Adrienne Lecouvreur magnifiquement représentée à Toulouse.
Toulouse.Théâtre du Capitole, le 24 Juin 2025. Francesco Cilea: Adrianna Lecouvreur. Ivan Stefanuti. ONCT. Giampaolo Bisanti.
Seul opéra connu de Francesco Cilea, Adrienne Lecouvreur, possède des airs immensément célèbres et pourtant ce chef d’œuvre n’est pas représenté bien souvent. Il faut dire qu’il contient des éléments théâtraux exigeant une mise en scène précise et 5 rôles principaux demandant des chanteurs hors normes. L’orchestration riche et subtile exige un grand orchestre et un chef capable d’équilibrer symphonisme, lyrisme et dramaturgie.
Le Capitole reprend la production de As.Li.Co-Teatro sociale di Como/costumes de l’Atelier Nicolao de Venise datant de 2002. Cette production n’a pas pris une ride. Transposée par le metteur en scène Ivan Stefannuti dans les années datant de la création (1902) elle respecte toutes les didascalies. L’ambiance de troupe de théâtre si indispensable est très réussie. Ivan Stefannuti réalise également décors et costumes dans une grande cohérence. Les costumes en noir et blanc sont élégants. Les décors également malgré une certaine lourdeur. Son hommage au cinéma naissant est porteur de poésie. Très admirée en Italie cette production reste d’une grande séduction et à son tour le public toulousain a été conquis.
La direction d’acteurs est très précise, elle semble d’un grand naturel. La mise en abyme du théâtre dans le théâtre offre un mystère troublant entre rêve et réalité.

Le Michonet de Nicola Alaimo
Par ordre d’entrée en scène le Michonnet de Nicola Alaimo est un homme encore jeune et sa bonté est émouvante. Vocalement la plénitude de timbre est magnifique lui permettant vraiment de chanter admirablement tout du long. Son jeu délicat d’amoureux impossible et d’ami fidèle est très juste.
Le Prince de Roberto Scandiuzzi est dès son entrée en scène d’une évidence incontestable. Il est royal de port et de timbre. Il ne fait qu’une bouchée d’un rôle qui lui convient à la perfection. Il EST le Prince de Bouillon.
Cilea réserve à chaque rôle principal un air de présentation ; celui d’Adrienne est un véritable bijou. « Io son l’umile ancella » est distillé avec puissance et engagement par la soprano Lianna Haroutounian. Timbre riche, chant legato supérieur et présence scénique forte, elle campe une Adrienne originale. Plus solide vocalement que d’aucune, elle aborde la partition avec un engagement vocal total. C’est moins subtil peut être mais cet engagement est bien celui de l’actrice historique qui révolutionna le jeu. Cette voix puissante et ronde convient bien à une actrice au sommet de ses moyens et qui sera fauchée en pleine gloire. Tout le rôle sera habité avec passion, jeu et chant seront au sommet durant tout l’opéra. Avec une mort terriblement émouvante.

Liana Haroutounian en Adrienne
Maurice également a un air d’entrée irrésistible. Dans « La Dolcissima effigie », le ténor Vincenzo Constanzo impose un personnage à la séduction immédiate, puissante et insolente. La voix est riche de timbre et ductile, il phrase à merveille et la séduction inerrante au rôle est totale. José Cura initialement prévu ayant dû renoncer pour raison de santé, il s’agit bien mieux qu’un sauvetage. Le ténor italien est un Maurice irrésistible et très assorti vocalement à l’Adrienne de la soprano arménienne.

Vincenzo Costanzo rayonnant Maurice ici triomphal aux saluts
Le dernier grand rôle est celui de la Princesse de Bouillon, la rivale cruelle d’Adrienne. Dès son premier air elle se révèle extrêmement passionnée. Grande figure de la jalousie, il faut une voix et une actrice engagée. La mezzo Judit Kutasi a la puissance vocale requise et son jeu est sans nuances : c’est une femme passionnée et qui perd toute mesure. Elle est absolument terrifiante quand elle devine son amour menacé. Les confrontations, des deux rivales sont des moments très impressionnants. La main qu’elle met autoritairement sur Maurice en signe de possession devant Adrienne défaite, termine avec terreur l’acte trois.

Le Prince et la Princesse de Bouillon
L’Abbé de Choiseul de Pierre Derhet est d’une belle présence. La voix de ténor sensible épouse à la perfection les compliments grâcieux du courtisan et peut se métalliser pour les moments plus politiques.

P Derhet en Abbé de Choiseul
C’est au dernier acte, le plus intimiste, que les 4 acteurs amis d’Adrienne venus la soutenir trouvent après les turbulences des premier actes une véritable présence émouvante. Vocalement Cristina Giannelli et Marie-Ange Todorovich ont des timbres très assortis. Damien Bigourdan et Yuri Kissin ont de belles voix également et leur jeu sensible convainc, surtout dans le bel ensemble du dernier acte. La plénitude vocale aura été un fil rouge tout le long de la soirée et chacun, petit ou grand rôle, y aura parfaitement participé. Les chœurs du Capitole admirablement préparés par Gabriel Bourgoin ont également participé merveilleusement à cette fête vocale somptueuse. Le court ballet, hommage au Faune de Nijinski, est également très réussi par le Ballet du capitole.
L’orchestre du Capitole est admirable de plénitude sonore, de musicalité et de nuances. Les soli de violon, de violoncelle sont d’une puissance expressive totale. La direction de Giampaolo Bisanti est parfaite. L’équilibre exigé par une partition riche et complexe est merveilleusement réalisé. Le drame se développe et nous étreint au dernier acte. Tout avance avec panache au travers d’ambiances contrastées vers le dénouement fatal. Le public enthousiaste fait un triomphe aux artistes avec de nombreux rappels. La saison capitoline se termine avec un succès retentissant. Nous attendons la prochaine saison avec un pareil enthousiasme.
Hubert Stoecklin pour Classicagenda
Photos Marco Maglioca