C’est à la Halle aux grains à 20h, le jeudi 30 octobre pour ce concert de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Les musiciens sont placés sous l’autorité de leur chef et directeur musical Tarmo Peltokoski. On ouvre avec le Concerto pour piano n° 1 de Brahms avec pour soliste le jeune pianiste finno-cubain Anton Mejias. Pour suivre, une illustre inconnue à la Halle, la Symphonie n°7 “Antartica“ de Ralph Vaughan Williams. Est sollicité le Chœur d’État de Lettonie « Latvija ».

Tarmo Peltokoski © OnCT / Romain Alcaraz
Anton Mejias : Né à Helsinki en 2001, il étudie d’abord avec les pointures finlandaises comme Meri Louhos, Teppo Koivisto, Niklas Pok. C’est ici qu’il rencontre Tarmo Peltokoski. Puis, Mejias a été admis à l’âge de 18 ans dans l’une des institutions les plus exigeantes au monde, le Curtis Institute de Philadelphie, aux USA, considéré comme une école pour génies, où il a immédiatement attiré l’attention positive.
Le pianiste finno-cubain Anton Mejias connaît une ascension fulgurante sur la scène internationale. Sa carrière aux Etats-Unis a démarré sur les chapeaux de roue. Mejias, qui va sur ses 24 ans, a fait ses débuts au Hollywood Bowl en tant que soliste avec l’Orchestre philharmonique de Los Angeles et au Klavierfestival Ruhr en Allemagne. Fracassant !
Notons qu’il entretient une relation particulière avec Bach qu’il vénère : ce talent phénoménal maîtrisait à l’âge de 10 ans les 24 Préludes et fugues du Das Wohltemperierte Klavier I du compositeur.
« Il y a quelque chose de très unique dans son Bach – pas particulier, juste très naturel et je pense qu’il pourrait être considéré comme l’un des plus grands interprètes de Bach de notre époque. » – Gary Graffman
Quant à Tarmo Peltokoski, que raconter de plus que vous pourriez encore ignorer. Il fut brillant dans l’exécution il y a peu de la Turangalîla. Il le sera tout autant dans Brahms et dans cette œuvre, Symphonie “Antartica“, que nous allons découvrir comme plus de 99,9 % du public.

Anton Mejias © Jiyang Chen
Quelques mots sur la Genèse du Concerto pour piano et orchestre n°1 en ré mineur, op. 15
D’une durée de plus de quarante-cinq minutes, c’est un très long concerto en trois mouvements, Maestoso – Adagio – Rondo-allegro non troppo. Son élaboration fut longue et difficile. Les circonstances qui l’ont vu naître mettent en lumière la persévérance et le constant souci de perfection si caractéristiques du Maître. Mais, en même temps, elles sont l’image d’un des traits dominants du caractère du jeune Brahms à savoir un réel manque d’aptitude à la décision. Ce qui va lui causer nombre de déboires dans sa vie professionnelle mais aussi affective. On en trouvera d’évidentes marques dans son œuvre.
En avril 1853, âgé de bientôt vingt ans, il quitte sa demeure et une famille éplorée pour participer à une tournée de concerts organisée par le violoniste Reményi. Un mois plus tard, les deux compères arrivent à la cour de Hanovre où le violoniste prodige Joseph Joachim âgé de vingt-deux ans est Konzertmeister. Ce fut une rencontre déterminante, décisive pour J. Brahms, une amitié immédiate et pour longtemps. Elle sera le point de départ d’une deuxième rencontre toute aussi déterminante quand J. Joachim conduira notre compositeur à Düsseldorf chez les Schumann. Ces quelques lignes écrites par Robert Schumann à J. Joachim résument l’impression faite : « …on pourrait comparer Brahms à un magnifique fleuve qui, comme le Niagara, se montre dans toute sa beauté lorsqu’il tombe, en chute d’eau, des hauts rochers, au milieu de l’écume, portant sur ses vagues l’arc-en-ciel, tandis que les rayons jouent sur ses rêves et que les voix des rossignols l’accompagnent. Je crois que Johannes est le véritable apôtre qui, lui aussi, écrira une Apocalypse, que de multiples pharisiens, pendant de longs siècles, seront incapables de déchiffrer. » Les Schumann sont plus que conquis.
Robert Schumann a quarante-trois ans, Johannes Brahms juste vingt ans.
Clara n’est pas en reste qui note son émotion quand elle voit au piano « cet homme au visage intéressant, juvénile, qui se transforme complètement quand il joue, sa belle main qui triomphe avec aisance des pires difficultés. » (les propres œuvres de Clara sont très difficiles à jouer)
Brahms se plaît chez les Schumann et malgré sa timidité, se sent rapidement à l’aise dans le cercle d’artistes que l’on côtoie chez eux quotidiennement. Des jours de fêtes qui vous font vraiment vivre, avouera-t-il. Hélas, cette félicité ne va pas durer. Le 27 février 1854, Robert Schumann se jette dans le Rhin, en réchappe mais le coup est terrible pour le jeune Maître. Pourtant, dans un nouveau déferlement de puissance créatrice, il termine la première version du très lyrique Trio op.8 en si majeur pour piano, violon et violoncelle.
En même temps, ce sont trois mouvements d’une sonate pour deux pianos (Clara Schumann et lui) que Brahms achève, « plus belle encore que son magnifique trio, » dira Julius Grimm, chef de chorale à Gottingen et ami. « Je l’ai souvent jouée avec Frau Schumann, mais je m’aperçois que les deux pianos ne suffisent plus, » écrira le compositeur. Il orchestre alors le premier mouvement pour en faire le morceau initial de sa première symphonie. Et ce sera, finalement, pour un concerto pour piano. J. Joachim, est prié de donner son avis. Puis, ce seront à la suite, le Finale (Rondo) puis l’Adagio puis à nouveau le premier complétement remanié que le virtuose-compositeur-chef d’orchestre Joseph Joachim aura à juger. Il créera le concerto à Hanovre, le 22 janvier 1859 avec Brahms au piano. Les transformations seront incessantes pendant cinq ans. C’est l’opus 15 et Brahms a 26 ans.
Sur les trois mouvements de cette partition “phare“, cliquez ici.
Ralph Vaughan Williams et sa Sinfonia “Antartica“ ou Symphonie n° 7
Quand on en sait un peu plus sur ce compositeur, ce “nouveau“ maître absolu de la symphonie, on peine à constater qu’il n’ait pas été plus présent dans les programmations de salles de concert.

Portrait de Ralph Vaughan Williams dans les années 1920, par Herbert Lambert
“Greater than stars or suns “ IV. The Explorers)
On pourra se plonger dans un condensé de la biographie de Ralph Vaughan Williams, tout en remarquant qu’il vient après des dizaines de compositeurs nés au Royaume-Uni, globalement inconnus, avant 1850. Il se remarque encore des nouveaux, autour de lui de sa génération, vers 1850-70 et qu’ils furent encore ! nombreux à lui succéder. Sans oublier les chefs d’orchestre réputés, nombreux à foison. On se contente un peu vite du fameux Les Planètes de son compatriote et ami Gustav Holst. Quant à lui-même, il est dit d’une culture qualifiée d’absolument universelle. Il a composé dans tous les domaines avec un fort penchant pour tout ce qui est la voix, doué d’une ardente connaissance pour l’art des madrigalistes, tout en étant très inspiré par les chansons populaires. On a hâte de retrouver au programme des saisons futures, sa symphonie n° 2 baptisée London, surprenante, et sa n° 3 dite Pastorale : neuf symphonies au total. La création de la n°1 arriva un mois après la n° 8 de Gustav Mahler soit le 12 octobre 1910, le jour de ses trente-huit ans, au Festival de Leeds.
Biographie : cliquez ici
Remarquons encore qu’actuellement, nos cent vingt dernières années ont vu la composition de plusieurs cycles de symphonies de très grande qualité. Les programmes abondent avec des œuvres “vingtième“ de Chostakovitch, Prokofiev, Rachmaninov, Sibelius, Glazounov, Ives, Enesco mais, qui en connaît une seule d’un Villa-Lobos, Martinü, Tournemire, Hindemith, Milhaud, Krenek, Weinberg, Miaskovski, Segerstam, Kancheli, Ropartz et des dizaines d’autres compositeurs ! Ralph Vaughan Williams en aura laissé neuf, mais oui, ce chiffre à la valeur destinale, neuf symphonies en plus de très nombreuses œuvres dans des domaines très divers, avec une passion particulière pour le chant choral.
À côté, un autre domaine qu’il aborde quand les progrès techniques dans le cinéma vont permettre d’introduire le son. Ce sont les musiques pour film. C’est le berceau, peut-on dire, de la symphonie qui nous occupe.

Habitants de l’Antarctique, adultes et jeunes
« On dirait de la musique de film », pourraient penser certains en écoutant la Septième Symphonie de Vaughan Williams. Et cette pensée serait tout à fait pertinente : notre musicien qui composait des musiques de film depuis le début des années 1940, fut chargé en 1947 d’écrire la musique de « Scott of the Antarctic » de Charles Fend, une adaptation cinématographique de la tentative héroïque mais malheureuse de la Grande-Bretagne de conquérir le pôle Sud. Si l’expédition Terra Nova, dirigée par Robert Falcon Scott, réussit finalement à atteindre le pôle Sud, elle y arriva un mois après une expédition norvégienne préparée par Roald Admunsen qui avait déjà planté son drapeau le 14 décembre 1911. Hélas, Scott et ses quatre compagnons périrent tragiquement sur le chemin du retour. Fasciné par ce sujet inhabituel, Vaughan Williams décida de compiler des extraits de la partition pour en faire une nouvelle symphonie. Le résultat, c’est bien la « Sinfonia Antartica ». Elle fut créée sous la direction de John Barbirolli à Manchester le 14 janvier 1953. Barbirolli, estimé comme le plus grand chef britannique en son temps.
Outre l’orchestre traditionnel, pour des effets instrumentaux et vocaux d’une saisissante nouveauté, Vaughan Williams utilise l’orgue, le piano, le vibraphone et l’héliophone, les percussions à maillets, cloches, gongs, avec un petit chœur de femmes sans textes se joignant aux mouvements extérieurs. Cependant, l’objectif de Vaughan Williams n’était pas de fournir un récit anecdotique des événements, mais plutôt de transmettre une impression du paysage désertique, blanc, minéral et glacé, inhumain et extrême (-59°C un 13août 1911 durant l’expédition) : l’Antarctique mais aussi, de marquer les effets que ce spectacle peut exercer sur un mental.

Vagues et manchots empereurs
Non, la Sinfonia “Antartica“ n’est pas une suite, simple musique de film. Composition grandiose et émouvante, elle est comme une description vivante du paysage, ces calottes glaciaires qui se fracassent par exemple dans le Prélude, et cette lente progression, terrifiante des téméraires explorateurs.
Soyez attentif à la façon dont les phrases musicales du Prélude (Andante maestoso) se dilatent, se fragmentent et se reforment. Suivra un Scherzo : Moderato sensé illustrer des présences vivantes comme les immenses colonies de manchots empereurs !).
Au début du troisième et vaste mouvement, « Landscape » (Paysage) : Lento, on entend des sons profonds et perçants de harpe et de percussions bouillonner sous les dissonances calmes et figées des flûtes et des cors. Les textures sourdes, inexpressives et cristallines de l’orchestration donnent non seulement une description vivante du paysage, mais assurément très hostile. Scott et son équipe se sont véritablement perdus sur le retour dans ce paysage de glace sans vie humaine alors.
Un coup de gong signifiera le sommet d’intensité dans l’hostilité, dominé par l’orgue.
Sans interruption, on enchaîne sur l’Intermezzo : Andante sostenuto. On peut y ressentir comme un sentiment d’inquiétude prenant.
C’est enfin le dernier et cinquième mouvement, l’Épilogue :Alla marcia, moderato (non troppo allegro)- sensé traduire une marche éreintante, à la fois victorieuse et défaite.
Mais vous pourrez tout autant vous faire votre propre film et faire défiler vos propres images.
Orchestre national du Capitole