LES MOSAÏQUES CHATOYANTES DE SYLVIE POTIER
Dans le cadre somptueux de la Salle des Colonnes de l’Hôtel-Dieu de Toulouse s’est déroulé le Salon des Métiers d’Art d’Occitanie, où j’ai déambulé au milieu des créations d’une corsetière, d’une plumassière, d’une vannière, d’une dinandière, d’une porcelainière, d’une émailleuse, d’une tisserande, d’une dentellière, d’un marqueteur, d’un forgeron, d’un souffleur de verre, d’un ébéniste, d’un bottier etc… etc…
Elles-ils étaient 80 sur plus de 300 candidats, à ne plus savoir où donner du regard.
Mais je me suis arrêté comme hypnotisé devant une mosaïque de verre de Sylvie POTIER intitulée Apollon, un véritable soleil digne des mosaïques grecques où était représenté le Dieu du Soleil; elle m’a fait aussi penser aux roues stellaires ou au calendrier solaire des populations amérindiennes d’Amérique du Sud, aztèque ou inca en particulier, d’avant Christophe Colomb.

Son bouclier d’Athéna et sa Gaia sont dans la même veine.

Quant à la robe de sa Vie en roses, je l’offrirais bien à ma Dame pour son cadeau d’anniversaire (si ma bourse me le permettait…).

Sylvie POTIER (1) n’est pas potière (pardon je n’ai pas pu résister) mais Maître artisan mosaïste. Ancienne élève des Beaux-Arts de Toulouse (qui sont juste en face de l’Hôtel-Dieu de l’autre côté de la Garonne, ce n’est pas un hasard), elle a débuté en créant costumes et décors pour différentes compagnies de spectacle vivant, de théâtre et de danse. Elle est devenue ensuite décoratrice pour des magasins de prestige; Hermès, Guerlain, Guy Laroche à Toulouse. Elle est alors remontée aux sources de son art et s’est lancée alors dans la reproduction de mosaïques antiques – qui était jadis dédiées aux Muses sources d’inspiration -: reproduisant des œuvres vieilles de plusieurs milliers d’années, elle s’est formée à la découpe et à la pose des tesselles (petits morceaux de marbre, de pierre, de pâte de verre ou de céramique, matériau de base d’une mosaïque murale ou d’un pavement.) Elle s’est ensuite plongée dans l’antiquité et la mythologie qui restent pour elle une grande source d’inspiration. En plus de ses restaurations de mosaïques (à la Basilique Saint Sernin, à la Cathédrale Sainte Cécile d’Albi, au Palais Niel, et j’en passe), elle s’est spécialisée dans la création de marqueteries, qu’elle réalise à partir de plaques de verre dit américain (un verre industriel au rendu opaque et lisse), qui ne dépareilleraient pas les expositions du Stanze del Vetro à Venise (2). Maitrisant totalement sa technique, elle donne aujourd’hui libre cours à son imaginaire créatif.
L’art de la mosaïque m’a toujours particulièrement fasciné, que ce soit celles de la Basilica di San Vitale à Ravenne ou celles de l’église Santa Maria Assunta de Torcello au fond de la lagune de Venise.
Les créations de Sylvie Potier m’ont émerveillé:
telle une alchimiste,
elle cherche les couleurs de ses émaux,
fragmente les pierres à la marteline
et mélange ses cubes de pâte de verre, de terre cuite,
de pierre, de céramique,
de tessons d’argile blanche enfumée ou d’assiettes vintages,
cisèle ses tesselles et colle ses abacules;
par ses interstices mystérieux
elle laisse respirer son poème mosaïque.
LES 5O ANS DE LA LIBRAIRIE OMBRES BLANCHES
Puisque je vais vous parler de Toulouse au cœur, allons 56 rue Gambetta. Pour beaucoup de Toulousains comme moi, il y a là une institution: de petite indépendante à géante de 1700m2, sans rien perdre de son projet d’origine, cette librairie incontournable a soufflé ses 50 bougies.
Fidèle depuis 50 ans, j’y viens tous les mois, et j’aime me perdre dans le dédale des allées et des ouvrages que j’aborde toujours comme une terra incognita; certains passages y sont étroits comme « pour inciter le client à ralentir le rythme ou poser le regard sur certains livres. » Même si je viens sans idée précise, je repars toujours avec, au moins, un livre dans ma musette; et l’espace d’une heure, je n’ai cessé de suivre toutes ces multiples incitations à l’imaginaire.
La variété n’est pas seulement dans les ouvrages proposés, elle est aussi en matière d’évènements: « il y a des débats quasiment tous les soirs, des expositions, des signatures, des ateliers pour les enfants … Dans la librairie internationale, tous les samedis matin, il y a des lectures bilingues. On organise pas mal de choses; au-delà d’un commerce, on est un lieu de vie et d’échanges« , souligne Emmanuelle SICARD, la directrice de la librairie.
Christian THOREL directeur pendant 40 ans de cette librairie, explique que pour lui « rien n’a vraiment bougé depuis l’origine, sauf la surface et les salariés qui sont plus nombreux, nous étions 4, ils sont 50. L’importance pour nous, reste la présence des auteurs et des éditeurs que nous aimons. » Et il précise: « il y a 50 ans, il y avait 250 000 titres disponibles, aujourd’hui, il y en a un million. Il faut donc de la place mais aussi être beaucoup plus compétents pour savoir les choisir. »
Au départ, il y avait juste un projet éditorial, c’est-à-dire « de la littérature, des sciences humaines, des beaux-arts, du cinéma, avec la variété du choix et le conseil indispensables. »
Les années n’ont pas sclérosé le dynamisme de la librairie, bien au contraire, puisqu’une toute nouvelle boutique a été ouverte en cette année anniversaire, dédiée aux langues étrangères. Une évolution permanente qui contribue à faire que cette institution reste chère aux Toulousains.
« L’expérience de nos 50 ans, c’est aussi d’avoir su transmettre, depuis les premières équipes, cette manière de travailler, d’être vigilants, d’être performants, d’être lecteurs nous-mêmes et de savoir faire (sans trait d’union) son métier. Et d’encourager toujours nos visiteurs à « ne jamais cesser d’être en éveil, de se questionner. » Christian THOREL (3)
Bon anniversaire Ombres Blanches : rendez-vous dans 50 ans !
LE LIVRE FOU DE TOULOUSE
LE LIVRE FOU DE TOULOUSE est une création à 4 mains: elles sont deux sœurs jumelles, au point que leurs prénoms riment, Sandrine et Carine ARRIBEUX (nom de famille dont la belle étymologie signifie: « hommes ou femmes (en l’occurrence) libres non assujetties à un seigneur »), amoureuses folles (oui, oui, ça se conjugue aussi au féminin) de Toulouse… même si elles n’y sont pas nées.
Paloises, c’est Carine qui est tombée la première sous le charme de la ville rose, et elle a convaincu Sandrine de venir s’y installer…, au moment où elle a dû la quitter, et en a pleuré sous le Pont-Neuf (ça ne s’invente pas.)
L’une, Carine, ayant une vocation précoce pour le journalisme de grand-reportage, l’autre, Sandrine (4), pour la photographie, une passion familiale de grand-père en petit-fils en passant par elle, depuis sa plus tendre enfance.
Le livre est la concrétisation de ces regards amoureux posés sur Toulouse flamboyante et secrète, d’un sentiment si fort qu’il relève de la folie et s’affranchit des conventions pour créer un bel ouvrage qui a nécessité 3 mois de réflexion et de recherches plus 6 mois de concrétisation: 9 mois de gestation (!)
On y trouve des correspondances (au sens baudelairien) entre des vignettes comme des entrées dans un Dictionnaire amoureux, et des photos prises sur le vif, comme par exemple entre celle de Lilou RUEL, championne du monde du monde de Parkour ou free running, d’acrobaties en milieu urbain à couper le souffle (en couverture), entre ciel et terre, et le mariage des funambules au-dessus de la Place du Capitole de DIEUZAIDE.

Commande des Editions Sud-Ouest (5), qui n’ont pas lésiné sur la réalisation, cet ouvrage parfaitement éclectique avec ses coups de cœur divers et variés, est une « chasse à l’âme de Toulouse » (selon leurs autrices) à travers son histoire et son présent sous toutes ses formes, depuis les Capitouls jusqu’à Zebda, en passant par l’Aéropostale et le Beluga nageant dans l’air au-dessus du vieux quartier Saint-Cyprien… où il y eut très longtemps des pêcheurs.

Avec une mise en évidence fort bienvenue des Femmes, légendaires comme Dame Clémence ISAURE et Paule de VIGUIER, ou la Vierge noire de la Daurade, la dorée, dont les robes chamarrées sont régulièrement changées avec des œuvres de grands créateurs (… comme Jean-Charles De CASTELBAJAC dont je vous reparlerais prochainement)

Mais surtout bien réelles telles Marthe CONDAT, première Agrégée de Médecine, première titulaire d’une chaire de Médecine à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Toulouse, en 1932 (!), la chercheuse Audrey DUSSUTOUR, Directrice de Recherche au CNRS, spécialiste des fourmis et des organismes unicellulaires, Lauriane GRICOURT, directrice des Abattoirs, qui ouvre les portes de ce Musée d’Art contemporain à la Mode (6), sur les traces du grand Daniel CORDIER, sans oublier la photographe Germaine CHAUMEL (7) et sa vision humaniste, (dont je vous ai déjà entretenu) pour laquelle elles ont eu toutes deux un coup de foudre (comme moi), de sa bohémienne montreuse d’ours à un atelier des Beaux-Arts, où il n’y avait que des femmes, de la modèle nue aux artistes en herbe en passant par leur professeure, sans oublier le rugby (Germaine CHAUMEL tombait quelque chose dans la boue au ras de la mêlée à une époque où il n’y avait pas de zoom !)
Femmes célèbres ou anonymes comme la Passante du Quai Saint Pierre, entraperçue dans un écrin de verdure sous un arcade ancienne, dont je rêverai longtemps dans mes limbes matutinales.

Dans cet ouvrage éclectique, je retrouve les petites rues du quartier Saint-Etienne comme la rue Fermat où tout minot je faisais du vélo sans craindre les rares voitures, le Cloître des Jacobins, notre cour de récréation de collégiens avant sa restauration, et la coupole art-déco de la Bibliothèque d’Études et du Patrimoine rue du Périgord où j’ai passé de longues heures studieuses sous la protection d’Apollon (encore lui), dieu grec de la lumière, avec sa lyre, et sous les auspices des Sept Troubadours. Sans oublier mes balades ferventes dans les traces brûlantes de JAURÈS et de la République espagnole en exil, et mes ballades, (avec leurs paires d’« l », d’ailes, au fil des œuvres poétiques et musicales inspirées par la Capitale de l’Occitanie dont la devise reste « Per Tolosa totjorn mai, Pour Toulouse toujours plus. ».
Au risque de choquer les pisse-froids, j’y retrouve aussi au Jardin de Plantes « ces fesses partout (il y en a beaucoup !), cohabitant pacifiquement avec les familles et les enfants, dans un monde où les algorithmes traquent le moindre sein que l’on ne saurait voir… » comme dit Sandrine ARRIBEUX: quand j’étais un enfant préadolescent, ma grand-mère m’amenait tous les week-ends au dit Jardin, et je rêvais secrètement de caresser ces belles fesses féminines de pierre inaccessibles, au propre comme au figuré.

Que vous y soyez né ou simplement de passage, il y a tant de raisons d’être fou de Toulouse ! Entre emblèmes incontournables (la Garonne, le Capitole, Nougaro, les Jacobins, le Stade Toulousain, Bigflo et Oli, Airbus, la saucisse et la brique etc.), personnalités atypiques, histoires folles et lieux singuliers, ce très beau livre sans prétention autre qu’un partage plein d’empathie est pour vous.
En le refermant, je me souviens de Marc LAFARGUE (1876-1927), chantre de Toulouse et ardent défenseur de son Patrimoine, dont le buste – disparu et sans doute oublié dans les réserves – veillant devant le mur de briques roses du vieux Musée des Augustins, est aujourd’hui remplacé par une « œuvre d’art contemporain » d’un blanc iconoclaste qui attire les graffitis et me fait penser au tableau de la même couleur dans la pièce Art de Yasmina REZA. Pour mes coreligionnaires de la Prépa à l’École des Chartes, je récitais devant lui des extraits de ses Plaisirs et Regrets, consacrés à sa chère Toulouse:
« Dans les brouillards légers, la ville aux briques d’or
Avec ses dômes et ses tours, ses clochers roses
S’éveille dans l’aurore, ô fleuve, sur ton bord
Où tes eaux dont les quais de briques se reposent. (…)
Du fronton de la Dalbade
Au clocher de la Daurade
J’ai connu trop de soirs d’or (…)
Sur les hautes tours de briques
Qui enivrent longtemps mes yeux (…)
Lorsque mon cœur mortel aura cessé de battre (…)
Je voudrais que l’on sût comme il vécut pour vous:
… Ô Toulouse, qui dans ton fleuve mire
Ton magnifique pont, tes quais, tes tours, tes toits,
Je voudrais que l’on sût que bien souvent ma lyre
S’efforçait d’élever un chant digne de toi. »
PS. Muchas gracias à Sandrine ARRIBEUX de m’avoir autorisé à publier ses photos qui font rêver, et celle de Caroline TRAUTMANN des deux sœurs pour une signature… à la Librairie Ombres Blanches devant l’un des magnifiques chevaux (ces animaux psychopompes, auxquels prêtaient des vertus surnaturelles) de Jean-Luc FAVÉRO.

Carine et Sandrine Arribeux – Dédicace Ombres Blanches Toulouse lors du lancement du Livre fou de Toulouse devant un des chevaux de Jean-Luc Favero
Pour en savoir plus :
1) Sylvie POTIER – Téléphone: 09 51 41 84 77 – 07 70 63 21 11
Adresse: Le Village, 31220 Plagne – E-mail: sylviepotiermosaique@free.fr
3) Les « Essentielles Librairies » de Christian Thorel : un jardin extraordinaire !
4) Sandrine ARRIBEUX Dans mon Oeil
6) Dans une prochaine chronique, je vous emmènerai faire une déambulation dans l’univers multicolore de Jean-Charles de CASTELBAJAC (exposition présentée jusqu’au 23 août 2026) au 6 allées Charles-de-Fitte 31300 Toulouse:
7) Germaine Chaumel : il y a un siècle, une femme d’aujourd’hui !

