Si Berlioz résonne souvent dans les salles de concerts avec son « Épisode de la vie d’un artiste, symphonie fantastique en cinq parties », il n’en est pas de même avec la suite de cette « marche au supplice », sorte d’OMNI (Objet Musical Non Identifié) intitulé « Lélio ou le Retour à la Vie ». Le 4 décembre dernier, Tugan Sokhiev et l’Orchestre national du Capitole ont enfin réalisé ce rêve du compositeur en réunissant les deux actes de ce même voyage initiatique si profondément gravé dans l’esprit romantique de l’époque.
Une Halle aux Grains pleine à craquer d’un public curieux a accueilli avec enthousiasme cette initiative quelque peu révolutionnaire. Tous les moyens ont été déployés pour satisfaire les exigences d’un compositeur aussi doué que mégalomane. Rappelons que l’exécution de Lélio requiert l’implication d’un grand chœur mixte, d’un acteur-récitant et de deux solistes chanteurs : un ténor et une basse. La composition de l’orchestre, auquel se joint un piano et deux pianistes, reste très proche de celle de la Symphonie fantastique.
En guise d’introduction de luxe, cette Symphonie ouvrait donc la soirée du 4 décembre. Détaillant avec minutie les cinq épisodes de la partition, Tugan Sokhiev choisit pour l’orchestre un effectif particulièrement fourni des pupitres de cordes. Ses tempi s’évèrent le plus souvent assez retenus. En particulier, l’introduction qui ouvre le mouvement Rêveries -Passions établit une sorte de suspense. A l’élégance du Bal succède la poésie de la Scène au champ avec son bucolique solo de cor anglais et ses impressionnants roulements de tonnerre. Les deux derniers mouvements, la Marche au supplice et le Songe d’une nuit du sabbat, mobilisent toutes les ressources cuivrées et autres, avec cette fois une ampleur et une intensité particulières des cordes.
L’épisode suivant du Retour à la vie reçoit l’appoint décisif de l’Orfeón Donostiarra, ce très beau chœur basque, dirigé par José Antonio Sainz Alfaro, partenaire fréquent de l’ONCT. Le récitant de cette fresque exubérante n’est autre que le grand acteur Lambert Wilson. Le ténor Mathias Vidal chante le rôle de l’ami de l’artiste, Horatio le pêcheur, et Vincent Le Texier, baryton basse, incarne le capitaine des brigands.
Tout commence par la seule parole angoissée de Lélio : « Dieu ! je vis encore… ». Le rôle du récitant est primordial dans cette œuvre hybride. Lambert Wilson réalise là une véritable performance d’acteur. Il parvient parfaitement à exprimer les souffrances, les angoisses, les rêves de son personnage, les subtilités et les exubérances d’un texte, écrit par Berlioz lui-même, et qui verse parfois dans les délires romantiques les plus extrêmes, sans en exagérer l’expression. L’humour vient colorer certains passages, comme celui au cours duquel Lélio donne aux musiciens et aux choristes des conseils de bon comportement vis-à-vis du chef d’orchestre. Les sourires fusent dans l’orchestre comme dans le public…
A côté de la courte et rugueuse intervention, bien en situation, de Vincent Le Texier dans le rôle du capitaine des brigands, celle de Mathias Vidal touche à la perfection. La clarté de la diction, la ductilité d’une voix souple et lumineuse, les passages subtils du registre de poitrine à la voix de tête confèrent à son chant un charme particulier.
Le chœur, comme toujours, s’intègre bien au tissus orchestral et gère avec finesse les différents registres et caractères de ses interventions. La transparence orchestrale n’est jamais prise en défaut, même dans les tutti les plus grandioses. Tugan Sokhiev soutient le lyrisme et les couleurs typiquement berlioziennes de l’écriture. En parfait accord avec le récit, le dosage des silences, clairement notés dans le livret, s’insère musicalement dans la partition.
Le grand succès de ce diptyque visionnaire augure bien de la suite de ce programme qui est redonné le 6 décembre à la Philharmonie de Paris par les mêmes interprètes.
Décidément, Berlioz nous surprendra toujours.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole