Le Théâtre du Capitole ose. Pour une seule représentation en ce dimanche 13 octobre 2024 à 16h, en une version avec mise en espace de Mathilde Étienne, nous aurons la possibilité de découvrir le premier opéra daté de 1625, composé par une femme, la dénommée Francesca Caccini. À la manœuvre Emiliano Gonzales Toro avec son Ensemble Gemelli.
L’ouvrage est classé opera comica, en quatre scènes, écrit à partir d’un livret de Ferdinand Saracinelli d’après l’incontournable Orlando furioso ou Roland le furieux de Lodovico l’Ariosto. Il aurait été créé le 3 février 1625 à la Villa Poggio Imperiale de Florence, l’une des villas de la famille mécène des Médicis. C’est l’un des ouvrages retrouvés parmi les plus importants de cette musicienne de l’époque baroque.
Quelques mots sur la compositrice Francesca Caccini :
Francesca Caccini (1587-après 1641) était une compositrice, chanteuse, luthiste, poète et professeur de musique italienne au début de la période baroque. Sa seule œuvre scénique survivante, La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina, est considérée comme le premier opéra composé par une femme. Caccini a grandi et travaillé à Florence, berceau de la Renaissance, pour la famille Médicis, sur les traces de son père, Giulio Caccini.
L’excellente réputation de Francesca l’a conduite à diverses offres de, par exemple, la cour d’Henri IV en France, alors très généreuse. (C’est au mariage de ce dernier avec Marie de Médicis que fut donné le tout premier opéra, composé par Jacopo Peri en 1600). Elle fait partie des premières chanteuses virtuoses qui sont alors l’objet d’une adulation “furieuse“ de la part de la noblesse comme du clergé. Ce dernier se tournera alors vers les castrats, les femmes ne pouvant être tolérées à l’église : mulier tacet in ecclesia. Caccini resta néanmoins à Florence à la demande du grand-duc Ferdinand Ier de Toscane et servit à la cour des Médicis dans les années 1607-1627. Elle était très généreusement défrayée, dit-on !
Alcina, en tant que opera comica fut commandé par l’archiduchesse Marie-Madeleine d’Autriche et ce, pour la visite du prince Władisław de Pologne au Carnaval en 1625. L’œuvre le toucha tellement qu’il commanda deux nouveaux opéras à Caccini. Malheureusement, ceux-ci n’ont pas été préservés, ni retrouvés à ce jour.
La trame du livret : Le dieu de la mer Neptune – ici Juan Sancho – invite tous les dieux de l’eau à louer l’invité important de la cour toscane, le prince de Pologne. L’esprit de la Vistule et les autres dieux demandent de l’aide pour louer Apollon, après quoi Neptune commence à raconter l’histoire du guerrier Ruggiero.
Au début de celle-ci, l’enchanteresse Melissa – ici Lorrie Garcia – arrive sur l’île d’Alcina, avec l’intention de libérer Ruggiero des griffes de la maléfique Alcina – ici Alix le Saux – . Alcina a ensorcelé Ruggiero – ici Emiliano Gonzales Toro – et l’a éloigné de son véritable amour, Bradamante. Alcina s’est rendue jeune et belle et par le même enchantement Ruggiero a oublié Bradamante. Ils passent du temps dans le palais d’Alcina et expriment leur amour l’un pour l’autre. Les dames de la cour d’Alcina se déplacent autour du couple et, dans le palais, nous voyons également les anciens amants de la magicienne Alcina, transformés en plantes.
Alcina part s’occuper de son royaume, laissant Ruggiero profiter des gloires de l’île. Pastore et Sirena rendent visite à Ruggiero et parlent des joies de l’amour, après quoi Ruggiero s’endort. Melissa prend maintenant l’apparence d’Atlante et réveille Ruggiero. Melissa se moque de Ruggiero pour être tombé sous le charme d’Alcina et l’exhorte à redevenir soldat. Ruggiero se réveille du sort et décide de quitter Alcina.
Les plantes ensorcelées déplorent leur sort et demandent de l’aide à Ruggiero. Melissa promet de libérer les plantes et les feuilles avec Ruggiero. Alcina revient et découvre que Ruggiero l’a quittée et devine que sa propre fin ne saurait tarder. La messagère Nunzia apporte de mauvaises nouvelles à Alcina : elle raconte comment elle a vu Ruggiero avec Melissa et que Ruggiero se souvient à nouveau de son amour pour Bradamante et a l’intention de quitter Alcina. Au retour de Ruggiero, Alcina essaie toujours, avec l’aide de ses courtisanes, de le faire rester, mais en vain. Alcina s’en va, furieuse. Se réjouissant de sa liberté, Ruggiero demande à Melissa de sauver le peuple enchanté sous forme végétale.
Alcina revient avec ses monstres enchantés et menace de se venger de ce que Ruggiero lui a causé comme tort. Melissa promet qu’elle sauvera tout le monde car elle est plus puissante qu’Alcina. Melissa parvient à gagner les monstres à ses côtés et Alcina admet sa défaite et s’enfuit. Ensuite, les plantes enchantées redeviennent des humains. Astolfo – Juan Sancho – le fils du roi d’Angleterre, et une dame réveillée du sort se lamentent sur leur sort. Melissa les réconforte et invite tout le monde à se réjouir ensemble. Libérés du sort, les chevaliers et les dames chantent joyeusement comment tout se termine bien.
Petit rappel sur la période : L’Italie que nous connaissons aujourd’hui se composait au début du XVIIe siècle de plusieurs duchés, qui se disputaient la vie musicale la plus riche, tant en musique profane que sacrée. Cette compétition constante a permis un développement musical extrêmement dynamique. Le début du XVIIe siècle se situe exactement à la transition entre la Renaissance et le baroque, et c’est surtout en Italie que se développent de nouvelles formes de composition caractéristiques du baroque, comme l’opéra, la monodie ou chant à l’unisson avec accompagnement) et la basse continue. À la Renaissance, le texte était subordonné aux règles de la musique et dans les œuvres musicales polyphoniques, chaque partie se déplaçait de manière indépendante. À l’époque baroque, cependant, on voulait élever le texte et son expression émotionnelle au centre en rendant les autres parties plus accompagnantes. Giulio Caccini (1545-1618), le père, a écrit que la musique est « la parole, d’abord les rythmes et les tons».
La ville natale de Francesca Caccini, Florence, fut le berceau de la Renaissance. Florence constituait un environnement politiquement et économiquement fort, l’une des villes les plus grandes, les plus puissantes et les plus riches de tout le monde occidental à l’époque. Des familles papales et bancaires, de riches marchands de textile, des artisans et des artistes de premier plan y étaient concentrés. Une forte atmosphère de développement de l’art et la présence des artistes les plus éminents de l’époque ont créé les conditions d’un développement diversifié de l’expression artistique, tant sur le plan technique qu’en termes de contenu. À l’aube du baroque, l’Italie dans sa globalité est bien la matrice de la modernité en musique, terre fondatrice du drame lyrique, mais également d’une école instrumentale qui, précisément, se fait l’écho, à travers la loi d’immitatione, des « nouveaux schémas vocaux-le fameux recitar cantando– et du code gestuel de l’opéra naissant ». Florence, Mantoue, Ferrare, Venise, Crémone, Milan, Naples, Rome…vont résonner d’effets nouveaux inouïs, d’idées téméraires.
L’histoire de l’opéra de Francesca Caccini suit bien l’admiration de l’époque pour les anciennes histoires de dieux. Dans le Palais Pitti de la famille Médicis se trouve le parc des Jardins de Boboli avec Nettuno comme personnage central de la fontaine. Les fresques des salles des Offices contiennent à la fois des animaux marins et des monstres sur des cartes illustrées. Plusieurs peintures allégoriques des collections d’art des Offices présentent trois beautés, qui rappellent les trois damigelles de l’opéra de Caccini.
Les idéaux et thèmes de l’art contemporain sont présents dans l’opéra de Caccini, tant dans le livret que dans les arts visuels de cette époque. Dans la mythologie grecque, les Charites étaient des déesses du charme, de la beauté et de la fertilité qui servaient la déesse Aphrodite. Trois charités sont généralement décrites : Aglaia, qui est la plus jeune, Euphrosyne, et Thaleia, qui est la plus âgée. Dans la mythologie romaine, ces déesses sont connues sous le nom de Grâces. Les trois charités, ou grâces, ont été des motifs populaires dans l’art, notamment pendant l’Antiquité et la Renaissance. Parmi les œuvres les plus célèbres figurent celles créées, entre autres, par Canova, Raphaël, Rubens et Botticelli.
On se plongera, si possible, avec délectation sûrement, sur les tableaux dits “musicaux“ de Michelangelo Merisi da Caravaggio, au nombre de six dont deux Les Musiciens ou Musica di alcuni giovani. On est autour de 1600, période marquée en peinture par la “révolution naturaliste“ de Caravage et des Carrache, et aussi représentant une phase cruciale pour la musique et son évolution. C’est bien à ce moment-là que dans le sillage de la renommée Camerata de’ Bardi de Florence, qu’ont été jetées les bases de la musique moderne et que viendra le melodramma. Le jeune maître lombard avait deux mécènes épris de musique, le cardinal del Monte et le marquis Giustaniani. Pas étonnant que dans ses tableaux, instruments et partitions soient reproduits avec un tel réalisme incroyable. « Sacrée période ! »