traitement à un patient se mettant en danger ou mettant en danger la société. L’hospitalisation en psychiatrie et son cortège de traitements imposés est légalement très encadré et semblait un fait unique. La pandémie a fait voler en éclat cette exception. Avec en premier temps l’interdiction faite à des médecins de soigner leurs malades en les enjoignant à fermer leurs cabinets. C’est la négation du devoir de soigner (précepte du serment d’Hippocrate). Cela n’a pu être accepté que par le climat de terreur « panmondiale ». Ensuite une obligation de traitement non psychiatrique et donc non encadrée par la loi, a été installée avec les injections contre le Coronavirus qui ont été inexactement nommées « vaccins». Ce traitement qui par des mesures de pressions très subtiles force la population à le prendre sans véritable consentement ne renvoie-t-il pas à ce qui se passe dans Kliniken ? Combien de Sofia dans notre pays ? Dans le monde ?
La mort de la jeune femme fera vaciller la fausse tranquillité des résidants. Et montre bien que rien hélas ne peut contrer la force du désir de mort quand il est chevillé au corps à ce point.
Le décor simple et efficace, les lumières discrètes font leur travail d’atténuation et alimentent la fausse tranquillité de cet hôpital. Des projections en direct de patients en leur intime solitude donnent un peu d’émotion au lieu.
Le jeu des acteurs est tout à fait admirable car il ne singe pas la maladie mentale. Le respect habite les comédiens et c’est précieux. C’est le plus grand compliment qui peut être fait à des acteurs jouant la folie : chacun défend avec conviction son personnage et lui offre des moments d’émotion et de sagesse. La mise en scène est simple et très lisible. Le jeu est naturel et sans emphase. Tout ceci évacue le spectaculaire facile afin de nous aider à nous concentrer sur ces notions de vide et d’ennui.
Voici une pièce qui complète les nombreux films, séries et romans qui parlent de la psychiatrie. Mettre ainsi en lumière les moments les moins spectaculaires est une audace que le travail de Julie Duclos et ses acolytes sur scène et à la technique a très bien rendu. Dans cette nouvelle production de Kliniken de Lars Norén il y a un très beau travail d’équipe au service d’une réflexion salutaire sur le monde dans lequel nous vivons et l’époque que nous traversons.
Critique. Théâtre. Théâtre de la Cité, le 2 février 2022. Lars Norén : Kliniken (pièce de 1993) ; Traduction : Camilla Bouchet, Jean-Louis Martinelli et Arnaud Roig-Mora ; Mise en scène : Julie Duclos ; Avec : Mithkal Alzghair, Alexandra Gentil, David Gouhier, Émilie Incerti Formentini, Manon Kneusé, Yohan Lopez, Stéphanie Marc, Cyril Metzger, Leïla Muse, Alix Riemer, Émilien Tessier, Maxime Thebault et Étienne Toqué.