« Je suis insomniaque. Et j’avoue en tirer un certain plaisir, au fond. » Ces mots de Bertrand Chamayou ouvrent le commentaire qui accompagne le nouvel album-récital du grand pianiste toulousain, album sobrement intitulé « Good Night » ! On connaît la curiosité de cet artiste attachant qui s’intéresse à tous les répertoires musicaux et pianistiques. Cette fois, il réunit sous le thème évocateur de la berceuse un florilège de pièces de compositeurs de tous horizons. La découverte est souvent au rendez-vous.
Bertrand Chamayou © Marco Borggreve
L’écoute continue de ce programme original se révèle particulièrement appropriée aux circonstances actuelles de repliement sur soi et génère un bien-être intérieur particulièrement bénéfique. L’interprète dont on connaît la virtuosité, l’énergie et la précision du jeu, se love ici avec tendresse et poésie, pour le bonheur de l’auditeur, dans cette succession parfaitement structurée et cohérente de courte pièces de caractère.
Tendresse, intériorité, douceur se manifestent alternativement ou conjointement dans cette série de miniatures dont l’interprète s’attache à dégager une ligne directrice, une certaine continuité au-delà des différences de styles. Et la diversité des compositeurs sollicités, pas moins de quinze répartis sur les XIXème et XXème siècles, confère à ce voyage une riche palette de couleurs, de rythmes et d’harmonies. Deux œuvres plus connues se détachent néanmoins de la majorité des pièces rares et à découvrir.
Il s’agit de Wiegenlied (Berceuse) de Johannes Brahms et de la Berceuse de Franz Liszt, toutes deux admirablement délivrées ici de toute contrainte. La série s’ouvre sur l’extrême sensibilité de Dobrou noc ! (Bonne nuit !) extraite du cycle Sur un sentier recouvert, du grand Leoš Janáček. Plus loin, dans un esprit assez proche, on découvre la poésie de la Berceuse, de Bohuslav Martinů, extraite du cycle Film en miniature.
Parmi les découvertes les plus attachantes, deux pièces de Sergei Lyapunov (Berceuse d’une poupée et Berceuse) ainsi qu’une autre Berceuse, de Mily Balakirev celle-là, soulignent l’art de la confidence de ces deux compositeurs russe un peu oubliés. Ferrucio Busoni, Charles-Valentin Alkan dévoilent eux aussi cette tendresse musicale à laquelle le Brésilien Heitor Villa-Lobos ajoute un exotisme touchant, dans La Poupée de chiffon extraite de A prole do bebê.
Parmi les pièces les plus récentes, signalons deux noms rares, ceux de Mel Bonis (La Toute Petite s’endort) et de Bryce Dessner (Chanson pour Octave), et celui plus connu d’Helmut Lachenmann dont Wiegenmusik (encore une Berceuse !) se distingue par un langage original nettement plus actuel.
Tout au long de ce voyage touchant et intime, Bertrand Chamayou déploie une sensibilité à la fois pudique et émouvante qui fait chaud au cœur. Sans hésitation, voici une publication bienvenue et réconfortante dans la période difficile que nous vivons.
Signalons que cet album a reçu un très légitime Diapason d’or de la part de la grande revue française de musique classique Diapason.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse