À la suite du grand silence musical imposé par la crise sanitaire à la saison des Grands Interprètes, cette fin de mois poursuit la renaissance d’une active vie musicale. Les 27 et 28 mai, Philippe Jaroussky et l’Ensemble Artaserse ont enfin pu offrir aux Toulousains ce programme de musique baroque que l’évolution des conditions sanitaires a reporté à de multiple reprises.
Le brillant et sensible contreténor poursuit son exploration du grand répertoire de la tradition baroque. Rappelons que Philippe Jaroussky a découvert l’art du chant et la tessiture de contreténor à l’âge de 18 ans. Son premier récital, en 1999, abordait déjà le monde de Haendel qu’il ne cessera pas d’explorer. En 2002, il crée l’ensemble Artaserse, un « outil » instrumental à géométrie variable d’une grande qualité qui lui permet de couvrir un large répertoire.
C’est avec cet ensemble raffiné qu’il se présente enfin devant un public avide de musique vivante et que les conditions sanitaires et les jauges limitées ont réparti entre deux sessions, les 27 et 28 mai derniers. Le programme de ces soirées se partage entre les deux figures majeures de l’opéra baroque, Antonio Vivaldi et Georg Friedrich Haendel. L’ensemble instrumental, dont le premier violon Thibault Noally joue un rôle essentiel, est cette fois presque exclusivement composé d’instruments à cordes. Le clavecin, le théorbe et le basson se joignent néanmoins aux violoncelles pour constituer l’indispensable continuo. On ne peut qu’admirer le sens de la couleur, parfois même de la parodie, la finesse et la musicalité de ses interventions.
Le timbre si souvent qualifié d’« angélique » du contre-ténor possède en lui-même une pureté lumineuse. Certes, l’aisance de sa vocalisation, de sa projection, la perfection technique de son chant sont admirables en elles-mêmes. La musicalité de son chant reste en permanence au plus haut niveau. Il n’est que d’observer le soin avec lequel il choisit les bons phrasés. Mais le supplément d’âme qu’il apporte à ses interprétations en font tout le prix. Si les aventures héroïques ou sentimentales des personnages qu’il incarne avec autant de conviction nous touchent, c’est à la finesse et à la sensibilité du musicien qu’on la doit.
En outre tout le concert, composé d’une multitude d’arias et de courts fragments instrumentaux, s’avère admirablement ordonnancé. Ces nombreux extraits, fort intelligemment liés en tenant compte de la succession de tonalités compatibles, résonnent comme le ferait une vaste symphonie pour voix et orchestre. La continuité, à la fois musicale et expressive, soutient l’attention et maintient un intérêt constant. Des mouvements de Concerti grossi ou de Sinfonie s’intercalent avec opportunité entre les arias.
La première partie, consacrée au Prêtre roux de Venise s’ouvre sur sa fameuse Cantate pour voix d’alto « Cessate omai cessate » RV 684. Dans cette alternance de récitatif accompagnés et d’arias, la voix occupe tous les registres possibles, de la colère à la plainte, de la révolte au désespoir. Dans ce drame exacerbé, le chanteur n’hésite pas à passer aisément en voix de poitrine lorsque le contenu l’exige. Après le beau Concerto RV 157, admirablement joué par Artaserse, l’essentiel de ce volet Vivaldi se consacre à l’opéra L’Olimpiade RV 725. Dans la succession de deux arias de Licida aux caractères opposés Philippe Jaroussky déploie des trésors d’expression contrastée, du subtil legato de la berceuse « Mentre dormi » à l’explosion de colère de « Con questo ferro ».
Plus étale, le volet consacré à Haendel alterne avec finesse les arias et une série de Concerti grossi dans lesquels le plus britannique des compositeurs allemand excelle. La tendresse du Concerto grosso opus 6 n° 4 ouvre ce second volet. Le chanteur endosse ensuite le rôle d’Orfeo extrait de la « festa teatrale » Il Parnasso in festa, parfois qualifiée de « serenata ». Son lamento, plein de sensibilité, émeut profondément. Deux autres Concerti grossi, également extraits de l’opus 6, encadrent deux arias de l’opéra seria Radamisto. Là encore Philippe Jaroussky exprime avec conviction et musicalité les affects les plus opposés. Au recueillement éthéré du fameux « Ombra cara » s’oppose la révolte, la haine même, de « Vile, se mi dai vita » !
Un tel déploiement vocal et musical reçoit l’ovation méritée d’un public ravi et soulagé de ce retour au contact direct. Deux bis réclamés et généreusement offerts complètent ce panorama. Il s’agit de deux arias d’opéra, le premier extrait de Giustino de Vivaldi (air d’Anastasio : « Sento in seno ch’in pioggia di lagrime ») le second de Serse de Haendel (air d’Arsamene : « Sì, la voglio e l’otterrò ») qui prolongent ainsi ce voyage en « baroquie ».
Le résultat de cette « renaissance » fait presque oublier la longueur de l’attente !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse