Si les salles de cinéma sont toujours fermées, cela ne signifie pas qu’il ne s’y passe rien. Faisons le point aujourd’hui avec Annie, Jérémy et Frédéric de l’American Cosmograph qui nous parlent de la réorganisation au sein de l’équipe, de leur moral, des travaux, de la réouverture.
Annie m’a appris il y a plusieurs mois son départ de l’American Cosmograph…
Annie : Le premier confinement en mars 2020 a fait réfléchir tout le monde, et sur moi, il a agi un peu comme un électrochoc. Je me suis rendue compte que j’avais envie de m’installer à la campagne, d’être plus en cohérence avec les changements environnementaux, vivre plus sobrement, de manière globale et y compris par rapport au travail, ce qui n’est plus compatible avec le fait de travailler au Cosmo. J’ai démissionné de la gérance et j’ai vendu mes parts au 1er septembre 2020. Depuis cette date, Jérémy est seul gérant, et je suis passée assistante de direction, jusqu’au 31 mars 2021. Mes futurs projets ne seront a priori pas en lien avec le cinéma, sauf si la salle me manque trop, ce qui n’est pas exclu. Cela ne m’empêchera pas d’être spectatrice.
Quels sont les changements engendrés par ce départ ?
Jérémy : c’est un gros bouleversement pour le Cosmo car tout le projet et tout le cinéma fonctionnaient avec deux associés co-gérants. Dans la situation sanitaire actuelle, c’est encore plus difficile de se projeter. La première idée était de recruter quelqu’un directement comme assistant-e de direction. J’avais même commencé à avoir quelques contacts. C’était déjà compliqué de voir les gens et la fermeture des salles a encore augmenté la difficulté. Recruter par téléphone, ce n’est pas simple. Cela m’a laissé un temps de réflexion plus long, et on s’oriente finalement vers une réorganisation en interne. On a une équipe soudée et investie et l’idée de proposer ce poste d’assistant de direction à Frédéric m’est apparue tout à fait logique. Notre fonctionnement en équipe, qui n’est pas toujours simple, est un aspect essentiel du Cosmo. Le fait de choisir Fred renforçait ce travail collégial.
Là, le poste de Fred est en phase de construction. Il partagera une partie de la responsabilité du Cosmo avec moi, notamment quand je suis absent, occupé, ou en vacances si elles arrivent un jour (rires). Il prendra une partie des tâches que faisait Annie, pas toutes, car il a déjà des activités qui lui étaient dévolues. On est en train de voir aussi la réorganisation de l’équipe en interne, comment répartir un peu les tâches, sachant forcément que je vais en prendre une grande partie.
Frédéric : Ça avait déjà été abordé en interne qu’un collègue reprenne le travail que faisait Annie. Jérémy m’a fait des propositions d’un certain nombre de tâches, on a discuté de ce que je voulais faire ou pas. J’ai été à la fois surpris et intrigué de cette proposition. J’étais déjà impliqué, comme d’autres membres de l’équipe, mais à différents degrés. J’ai accepté car ces nouvelles fonctions m’intéressent, et je vais prendre en charge des choses qui me correspondent. Pour le moment, on voit des choses ensemble, même si tout reste encore un peu obscur à cause de la crise sanitaire. J’espère que tout va fonctionner dès qu’on reprendra.
L’équipe va-t-elle s’agrandir ?
Jérémy : On se dirige probablement vers un recrutement pour un poste davantage dédié au quotidien du cinéma pour combler le temps de caisse ou de projection que faisait Annie, le temps de projection qu’il va falloir libérer à Fred pour qu’il fasse plus d’administratif et celui qu’il va falloir me libérer aussi pour que je puisse assumer seul la gérance du cinéma. On ne sait pas encore le nombre d’heures pour ce futur poste, car c’est compliqué de recruter quelqu’un quand on n’a pas de visibilité sur la réouverture, mais on y travaille.
Annie était au bureau du GNCR. Est-ce que quelqu’un de l’équipe va s’y présenter ?
Jérémy : Le Cosmo reste adhérent du GNCR. Nous n’avons pas encore parlé du fait que quelqu’un de l’équipe se présente au bureau.
Comment se porte l’American Cosmograph durant cette crise sanitaire qui n’en finit pas ?
Jérémy : Le moral va relativement pas trop mal. On a pris un vrai coup d’arrêt et de déprime autour du 15 décembre (NDLR : date où les cinémas devaient rouvrir, et puis non). Il a fallu un mois et demi avec une vraie coupure pour se remettre, petit à petit, il faut bien l’avouer. D’avoir avancé sur la réorganisation en interne et sur le recrutement a permis de relancer une dynamique au sein de l’équipe, en se concentrant notamment sur les outils à mettre en place pour avoir un travail plus collégial.
Frédéric : Le moral, ça va. On est dans le flou total, et je pense, encore pour un moment. Cela va être compliqué pour tout le monde. Certains parlent de passeport sanitaire pour se rendre dans les salles. D’avoir été soutenu et aidé financièrement pour la structure, cela a permis d’apaiser un peu les choses, mais il ne faut pas que cela dure et qu’on puisse retravailler normalement, dans de bonnes conditions.
Jérémy : Contrairement au premier confinement, de mars 2020, là, les aides sont tombées : de la part du CNC mais aussi via le fond de solidarité qui a été nettement augmenté. On n’est pas dans une situation d’inquiétude financière immédiate. C’est plus simple d’avoir le moral dans ce contexte. Après, à long terme, on a eu un bilan 2020 qui n’a pas été bon, on va sûrement avoir un bilan 2021 qui ne va pas être très bon non plus. Il va surtout falloir voir le redémarrage. Le plan dont parle la FNCF consisterait à un redémarrage en 3 étapes : pendant 3 ou 4 semaines, la jauge sera à 30%, puis 60% pour la deuxième étape elle aussi de 3 à 4 semaines, puis une jauge à 100%. Nous n’avons aucune visibilité sur la date d’ouverture, mais elle sera laborieuse notamment parce qu’on peut se demander quels films vont sortir dans ce cadre-là ? A priori, les aides seraient maintenues au prorata des jauges, mais cela va faire une réouverture très très difficile. Il y a de quoi être inquiet.
Annie : Il y a quand même quelque chose de l’ordre de deux poids, deux mesures qui est particulièrement agaçant. Un homme politique déclarait que dans les départements confinés, les concessionnaires de voiture restent ouverts, car sinon, ça impactait trop l’industrie automobile, y compris les ouvriers qui travaillent sur les chaînes d’assemblage de voiture. Les voitures, qui vont toutes nous faire crever au bout du compte, sont essentielles aujourd’hui, alors que derrière un film, il y a aussi toute une chaîne de gens qui ont travaillé pour que le film arrive en salles. C’est quand même un choix de société de voir qui peut ouvrir ou pas. Aujourd’hui, tout le monde est plus ou moins déprimé, et je pense que la culture permettrait un peu de refiler la pêche, et ça, ce serait vraiment très important.
Jérémy : La situation sanitaire est compliquée, c’est évident ; mais par contre, pour gérer cette situation sanitaire, il y a forcément des choix : on a choisi d’ouvrir certains commerces et pas d’autres. C’est la distanciation sociale, ils l’ont bien dit : il ne faut plus que les gens se réunissent. C’est bien un choix de société comme le dit Annie.
On se rend bien compte qu’en terme d’injustice, on nous impose des choses plus lourdes que dans d’autres endroits. Réouvrir les salles se ferait avec le port du masque et une jauge à 30%. Dans beaucoup d’autres lieux, comme dans les transports, quand les gens portent le masque, il n’y a plus de distanciation sociale, les passagers peuvent s’asseoir à côté, et toutes les places peuvent être occupées, sans que ce lieu soit considéré comme dangereux. Cela nous arrive de prendre le train pendant 3h ou 4h, et on voit un film pendant 1h30-2h. Dans le plan prévu pour les salles de cinéma, nous réouvririons en même temps que les bars, les restaurants. Je serai ravi à titre personnel que les bars et les restaurants réouvrent, mais il était quand même dit au moment des fermetures que les salles de cinéma étaient des lieux plus sûrs que les bars et les restaurants, parce que les gens accueillis étaient côte à côte et pas face-à-face, parce que le port du masque était constant et qu’il n’était pas enlevé pour manger ou boire. Et d’un seul coup, la salle de cinéma revient dans le lot avec ces lieux qui étaient censés être moins safe. C’est un peu incohérent, on nous met des difficultés supplémentaires qui nous paraissent incompréhensibles, ce qui est un peu agaçant pour le coup…
Avez-vous pensé à participer aux actions menées par d’autres établissements culturels ?
Jérémy : Oui, forcément, on y a pensé. Il y a eu l’initiative de l’ACID avec les projections « test » les 12, 13 et 14 mars, il y a eu une initiative nationale le week-end du 20 et 21 mars « Le printemps est inexorable », qui a été relayée plutôt par les théâtres, avec à Toulouse le Théâtre de la Cité. Je trouve que ce qui se passe dans les théâtres est tout à fait justifié. Montrer qu’on peut faire des choses tout en étant responsables. On en a pas mal discuté en équipe, et peut-être qu’on aurait tenté quelque chose, mais on était un peu court en temps pour l’organiser. Ce n’est pas impossible qu’on le fasse sur les prochaines dates.
Après, il y a quand même des risques à rouvrir alors qu’on n’a pas le droit. Mais la question principale est : réouvrir pour demander quoi ? Si c’est pour demander une réouverture immédiate, vue la situation sanitaire, ça paraît compliqué. On ne veut pas forcément réouvrir l’American Cosmograph à n’importe quelle condition : avec des jauges à 30%, avec un couvre-feu à 18h ou 19h ? On a très envie de redémarrer, il commence à y avoir un ras-le-bol d’être fermé, mais pour l’instant, on est vraiment coincés par ce truc de « réouvrir pour demander quoi ? », et on ne sait pas trop quoi demander vu la situation.
Frédéric : Réouvrir à la sauvage peut être une forme de résistance, mais il faut qu’il y ait une cohérence en terme de demande. Jérémy suit toutes les propositions, celles des syndicats incluses, mais je pense que c’est vraiment avec le gouvernement qu’il faut focaliser les choses, et avoir de la fermeté. Je pense que le poids de Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture, au sein du Gouvernement est faible. On ne peut pas imaginer une réouverture avec des sorties nationales si certains départements dont l’Île-de-France sont confinés. On voit aussi que des petits commerces parisiens ont fait le forcing pour rester ouverts. Le public peut être nombreux pour un établissement de cinéma, c’est peut-être pour cette raison que les instances sont plus réticentes pour leur réouverture. Il faut vraiment une proposition cohérente, et viable, et qui arrive assez rapidement.
Jérémy : On a été sollicités par la Cave Po’ pour accueillir un spectacle en vitrine le 5 mars, et là, pour le coup, c’était super. On était juste hôtes, ils préparaient tout. J’étais bien sûr présent pour les accueillir mais aussi spectateur : il y avait beaucoup de monde. Quand on assiste à trois-quart d’heure de spectacle, qui était en plus très chouette !, on se rend compte à quel point ça nous manque.
Encore quelques images de la venue de Ludor Citrik la semaine dernière…
Publiée par La Cave Po’ sur Lundi 8 mars 2021
Un mot sur le loyer ?
Jérémy : Les soucis avec l’augmentation du loyer ont été réglés après une longue procédure. Le premier jugement début 2018 était très en notre défaveur. On a fait appel avec tous les risques que cela nous faisait encourir. On a finalement bien fait puisqu’on a eu fin 2019 une augmentation de loyer de 16 000 euros par an, bien moindre que celle du premier jugement. L’appel nous avait aussi permis d’avoir le temps de provisionner les sommes car le jugement était rétroactif, il fallait donc régler d’un coup l’augmentation sur les trois ans de procédure. On est plutôt soulagés, et de la décision, et que ce soit fini car nous pouvons enfin nous projeter sur d’autres choses parce que tant qu’il y avait cette incertitude-là, c’était compliqué. On a aussi eu un gros soutien des spectateurs, auxquels on avait proposé d’acheter des carnets d’abonnements pour nous aider sur la trésorerie, et ils ont répondu présents. Toutes ces choses-là font qu’on vit cette période particulièrement compliquée de manière un peu plus confortable parce qu’on avait un peu de trésorerie d’avance : ce qu’on avait provisionné pour le loyer, le soutien des spectateurs et les aides que nous avons reçues. En terme de finances, on peut supporter cette période actuelle durant laquelle on a aucune entrée d’argent, et où on a quand même des frais : on a un loyer à payer, et nous n’avons pas tenté de le négocier avec les propriétaires vue la situation, et on a aussi des frais fixes.
Et l’accessibilité aux personnes en situation de handicap ?
Jérémy : Ces travaux de mise en accessibilité partielle, puisque l’accessibilité totale n’est pas possible, étaient en stand-by tant qu’on ne savait pas pour le loyer. Une fois le dossier loyer réglé, on avait relancé le projet de rendre accessible la salle 3 pour l’été 2020. Nous n’avons pas la possibilité de rendre accessibles les salles 1 et 2. Actuellement, les toilettes de la salle 3 ne sont pas accessibles, la pente n’est pas tout à fait aux normes, il n’y a pas un espace réellement confortable pour les personnes en fauteuil roulant. Ce ne sont pas des petits travaux. Le premier confinement a mis tout ça entre parenthèses. Là, nous réactivons le dossier, et c’est assez long car nous n’avions pas assez avancé avant le premier confinement pour que tout soit prêt. Nous avons vu les services de la Mairie pour savoir si le projet leur convenait. Il faut maintenant déposer la demande préalable de travaux en bonne et due forme. Nous aurions aimé profiter de cette période de fermeture pour le faire. Ce n’est pas sûr que nous y arrivions, mais on essaie quand même et nous espérons pouvoir démarrer les travaux rapidement…
Il y a aussi plein de petites choses pour rendre le hall accessible pour les mal voyants et les mal entendants. Le système Twavox qui permet les sous-titres, le renforcement sonore et l’audiodescription est toujours proposé dans nos trois salles.
Même question qu’en 2016 (voir article ici) : les fameux tickets communs avec le Cinéma ABC sont-ils envisageables ?
Jérémy : C’est une chose à laquelle on pense depuis longtemps puisqu’ils ont existé un temps entre l’Utopia et l’ABC, et c’était une très bonne chose. L’idée étant de faciliter l’accès aux salles qui proposent une programmation Art et Essai de qualité en sortie nationale, et donc forcément ça nous tente. Les questions pratiques peuvent poser problème. Nos tickets American Cosmograph sont valables dans les salles Utopia et réciproquement, c’est un partenariat historique qui est très important pour nous et que nous ne souhaitons pas perdre. L’ABC a un système avec des cartes magnétiques qui lui convient. Il faut juste qu’on trouve un système commun qui ne rajoute pas un tarif à chaque cinéma, ce qui ne serait pas une bonne chose. À la réouverture espérée du 15 décembre 2020, nous voulions proposer des carnets communs. Il y avait un côté « cadeau de Noël » pour les spectateurs, quelque chose de temporaire, avec une édition limitée de carnets où les tickets étaient valables jusqu’à la fin juin 2021. Ce n’est pas si simple à mettre en place, mais c’est un sujet dont on discute souvent avec l’ABC puisque l’envie est commune aux deux salles.
Comment les spectateurs peuvent-ils vous aider ?
Jérémy : Pour Noël, nous avions fait des permanences qui se justifiaient tout à fait (voir article ici). Actuellement, toute l’équipe de l’American Cosmograph est en chômage partiel, et s’il y a des permanences, ce serait des heures hors activité partielle. Ce n’est donc pas prévu. Par contre, on pense à une vente d’affiches. Mais là aussi, quel que soit l’événement, il se mettra en place s’il y a une annonce de réouverture, pour relancer une dynamique, sinon ces actions ressembleraient à des bouteilles lancées à la mer, qui couleraient sans réponse.
Frédéric : Peut-être pourrions-nous annoncer quand nous sommes présents à l’American Cosmograph pour rencontrer le public si celui-ci souhaite discuter avec nous ? C’est à voir.
Jérémy : Les spectateurs nous aident beaucoup en réagissant quand on met des informations sur notre page Facebook : ça nous fait réellement chaud au cœur, et c’est déjà très bien ! On leur demandera de l’aide en étant de nouveau curieux et fidèles quand on réouvrira, cela reste le meilleur moyen de nous soutenir.
Cinéma American Cosmograph, 24 rue Montardy, 31000 Toulouse.
Tel : 05.61.23.66.20
Site : www.american-cosmograph.fr
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