Dans « La Dépression est un Panda », la comédienne Céline Cohen et le chanteur Matthieu Miegeville incarnent le même personnage à tour de rôle, accompagnés par Édouard Bertrand au piano. Théâtre et musique s’entremêlent ici pour aborder la dépression autrement : avec douceur, humour et humanité. Le public toulousain pourra découvrir ce spectacle au Théâtre Le Fil à Plomb, du 6 au 8 novembre 2025. À cette occasion, Culture 31 a échangé avec Matthieu Miegeville.

Matthieu Miegeville © Lionel Pesque
Culture 31 : Comment est née l’idée de faire un spectacle sur la thématique de la dépression ?
Matthieu Miegeville : Depuis 12 ans, je travaille autour de cette thématique de la santé mentale, en tant que musicien. Nous avons monté une association qui s’appelle «Transformer le négatif en positif», et nous œuvrons pour la prévention du mal-être et du suicide chez les jeunes. Ça se passe très bien, on a des très bons résultats. On intervient devant des jeunes de 12 à 18 ans, et on nous demandait « mais est-ce que vous faites la même chose pour les adultes ? ».
Donc on a cherché la forme idéale pour proposer quelque chose de ludique, qui peut marcher sans qu’on sache qu’il y a une idée de prévention sur la santé mentale derrière, et qui peut se suffire en tant qu’objet artistique. En même temps, on cherchait à aller plus loin pour essayer de détabouiser les problèmes de dépression, de libérer la parole, etc. Et donc est venue cette idée farfelue de cette dépression qui est un panda.
En effet, le spectacle repose sur un panda imaginaire. Que symbolise cet animal dans votre récit et pourquoi un panda ?
C’est une idée que j’ai eue une nuit d’insomnie. Justement, je ne devais pas être très bien. La dépression peut malgré tout amener de la créativité parfois ! Et j’ai imaginé quelqu’un qui se réveillait un jour avec sa dépression personnifiée par un animal imaginaire. Parce que la dépression, c’est un dialogue intérieur entre soi et soi-même. Et souvent, on n’est pas d’accord. Souvent, il y a une partie de nous qui se dit qu’on doit aller bosser, qu’il faut qu’on se lève, qu’on soit courageux, qu’on aille faire du sport, qu’on arrête de boire, qu’on arrête de fumer… Plein de choses comme ça. Et puis l’autre partie dit : « Pas du tout, j’y arrive pas du tout ».
Et donc, on a imaginé dissocier ces deux parties de nous-même de façon ludique, parce qu’évidemment, ce masque en peluche, ça étonne un peu, c’est un peu rigolo. Puis, quitte à imaginer un animal, j’ai choisi un animal que la nature avait fait en noir et blanc. Effectivement, il y a très peu d’animaux en noir et blanc. La nature est assez fan des couleurs, que ce soit dans les végétaux, dans les animaux… Non seulement le panda est noir et blanc, mais il a plutôt bonne presse ! Tout le monde l’aime bien, c’est mignon, c’est doux, c’est sympa. Du coup, on avait envie de pervertir gentiment ça avec un panda qui allait être de très mauvais conseils pour le personnage principal.
En dehors du panda, il y a effectivement ce personnage principal qu’est Camille. Vous l’incarnez tour à tour avec la comédienne Céline Cohen. Comment avez-vous pensé cette alternance ?
On a voulu cette alternance parce qu’on souhaitait que l’entièreté du public puisse s’identifier. La dépression touche autant les hommes que les femmes, les jeunes que les vieux, les gros que les maigres. Donc on avait envie d’avoir quelqu’un qui était à la fois un homme et une femme, c’est pourquoi on a pris un prénom épicène. Et puis, en effet, à chaque scène, on se passe ce masque. Il fallait qu’il y ait des traits communs et qu’on axe notre jeu de façon parallèle pour que les gens puissent comprendre. Et en même temps, il ne fallait pas non plus qu’on se singe l’un l’autre, mais qu’on fasse avec nos singularités d’homme et de femme, et puis surtout nos singularités en tant que Matthieu et Céline. Et donc ça s’est fait de façon assez naturelle, avec notre manière de vivre les choses, et je pense qu’on est arrivé à quelque chose d’assez cohérent. Les gens qui ont vu la pièce comprennent très bien que ce personnage qu’on joue alternativement est la même personne.

Céline Cohen © Lionel Pesque
Votre duo avec Céline Cohen permet de mêler théâtre et musique, tandis qu’Édouard Bertrand est au piano. Comment décririez-vous votre proposition musicale dans le spectacle ?
L’idée avec ce spectacle, c’est aussi qu’une comédienne est venue à la chanson et qu’un musicien est venu au théâtre. Ce sont mes débuts au théâtre, depuis quelques années, et Céline chante également, mais elle est avant tout comédienne. Donc on voulait faire ces ponts, et j’ai proposé cette alternance de théâtre et musique, parce que les moments de musique peuvent être des sortes de pauses. Des sortes d’illustrations émotionnelles qui permettent aux gens de se recentrer un peu sur eux, faire des parallèles avec leur propre vie, ou alors celle de leurs proches, pour que ça résonne.
Les morceaux qui sont joués sont autour du piano et de la voix. Ça va être des chansons sombres ou de la pop sombre, en français ou en anglais. Certaines sont extraites de groupes que j’ai pu avoir dans le passé et dont je fais encore partie aujourd’hui, et puis certaines choses sont plus récentes et populaires.
« La Dépression est un Panda » est un jeune spectacle. Comment appréhendez-vous le fait de dévoiler votre « bébé » au public ?
Avec beaucoup d’excitation. Pour Céline notamment, c’est un nouveau projet, parce qu’il y avait une autre comédienne au début, qui a ensuite fait un autre choix. Il y a donc à la fois de l’appréhension et du trac, mais aussi beaucoup d’excitation et de joie quand on se dit qu’on va enfin le partager et entendre les rires des gens aux endroits où on les attend. Chez moi, il y a ce côté naïf que j’assume. Je suis un newcomer dans le milieu, alors qu’avec la musique, j’ai fait 1400 concerts, sur une vingtaine de pays dans le monde. Dans le théâtre, je suis vraiment au début de l’histoire, donc je vois ça avec les yeux émerveillés d’un enfant. Pour moi, jouer dans n’importe quel théâtre, même Le Fil à Plomb, qui est un théâtre d’une centaine de places, c’est comme jouer au zénith.

Matthieu Miegeville © Lionel Pesque
Par ailleurs, le spectacle est en contrat avec l’Association De Prévoyance Santé (ADPS). Comment s’est nouée cette collaboration ?
Ils sont venus nous trouver parce qu’ils ont vu tout le travail qu’on faisait avec les jeunes via « Transformer le négatif en positif ». Ils ont trouvé ça super, et eux, en tant que fondation, avaient aussi envie de faire quelque chose pour les adultes. L’ADPS nous a fait confiance sur ce sujet, comme on a montré qu’on « travaillait bien ». Et donc ils sont partenaires sur le « Panda », et c’est super, parce que ça nous permet de développer le projet.
Le spectacle est suivi d’un débat avec des professionnels de santé. Quelle est la vocation de ces échanges ?
La vocation, c’est de détabouiser la santé mentale et la dépression. De dire qu’il y a beaucoup de gens qui y passent, qu’on n’est pas fous, et que les psys ne sont pas des charlatans. Parce que souvent, il y a des gens qui ont très peur de parler à des professionnels de santé. Et on voit que, parmi les facteurs aggravants qui peuvent mener à des dépressions difficiles et des suicides, il y a l’isolement et le silence. Donc notre idée est de libérer la parole. Personne ne va lever la main en disant « moi-même, je ne me sens pas bien et j’aimerais en parler à tout le monde » mais les spectateurs peuvent poser des questions sur plein de choses.
Selon les spécificités, c’est un professionnel ou un autre qui prend la parole. Parfois, il y a aussi des questions pour nous, comédien et comédienne. Ces échanges simples peuvent être un premier pas pour les gens. En face, ils peuvent avoir une psychologue qui ne représente pas la confrontation angoissante qu’ils imaginaient, par exemple. Du coup, ça peut les encourager à passer le cap d’aller voir quelqu’un ou alors d’en parler à un conjoint, un frère, une sœur…
En bref, que souhaitez-vous que les spectateurs retirent de cette expérience ?
Au mieux, que ça leur apporte une sorte de soutien psychologique, mental et culturel. Et à minima, que ça les fasse rire.
Propos recueillis par Inès Desnot

