En commençant cette chronique, je me rappelle ce poème du cher René-Guy Cadou, l’amoureux d’Hélène pour qui il a écrit son chef-d’œuvre Hélène ou le règne végétal (parce qu’elle le faisait bourgeonner de poèmes!) : Avant-printemps
Des œufs dans la haie
Fleurit l’aubépin
Voici le retour
Des marchands forains.
Et qu’un gai soleil
Pailleté d’or fin
Eveille les bois
Du pays voisin
Est-ce le printemps
Qui cherche son nid
Sur la haute branche
Où niche la pie ?
C’est mon cœur marqué
Par d’anciennes pluies
Et ce lent cortège
D’aubes qui le suit.
Voici comme d’habitude mes coups de cœur du Printemps.
LA TARANTOLOGIE D’ALBERI SONORI
Juste avant le printemps, je viens de recevoir un beau cadeau: le nouveau disque d’Alberi Sonori (1), le groupe de musique dont j’ai déjà eu l’occasion de vous parler: https://blog.culture31.com/2024/02/20/alberi-sonori-au-kiwi-de-ramonville-tarentella-is-the-new-punk/
Il s’appelle TARANTOLOSA, pour Tarentelle de Toulouse, une anthologie de tarentelles de Campanie, de Calabre, de Basilicate et des Pouilles actualisées par ce groupe désormais « toulousain » qui a enthousiasmé le public du Kiwi de Ramonville et de toutes les salles où ils se produisent. Je ne m’étonne pas à l’écoute de ces musiques à danser que des compositeurs » classiques » se soient inspirés de cette tradition populaire, comme Gioacchino Rossini (Tarantella napoletana); mais Alberi Sonori renouvelle avec bonheur ce genre de musique dite » traditionnelle. «
Neuf morceaux rodés sur scène. Une musique superbe pour les amateurs de musiques du monde, mais aussi tous les autres, emmenée par Cinzia Minotti qui a dû être piquée par la tarentule, ce qui a décuplé ses forces musicales, » comme Spiderman a été piqué par la mygale zébrée (Aphonopelma seemanni) du Costa Rica qui lui a donné des supers pouvoirs » dirait mon petit-fils Andrea (je le mets toujours en garde en lui expliquant que c’est une œuvre d’imagination et qu’il ne faut jamais s’approcher de ces insectes comme des ours); mais Cinzia, si elle sécrète de la soie, c’est celle de la bonne musique. Et sur cette photo, cette jeune femme au tambourin me fait penser à une amazone avec son bouclier; mais heureusement elle ne s’est pas coupé un sein pour mieux jouer de son instrument de prédilection. J’entends déjà certain.e.s dire: « ça y est, il est encore reparti dans ses délires », mais peu m’en chaut comme disaient mes ancêtres; ce sont mes coups de cœur.
Et son engagement sur scène est celui d’une guerrière de la Musique.
Par exemple, dans cette Tarantella dell’Avvocata ou Pizzica di Torchiarolo
En tout cas, elle applique à la lettre le principe d’Aristote selon lequel la Musique doit transporter les auditeurs, parce que les sons des mélodies imitent les émotions humaines (colère, courage, amour…).
Elle est entourée sur cet enregistrement par les excellent.e.s Giuseppe Ponzo, Chiara Scarpone, Charlotte Espieussas, Matteo de Bellis, Valeria Vitrano, Giuseppe Riccardi et Leonardo Riccardi.
Alberi Sonori porte avec amour et ardeur le répertoire palpitant de leurs terres natales, qui touche directement l’âme populaire. Du nord au sud, des montagnes à la mer, ils voyagent et nous font voyager à travers mille paysages, comme s’ils suivaient le cours d’une rivière. Pizziche, Tarantelle calabraise, de Campanie, ou de Basilicata Tammurriate et chansons de ce répertoire parlent toujours d’un pays riche de culture, d’histoire et de traditions; un pays qui nous est si cher et à qui nous sommes liés par le nombril: nous sommes nés de la même matrice. La singularité du parcours musical de chaque musicien amène une richesse et une diversité à leur musique dont la force expressive a le pouvoir de nous faire vibrer; et danser follement.
Il est disponible au prix de 12€ + 3€ de port = 15€, à la sortie des concerts ou par courriel: alberisonori@gmail.com
Ce disque se distingue aussi par une pochette originale signée par Chiara Scarpone, plasticienne autant que musicienne, qui va prochainement exposer ses créations graphiques.
L’ŒUVRE AU NOIR DE CHIARA SCARPONE
La pochette du disque, Tarantolosa, comme le logo du groupe (en ouverture de cette chronique), est donc une création de Chiara Scarpone (2) (qui a plusieurs cordes à son arc): « Fimmene Fimmene », un scratchboard 21×29,7 de 2019, inspiré par Odetta une grande chanteuse de Blues (1930-2008), surnommée « la voix du Mouvement pour les Droits civiques ». Pour moi, la Blueswoman représentée au-dessus de la tarentule, c’est un peu elle, c’est un peu Cinzia…
Artiste de grand talent, aussi bien par son inspiration que par sa technique, Chiara réalise des pièces uniques sous forme de scratchboard, dessins sur supports blancs ou transparents avec des fines couches de noir grattées pour faire ressortir le blanc. La taille d’épargne, synonyme de la gravure en bosse, désigne l’ensemble des procédés de gravure où seulement les parties en relief sont encrées: on dit qu’elle est « épargnée », d’où l’appellation utilisée pour décrire cette technique. Quant au ScratchboArd aussi appelé la cartogravure, c’est une discipline qui consiste à « soustraire une mince couche d’encre noire appliquée sur surface généralement blanche »; les artistes adeptes du ScratchboArd travaillent « n pensant d’abord à la lumière », dit-on, comme s’ils dessinaient en blanc sur une surface noire. Les surfaces utilisées par Chiara Scarpone sont des panneaux de plexiglas qu’elle prépare avec des fines couches de peinture noire et sur lesquels elle ‘’gratte ’’ à l’aide d’outils pointus en métal comme ceux utilisés dans la gravure à taille douce.
Elle travaille dans l’Atelier Ouvert, sis 98 rue Michel-Ange à Toulouse, partagé avec des artisans d’art (la différence avec artistes ne saute pas aux yeux tant ils sont passionnés et talentueux) indépendants, un collectif cosmopolite de plasticiens aux techniques et aux origines variées: Argentine, Espagne Belgique, Tunisie, Italie et France. Il est ouvert au public le vendredi après-midi et sur rendez- vous (3).
Les sujets de prédilection de Chiara Scarpone sont fantastiques et issus de la tradition orale née avec la découverte et la maitrise du feu qui a enflammé aussi L’Imagination humaine en repoussant les ombres de la nuit aux limites de nos habitats précaires. Parmi ses livres de chevet, à côté du Natura Rerum de Lucrèce, il y a Le temps sacré des cavernes de Gwenn Rigal (Biophilia) et Sapiens Des animaux aux Dieux de l’historien Yuval Noah Harari (Editions Albin Michel)
Son animal totem reste le Biculo cacaoro, deux culs qui chient de l’or, peu importe si cela choque les puritains ou les pisses-froids.
Il saute aux yeux tout de suite que le noir est sa couleur préférée: elle a 50 nuances de noir, ce sont ses gammes en peinture.
Les Afro-Américains dans les années 60 du siècle dernier affirmaient haut est fort Black is beautiful, Noir est beau. Alors que, dans l’Antiquité, la couleur noire était synonyme de solennité, de cérémonial, du respect et de prestige, les exemples sont nombreux aujourd’hui de la connotation péjorative attachée à cette couleur primaire, associée au deuil par la religion catholique: travail au noir, journée noire, (pour dire malchanceuse), être noir de colère, humeur noire, idées noires, bête noire, regarder d’un œil noir, magie noire,… et noircir le tableau, au propre comme au figuré.
Grâce à Chiara Scarpone, je me suis re-souvenu de ma rencontre avec Pierre Soulages: quand j’étais enfant, il était le voisin à Sète d’une amie de ma grand-mère chez qui nous séjournions pendant les vacances, et j’aimais beaucoup aller lui rendre visite dans son atelier, au-dessus du cimetière marin, face à la mer. Il me disait: « tu vois, tout le monde peint la mer en bleu ou vert et toutes leurs variantes, moi j’ai choisi le noir. C »est une couleur maudite, synonyme de malheur, les gens croient que je broie du noir, mais il n’en est rien; et il me citait Henri Matisse pour qui « le noir était une couleur en soi, celle qui résume et consume toutes les autres ». » J’ai appris par la suite qu’il a inventé le mot « outrenoir » pour désigner ses peintures à majorité chromatique noire.
Dans l’Oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar (4), il est question d’alchimie et j’ose écrire que Chiara Scarpone travaille à la transmutation, la transformation du noir en couleur, ainsi que l’ont fait certains photographes comme Germaine Chaumel.
J’aimais déjà beaucoup son logo pour Alberi Sonori et son Ours ou l’Homme Sauvage, issu du Bestiaire de Mythologie populaire occitane, un scratchboard 14,8×21 de 2021, qui me rappelle le blason de ma famille paternelle avec un ours debout, hirsute, en érection et qui tire la langue!
Sa dernière création, Pauvre marin, ne cesse de stimuler mon imaginaire, de la titiller: elle est inspirée de la chanson Pauvre Marin interprétée par Brigitte Kloareg et sa fille. Le thème du pauvre marin, c’est un thème récurrent dans la musique populaire, celui de l’homme qui rentre à la maison après la guerre et que sa femme ne reconnait pas; ou comment le drame de la guerre éloigne irrémédiablement les êtres chers… J’y trouve une déclinaison subtile entre noirs et blancs avec un personnage fantasmagorique, gargantuesque, dont le crane semble un bateau ivre rimbaldien, peut-être sous l’influence du liquide contenu dans la bouteille (à moitié vide ou à moitié pleine, suivant l’état d’esprit du moment du spectateur), tandis qu’une petite Dame se voile la face…
Mais j’aime aussi beaucoup son personnage rouge, Santa Canicola, inspiré par une mosaïque sans doute byzantine de la cathédrale de son village natal, Termoli, dans la région de Molise, qui danse avec la palette du soleil, inspirée des plages où Chiara Scarpone aime tant se dorer, un soleil tambourin ou cymbale dans une main, et dont l’autre fait le geste de la Manufica, pour la bonne chance, Té vojië fé à fiquerë, en dialecte de son terroir.
Le printemps est le meilleur moment pour souhaiter Bonne chance à Alberi Sonori et Chiara Scarpone pour leurs projets: Buona primavera !
TROIS DICTIONNAIRES AMOUREUX
La collection Dictionnaire Amoureux de Plon est très agréable à lire à mon goût puisque l’on peut y butiner et faire son miel d’une entrée à l’autre, sans respecter l’ordre alphabétique si l’on n’en a pas envie, et la plupart des sujets sont traités avec érudition, talent et humour. D’autant que désormais la plupart des titres sont disponibles en poche dans la collection l’Abeille, toujours chez Plon.
En ce moment, à côté d’un livre d’histoire « sérieux », un polar italien édifiant et un roman passionnant, je me partage entre trois dictionnaires amoureux:
– Le Vin de Bernard Pivot que je relis avec délectation quand nous donnons les Éloges du bon Vin avec le violoncelliste Vincent Pouchet,
– Le Rugby des Temps modernes de Daniel Herrero, toujours savoureux quand on suit avec passion le Stade Toulousain, et le Tournoi des Six Nations (même si l’Équipe de France connaît bien des hauts et des bas, mais cela fait partie de l’originalité de ce sport),
– La Bretagne de Yann Quefféllec, la découverte d’un monde à part, où je retrouve mes racines maternelles.
Bon printemps à toutes et tous.
Profitez-en, Jeunes gens, jeunes filles; C’est le joli printemps Qui fait briller le temps. Car le joli printemps C’est le temps d’une aiguille, Car le joli printemps Ne dure pas longtemps. (Maurice Fombeure).
E.Fabre-Maigné
Pour en savoir plus:
2) Chiara Scarpone – Tel. : +33781579041 / Instagram : @chiarascarpone / Facebook : Chiara Scarpone
Le 27 avril elle exposera à Toulouse, 36 quoi de Tounis, dans le studio d’architecture « Synopsys Architecture » de Maxim Julian.
Et à partir du 13 avril à la librairie La Bestiole, à Viols le Fort dans l’Hérault (34). dans le cadre du festival CHAP. A l’occasion du vernissage elle jouera avec l’accordéoniste Charlotte Espieussas, 30 min de répertoire « chagrin », des chansons d’amours malheureuses: leur duo s’appelle Malhaya.
Festival chap 2024 – Journée à la bestiole – 3 concerts – un vernissage – un collectage
L’Atelier Ouvert participera aux Journées Européennes des Métiers d’Art 2024. Ils serons ouverts au public le vendredi 5 Avril de 11h30 à 18h, le Samedi 6 Avril de 13h30 à 18h et le Dimanche 7 Avril de 12h à 18h. C’est l’occasion de rencontrer les artistes et artisans, dont Chiara Scarpone, d’en apprendre plus sur leur travail et bien entendu d’acheter sur place des pièces exposées dans leur showroom.
4) L’œuvre au noir, c’est l’histoire du médecin alchimiste Zénon Ligre, né en février 1510 à Bruges, l’histoire de sa vie, de ses voyages, de son retour à la ville de Bruges et de ce qui l’amènera à la réclusion et à la transformation définitive, séparation du pur et de l’impur.