La belle initiative de Christophe Ghristi, directeur artistique du Théâtre du Capitole, de prolonger la saison cruellement amputée de sa vénérable institution a connu, ce 6 juillet, une éclatante mise en orbite. Jordi Savall et deux de ses ensembles ont attiré un public assoiffé de musique qui a, pour la plupart, découvert et acclamé un répertoire rare et flamboyant, ressuscité par le grand musicien catalan et ses brillants compagnons.
Jordi Savall, direction et dessus de viole – Photo Geri Born –
Sous le titre « Villancicos Criollos », Jordi Savall offre un feu d’artifice de pièces musicales et vocales datant de 1550 à 1780 et nées de la rencontre des cultures dans la péninsule ibérique et en Amérique latine. Comme il l’indique lui-même avec passion et générosité, ce « Métissage musical » porte encore de nos jours un message signifiant d’humanité et d’entente mutuelle. La fusion inespérée de la culture des colonisateurs et celle des colonisés ne cesse de surprendre et d’éblouir. Comme le dit Jordi Savall en fin de concert, on peut s’étonner de la gaieté des chants créés par les peuples soumis à un esclavage souvent cruel. Néanmoins cette expression culturelle était la seule qui leur permettait de s’échapper vers une liberté intérieure. Sage remarque !
Afin de rendre justice à ces témoignages hauts en couleurs Jordi Savall réunit deux de ses ensembles spécifiquement créés pour chaque répertoire, ici les voix de la Capella Reial de Catalunya et les instruments d’Hespèrion XXI. Le nec plus ultra de ces musiciens se place ainsi au service d’un programme à la fois intelligent et sensible. Présentée sous la forme de quatre modules mixtes alternant pièces instrumentales et pièces vocales, cette succession de partitions habilement reconstituées par le grand musiciens catalan aborde des territoires variés et des couleurs d’une incroyable richesse expressive.
A noter l’implication personnelle et virtuose de Jordi Savall et son dessus de viole dans les improvisations qui épicent ce programme exigeant. Saluons les qualités, déjà bien connues, des musiciens qui composent Hespèrion XXI, rompus à ce type d’exercices. Les mêmes niveaux d’excellence sont tutoyés par les chanteurs de la Capella Reial de Catalunya. Un cas particulier doit néanmoins être souligné, celui de la jeune soprano Lixsania Fernández qui joue également le ténor de viole et rejoint ainsi les traditions anciennes d’exécution de ces musiques. Bravo à elle !
Le premier groupe de pièces mixtes qui ouvre le concert souligne la joie de la danse avec des noms de compositeurs assez connus, comme Antonio de Cabezón, Mateo Flecha ou encore Luis Milán. Une certaine nostalgie émane de la section suivante au cours de laquelle la langue quechua s’introduit dans un rituel signé d’un certain Juan Pérez Bocanegra. Jordi Savall improvise là sur sa viole d’étranges et subtils chants d’oiseau.
L’émotion caractérise la chanson rituelle indienne en langue Moche déclamée avec sensibilité par le ténor Victor Sordo, alors que la chacona mieux connue, « A la vida bona », ramène la bonne humeur. La dernière section, essentiellement chantée, se conclut sur la savoureuse guaracha (genre musical né à Cuba) : « Ay, que me abraso, ay », agrémenté d’un solo tonitruant de sacqueboute, délivré avec autorité par Daniel Lassalle. Un sourire parcourt toute la salle qui éclate en applaudissements enthousiastes.
Le succès est tel que les musiciens se lancent dans un doublet de bis, dont un de nouveau en langue quechua. Le bis final rend honneur à Mateo Flecha et l’une de ses Insaladas, ces pièces aussi variées que le plat dont elle tire son nom.
Cette première soirée de bonheur des Nuits d’Eté, acclamée pendant de longues minutes, constitue la meilleure des introductions de ce nouveau festival qui devrait connaître un grand succès.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse