Rarement un tel enthousiasme du public a salué la performance artistique d’un ensemble d’interprètes touchés par la grâce ! Le 1er juillet dernier, l’ultime concert de la saison de Grands Interprètes accueillait une nouvelle fois sur le plateau de la Halle aux Grains l’ensemble Il Pomo d’Oro, dirigé du clavecin par un Maxim Emelyanychev en état de transe. L’opéra de Haendel, Oreste, inscrit au programme dans sa version de concert était en outre défendu par une distribution vocale que l’on peut qualifier d’exceptionnelle.
Rappelons que cet ouvrage lyrique est un pasticcio (pastiche), ce qui signifie que la musique des airs a été assemblée à partir d’œuvres antérieures, principalement d’autres opéras et cantates également de Haendel. Les récitatifs et les parties de danse sont les seules sections composées spécifiquement pour cette œuvre. L’action qui y est développée concerne les malédictions qui pèsent sur la famille des Atrides. Oreste et sa sœur Iphigénie se retrouvent dans des circonstances tragiques qui, Deus ex machina, s’achèvent dans le bonheur retrouvé.
La version resserrée qui nous est offerte ce soir-là est portée à bout de bras par le chef russe animé par une urgence, une fièvre, un enthousiasme que l’ensemble instrumental Il Pomo d’Oro traduit avec rigueur et vitalité. Il faut une fois encore redire la qualité des musiciens qui le composent, qualité individuelle de chacun et qualité collective que le chef « attise » depuis les claviers de son clavecin avec une attention de tous les instants. Le continuo, avec notamment un théorbe très présent, anime les récitatifs de la plus vivante des façons. Les nuances les plus extrêmes, de la colère à la douceur, construisent un cheminement dramatique de l’œuvre qui touche au plus profond.
Les trois actes de l’ouvrage bénéficient d’une distribution idéale, à la fois pour les qualités vocales de chaque chanteur et pour l’intelligence et la sensibilité des incarnations.
Le rôle-titre a été écrit par Haendel pour le castrat Giovanni Carestini qui bénéficiait à l’époque d’une renommée comparable à celle des rock stars d’aujourd’hui. Il est ce soir-là interprété par un contreténor. Et quel contreténor ! L’Argentin Franco Fagioli est mondialement reconnu pour sa technique virtuose et la beauté de sa voix. Sa première intervention, dès le début du premier acte, transporte toute la Halle. Son aria « Agitato da fiere tempeste » cloue chaque spectateur sur son fauteuil et lui vaut une chaleureuse ovation ! La folie virtuose qui s’empare de son personnage ne se départit jamais d’une rondeur unique du timbre, d’une précision incroyable des vocalises, d’une véritable incarnation de son personnage habité d’angoisse, de remord, de colère et par instants de tendresse comme dans l’aria « Dopo l’orrore » du deuxième acte.
Une tendresse qui s’adresse aux deux caractères féminins de l’ouvrage, sa sœur Ifigenia et son épouse Ermione, rajoutée à l’histoire par les librettistes. On ne peut qu’admirer la science du chant du contreténor dans le traitement de chaque « aria da capo », la reprise de l’air étant subtilement et brillamment ornée comme le veut la tradition de l’écriture baroque. L’ambitus de ses vocalises, de l’aigu de soprano au grave de baryton, est couvert sans la moindre rupture au passage d’un registre à l’autre. L’homogénéité vocale reste assurée, jusque dans les incroyables trilles de l’aria finale.
Si l’interprétation du rôle-titre impressionne, son entourage vocal s’avère à la hauteur. Le rôle d’Ifigenia est parfaitement tenu par la soprano australienne Siobhan Stagg, toute de douceur blonde au timbre lumineux, mais capable de colorature animée et d’aigus triomphants.
La soprano d’origine russe Inga Kalna, incarne l’épouse aimée et aimante d’Oreste, la fidèle Ermione. Son art consommé du legato, la rondeur de sa voix peuvent se permettre de violentes colères comme dans l’air du premier acte « Dite pace e fulminate », avec ses incroyables contrastes. Son duo avec Oreste à la fin du deuxième acte est un grand moment d’émotion.
L’ensemble des interprètes au salut. Au premier plan de gauche à droite :
Krystian Adam (Pilade), Inga Kalna (Ermione), Franco Fagioli (Oreste), Maxim Emelyanychev (direction et clavecin), Siobhan Stagg (Ifigenia), Biagio Pizzuti (Toante), Margherita Maria Sala (Filotete) – Photo Classictoulouse –
Le rôle travesti de Filotete, le capitaine de la garde, amoureux d’Ifigenia, est assuré avec autorité et souplesse par la mezzo-soprano italienne Margherita Maria Sala, au timbre de velours.
Deux rôles masculins sont également admirablement tenus. L’ami et compagnon d’Oreste, le fidèle Pilade, est chanté avec ardeur et émotion (la très touchante aria « Caro amico, a morte io vo ») par le ténor polonais Krystian Adam. La cruauté du roi de Tauride, Toante, convient parfaitement à la basse italienne Biagio Pizzuti dont les colorature impressionnent.
Redisons ici l’extrême vitalité dans laquelle l’œuvre avance vers une fin heureuse. Les péripéties dramatiques qui animent en permanence l’intrigue sont menées de main de maître et avec passion par Maxim Emelyanychev, en état permanent de vigilance et d’exaltation.
A coup sûr, et suivant en cela les interminables acclamations du public conduisant à un bis du final, nous avons vécu là l’un des grands moments de toute la saison musicale.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Le Cercle des Grands Interprètes